16 juin 2020 | Tiré de ricochet.media
Le ministre Simon Jolin-Barrette est aussi intervenu pour rabrouer la députée libérale Hélène David qui regrettait à son tour le peu de place faite aux femmes. La réaction épidermique du premier ministre rappelait le « Nenon, c’pas toi qui parle » dirigé alors contre sa propre femme, en pleine campagne électorale de 2014. Il ne s’agissait là bien entendu que d’un premier indice. Toutefois, les pièces à conviction se sont récemment accumulées. Il semble que le patriarcat soit encore bien en selle à Québec, et cela va bien plus loin que des remarques désobligeantes lancées dans le feu de l’action.
Le problème structurel à la base du fonctionnement du système de santé au Québec est la sous-valorisation chronique des métiers du soin et du lien, et donc des métiers qui ont été historiquement associés aux femmes. On songe aux enseignantes, aux éducatrices, aux préposées aux bénéficiaires et aux infirmières. M. Legault considère ces dernières comme des « anges gardiens », mais il ne faut pas que des membres de la Fédération des infirmières du Québec viennent protester devant l’Assemblée nationale, car alors il semble qu’elles deviennent soudainement à ses yeux des anges déchus.
Noémi Mercier rappelait dans un article récent de la revue L’Actualité (« Une crise genrée exige une réponse genrée », 25 mai 2020), que les femmes représentent 90% des infirmières et 88% des aides-soignantes et préposées aux bénéficiaires. Elles constituent aussi la majorité des proches aidantes. Deux jours plus tard, Francine Pelletier soulignait avec raison dans Le Devoir que « les anges ont un sexe, finalement ».
De plus, à la maison, ce sont les femmes qui effectuent encore à notre époque la majorité des tâches domestiques, une situation sans doute aggravée par la fermeture des services de garde. On ne peut pas non plus passer sous silence la situation des mères monoparentales qui, tout en travaillant, sont chargées de prendre soin de leurs enfants retenus à la maison suite au confinement. Les femmes sont en somme au front de multiples façons dans la lutte au coronavirus.
Cellule de crise et relance économique
On se serait donc attendu à ce que la cellule de crise pour assister le premier ministre du Québec soit composée majoritairement de femmes. Or, elle est composée de quatre femmes et de quatorze hommes. Les quatre femmes sont les ministres Geneviève Guilbault et Danielle McCann, ainsi que la sous-ministre de la santé et la directrice adjointe au sein du cabinet du premier ministre. On aurait pu au moins assurer une plus grande autonomie et marge de manœuvre à la Ville de Montréal, et donc à Mylène Drouin, directrice de la santé publique de Montréal, au lieu d’établir le centre de décisions à Québec. La réaction négative du premier ministre face à cette idée en dit long sur le paternalisme qui caractérise son administration depuis le début de cette crise.
Quant au comité de relance économique, il est formé, en plus du premier ministre, de quatre hommes, à savoir les quatre ministres des ministères à vocation économique. Va-t-on mettre en place des mesures pour améliorer la situation des femmes qui sont sur les lignes de front ? Mis à part les remerciements, les primes et la possibilité d’accueillir des immigrantes, qu’offre le gouvernement Legault aux héroïnes qui tiennent le fort à bout de bras ? Dans le secteur de l’éducation, c’est encore le projet libéral du Lab-école, une idée de trois gars. Dans le secteur de la santé, c’est la maison des aînés, et donc de l’emploi pour le secteur de la construction, dominé par les gars. On est encore dans la même idéologie que celle qui a donné lieu au Plan Nord, un projet conçu par des gars et pour des gars.
En effet, que retient-on des mesures annoncées par le gouvernement pour s’occuper de nos aînés ? S’agit-il des soins à domicile ou de la construction de Maisons des aînés ? Poser la question, c’est y répondre. L’éthique du soin (care), c’est l’affaire des femmes. La construction, c’est l’affaire des hommes. Oui, on investira un peu dans les soins à domicile, mais c’est dans le béton que seront investies les sommes les plus importantes.
