Édition du 17 décembre 2024

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Le mythe populationniste, l'immigration et la crise écologique

« Le ’’problème démographique’’ est comme un Phénix : il renaît de ses cendres à chaque génération, et parfois même chaque décennie. Les prophéties sont généralement les mêmes – soit que les humains peuplent la planète en ’’nombre sans précédent’’ et ’’dévorent ses ressources comme une invasion de sauterelles’’ »

 Murray Bookchin

Tiré du site du Journal mobile maskoutain.

Ian Angus et Simon Butler signent un essai dérangeant sur notre approche des causes de la catastrophe environnementale qui nous attend (parce qu’au train où vont les choses, on fonce très sérieusement dans le mur). L’argument voulant que cette crise sans précédent soit causée par le trop grand nombre d’êtres humains sur Terre revient fréquemment et semble logique à première vue. Cependant, cet essai écrit dans une perspective écosocialiste propose une argumentation solide qui défait, tout au long de ses 279 pages, le réel impact de la (sur)population sur l’environnement en redirigeant l’attention sur l’accumulation et l’exploitation capitaliste des ressources.
Impact

L’IPAT ou I=PAT est la formule utilisée pour calculer l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Donc I (impact humain) égale le produit de P (population) multiplié par A (abondance) multiplié par T (technologie). Cette équation, selon les auteurs de l’ouvrage recensé ici met une emphase beaucoup trop grande sur la population, dans la mesure où elle passe sous silence la variable du pouvoir des individus – le pouvoir politique mais aussi le pouvoir économique – qui est loin d’être également réparti entre les personnes d’une même ville, d’une même région ou d’un même pays.

Pour les populationnistes, qui défendent l’idée que la cause des problèmes environnementaux actuels est la surpopulation de la planète, « la chaîne des causes et des effets destructeurs remonte à une cause première. Trop de voitures, trop d’usines, trop de détergents, trop de pesticides, de plus en plus de traînées laissées par les avions supersoniques, des procédés inadéquats d’assainissement des égouts, trop peu d’eau, trop d’oxyde de carbone. La cause est toujours la même : il y a trop de monde sur la Terre. » (1)

Écosocialisme

Les tenants de l’écosocialisme, quant à eux, analysent la crise du mode de production plutôt que la crise entre l’humain et la nature. Autrement dit, l’analyse écosocialiste tient compte des luttes des personnes exploitées, de la redistribution des richesses, de la volonté de rompre avec le consumérisme et le productivisme ainsi que des limites naturelles des écosystèmes. Leur philosophie : « Les êtres humains sont venus […] rompre ce cercle de la vie, non pas du fait de leurs besoins biologiques naturels, mais par une organisation sociale, conçue en vue d’une ‘conquête’ de la nature, mettant en œuvre divers moyens d’acquisition des richesses, dont les exigences sont incompatibles avec les règles qui gouvernent les processus naturels. » (2) 

La pensée populationniste, qui est à l’opposé de la conception écosocialiste, a été développée dans le livre La bombe P (3), publié en 1968 par Paul Ehrlich en collaboration avec son épouse Anne. Ce livre a été subventionné par le Sierra Club, un organisme préservationniste (qui promeut la préservation de l’environnement sans intervention de l’être humain) dirigé par de riches Américains blancs. La bombe P est présenté comme un livre scientifique en raison de la profession d’Ehrlich, qui est professeur de biologie à l’Université Stanford, alors que l’ouvrage est en fait un essai politique, devenu succès de librairie, qui a servi à répandre la philosophie populationniste.

Problèmes

Aux yeux des populationnistes, le problème environnemental est dû au trop grand nombre d’habitants de la planète. Sont donc ciblés les pays où la population est importante ou en augmentation. Nous pensons donc spontanément à l’Inde, à la Chine et à plusieurs pays du continent africain. Cependant, l’empreinte écologique, calculée au moyen de l’IPAT, d’une femme pauvre qui éduque tant bien que mal de nombreux enfants au Burkina Faso, enfants qu’elle a eus pour diverses raisons complexes allant des pressions sociales à l’absence de services de santé adéquats en passant par l’omniprésence d’une religion patriarcale, serait donc la même que celle d’un riche industriel nord-américain selon l’IPAT de leur empreinte écologique respective. Il faut comprendre que le P du terme population est égal au T de l’élément technologie industrielle dans l’équation de l’IPAT, technologie et consommation qui n’ont pourtant rien à voir avec la vie de cette femme, si ce n’est que pour l’appauvrir encore plus en permettant l’exploitation éhontée des richesses de son pays. Pour les écosocialistes, « la pollution commence non pas dans la chambre à coucher, mais dans la salle de conférence des entreprises ». (4)