Et qui plus est, le gouvernement place au centre de la relance économique les 202 projets du Programme québécois des Infrastructures (PQI). Ce sont ces projets qui figurent au cœur du projet de loi 61. Encore une fois, c’est l’industrie de la construction qui rafle la mise.
La santé publique ailleurs dans le monde
Et pourtant, quand on sort du Québec, on aperçoit d’autres approches. Au gouvernement fédéral, Theresa Tam occupe le poste de directrice de la santé publique et Mona Nemer est la conseillère scientifique en chef du premier ministre du Canada. Le poste de directrice de la santé publique est occupé par Bonnie Henry en Colombie-Britannique, par Sherri Wilson en Alberta, par Kami Kandola dans les Territoires du Nord-Ouest, par Tami Denomie en Saskatchewan, par Avis Gray au Manitoba, par Janice Fitzgerald à Terre-Neuve-Labrador, par Jennifer Russell au Nouveau-Brunswick et par Heather Morrison à l’île du Prince-Édouard. Supriya Sharma est la conseillère médicale principale à Santé Canada.
Plusieurs journaux ont fait valoir qu’à l’échelle internationale, les femmes cheffes d’État semblent avoir mieux perçu les enjeux et avoir été plus efficaces dans la lutte au coronavirus. En Nouvelle-Zélande, le formidable travail de la première ministre Jacinda Ardern a été remarqué mondialement. Le pays ne compte au total que 22 décès pour une population de 5 millions d’habitants.
Angela Merkel en Allemagne, Mette Frederiksen au Danemark, Erna Solberg en Norvège, Sanna Marin en Finlande, Katrín Jakobsdóttir en Islande, Tsai Ing-wen à Taiwan et Silveria Jacobs à St Maarten dirigent aussi des pays qui s’en sortent mieux.
La directrice du centre de contrôle des maladies en Corée du Sud, Jung Eun-kyeong, et la ministre de la santé de la province de Kerala en Inde, KK Shailaja, ont elles aussi très bien tiré leur épingle du jeu.
Le rejet insensé de la Dre Joanne Liu
Depuis quelques semaines, et notamment suite à un reportage de Sophie Langlois à Radio-Canada, on s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles la candidature de Dre Joanne Liu n’avait pas été retenue pour gérer la crise au Québec. Il semble que ce soit pour ne pas faire ombrage au rôle joué par le docteur Horacio Arruda.
Alors qu’il faudrait mettre en place des personnes qui ont la sensibilité, l’intelligence et la connaissance profonde des crises, des pandémies et des métiers du soin, le gouvernement ne croit pas opportun de recourir aux services d’une des personnes les plus compétentes en la matière dans le monde entier. Le Québec a en effet la chance inouïe d’avoir dans ses rangs l’ex-présidente de Médecins sans frontières qui a mené une lutte acharnée contre le choléra en Haïti et en Afrique de l’Ouest contre le virus Ebola. Cette femme d’envergure est mondialement connue et respectée. Et pourtant, le gouvernement trouve quand même le moyen de ne pas recourir à ses services. Comme exemple de médiocratie il serait difficile de trouver mieux.
Le comble de l’absurde
On aurait quand même au moins pu confier à la Dre Joanne Liu la tâche de gérer la situation catastrophique des CHSLD. Eh bien non, le 17 avril dernier, le Conseil des ministres a procédé en catimini à la nomination de Daniel Desharnais comme sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux. C’est lui qui a hérité du mandat de gérer la crise des CHSLD et de planifier la lutte au virus lors de la prochaine vague. M. Desharnais est directeur principal au sein de la firme TACT Intelligence-conseil inc. Il a été au cœur de la réforme de l’ancien ministre libéral Gaétan Barrette, qui a mis le ministère de la Santé sens dessus dessous.
Cet autre rejet de la candidature de la Dre Joanne Liu est une insulte à l’intelligence. Cela dépasse l’entendement. La double mise au rancart de la personne la plus compétente en la matière est scandaleuse en soi, mais elle constitue en plus une injure majeure à l’endroit des femmes du Québec.
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