D’ailleurs, les politiques de contrôle de la population, donc de contrôle des naissances, visent presque exclusivement les femmes et bafouent trop souvent leurs droits les plus fondamentaux, en proposant par exemple de l’argent à des femmes pauvres pour qu’elles se fassent stériliser, alors qu’elles ignorent que la stérilisation est irréversible, en leur faisant subir une stérilisation « surprise » lorsqu’elles vont à la clinique pour accoucher ou encore en permettant que des mères de nombreux enfants soient victimes de délations de la part de leurs voisins (contre de l’argent bien sûr). Et ces politiques de contrôle des naissances renforcent de plus les inégalités entre les sexes, il suffit de penser aux 100 millions de femmes « manquantes » en Chine ou aux 500 000 avortements sélectifs en Inde. (5)

Conclusion

« L’erreur des populationnistes ne réside pas dans l’importance qu’ils accordent au nombre d’individus à nourrir, mais dans le fait qu’ils présument (souvent sans s’en rendre compte) qu’il n’y a pas d’autres procédés de production et de distribution alimentaire que ceux de la société actuelle. » (6) Selon le Food First Institute, « les hausses survenues sur 35 ans dans la production alimentaire ont excédé l’accroissement sans précédent de la population mondiale d’environ 16 % ». (7) Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’une partie du monde est riche parce que l’autre partie du monde est pauvre, et que deux types de consommation coexistent sur la planète : « la ‘consommation’ de matières premières et de ressources environnementales dans la production et la distribution de marchandises, et la ‘consommation’ de biens et de services par les individus et les ménages, qui sont sans commune mesure. » (8) Le plus grand danger pour l’environnement n’est actuellement pas posé par les pays où la croissance démographique est importante, puisqu’il est avant tout attribuable à l’accumulation des capitaux et au gaspillage qui sont devenus le mode de vie des nations les plus riches de la planète. 
 
Alors, une planète trop peuplée ?

Notes

1- Paul Ehrlich, La bombe P, Paris, Fayard, 1972 (1968), p. xvii, cité dans Ian Angus et Simon Butler, Une planète trop peuplée. Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique, Montréal, Les Éditions Écosociété, 2014, p. 35.

2- Barry Commoner, L’encerclement : problèmes de survie en milieu terrestre, Paris, Seuil, 1972 (1971), p. 297 cité dans Ian Angus et Simon Butler, Une planète trop peuplée. Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique. Montréal, les éditions écosociété, 2014, p.41

3- Paul Ehrlich, La bombe P, Paris Fayard, 1972 (1968)

4- Michael Egan, Barry Commoner and the science of survival : The remaking of American Environnementalism, Cambridge (MA), MIT Press, 2007, p.93 cité dans Ian Angus et Simon Butler, Une planète trop peuplée. Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique. Montréal, les éditions écosociété, 2014, p. 40

5- Ian Angus et Simon Butler, Une planète trop peuplée. Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique. Montréal, les éditions écosociété, 2014, pp. 134-135

6- Ibid. p.106

7- Francis Moore Lappé et al., World Hunger:Twelve Myths, New York, Grove Press, 1998, p. 8 cité dans Ian Angus et Simon Butler, Une planète trop peuplée. Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique. Montréal, les éditions écosociété, 2014, p107

8- Jared Diamond, « What’s your consumption Factor ? », New York Times, 2 janvier 2008 cité dans Ian Angus et Simon Butler, Une planète trop peuplée. Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique. Montréal, les éditions écosociété, 2014, p.187

Caroline Laplante

Blogueuse pour le Journal mobile des maskoutains (Montérégie-Québec)

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