Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Le mouvement national kurde en Syrie : objectifs politiques, controverses et dynamiques

Joseph Daher anime le blog Syria Freedom for Ever. Il répond aux questions à propos des objectifs du PYD (Partiya Yekîtiya Demokrat ou Parti de l’union démocratique), ses relations avec les autres forces politiques syriennes, des différentes forces politiques kurdes et des conditions qui prévalent dans les zones contrôlées par le PYD.

Quels sont les objectifs du PYD et quel est le but de ses alliances ?

Joseph Daher : Un consensus existe entre tous les partis politiques kurdes, y compris le PYD, pour mettre en place dans une future Syrie débarrassée d’Assad une forme de décentralisation, maintenant l’intégrité totale du territoire syrien dans le cadre d’un système fédéral.

Les moyens d’y parvenir sont néanmoins différents pour de nombreuses raisons :

– Le PYD a poursuivi une politique de renforcement de son influence politique au travers de ses propres forces armées pour contrôler des territoires habités majoritairement par des Kurdes, voire davantage. Il a essayé d’établir une continuité territoriale entre les cantons de “Rojava”, mais sans la moindre coopération avec les forces arabes de l’opposition syrienne, et même parfois en opposition avec elles.

– Le CNK (Conseil national kurde soutenu par le leader kurde irakien Barzani) a expliqué pour sa part qu’un système fédéral ne pourra être établi qu’après avoir discuté et fourni des explications aux forces de l’opposition arabe syrienne, qui dans sa majorité voit le fédéralisme comme un pas vers le séparatisme et la fragmentation du pays.

En ce qui ce qui concerne les alliances, les responsables du PYD ont officiellement reconnu avoir pris la décision stratégique de ne pas s’affronter militairement aux forces du régime syrien, lorsque cela était possible. Ils rejettent cependant les accusations de connivence avec lui, se présentant comme “une troisième voie” entre “le régime oppressif et les militants rebelles extrémistes”.

Simultanément, il est indubitable que l’attitude du PYD envers le régime a davantage été marquée par la recherche de la conciliation que de la confrontation. Il a poursuivi la recherche d’un modus vivendi ayant bénéficié aux deux parties, au moins à court terme :

– Le PYD a pu se construire librement en Syrie. Il a notamment pu faire venir quelques milliers de combattants armés depuis l’enclave de Qandil en Irak en 2011 lors de la première année du soulèvement, ce qui lui a permis de se réinstaller en Syrie et d’y agir de façon ouverte. D’après certaines sources, cela a été fait en échange d’une coopération avec les forces de sécurité du régime syrien. – Celles-ci ont pu écraser les mobilisations contre le régime syrien dans les espaces majoritairement peuplés par des Kurdes. Cela a été notamment le cas à Afrin et dans quelques banlieues kurdes l’Alep.

– Cela n’empêcha pas pendant la même période des confrontations entre les membres du PYD et les forces du régime. Simultanément, le PYD a encouragé la propagande anti-régime sur ses réseaux sociaux.

L’auto-administration par le PYD des espaces habités majoritairement par des Kurdes – connus sous le nom de Rojava – est une conséquence directe du mouvement de masse du peuple de Syrie (regroupant des Arabes, des Kurdes et des Assyriens) contre le régime d’Assad.

Le soulèvement populaire a poussé le régime à conclure un accord avec le PYD en juillet 2012, par lequel il se retirait de plusieurs régions du Nord majoritairement peuplées par des Kurdes. Cela lui a permis de redéployer ses forces armées et réprimer le soulèvement ailleurs, tout en maintenant une présence limitée dans quelques endroits comme Qamichli et Hassaka.

Plutôt que de considérer le PYD comme un chargé de mission (ou proxy) d’Assad, nous pouvons considérer que le PYD a joué un rôle bénéficiant à la fois à lui-même et au régime d’Assad. Il a cherché à tirer avantage du manque de sécurité, et a étendu le territoire qu’il contrôlait.

Il n’existe pas à proprement parler d’alliance entre le régime d’Assad et le PYD, contrairement à ce que disent certains. Il s’agit d’un accord pragmatique de non-agression, comportant des périodes de conflits. Mais cette situation ne pouvait pas exister durablement.

La meilleur preuve en est est que, bien qu’une sorte de pacte de non-agression existait entre le PYD et le régime, Assad a déclaré de façon répétée qu’il refusait toute forme d’autonomie des Kurdes de Syrie.

Au mois d’août 2016, l’aviation du régime syrien a bombardé les banlieues kurdes d’Hassaka, tandis qu’Assad acceptait tacitement de manière temporaire l’intervention militaire du régime turc et son soutien aux groupes de l’ASL et les mouvements islamiques fondamentalistes en conflit avec le PYD dans le nord de la Syrie.

Cela ne signifie pas pour autant que dans l’avenir, et dans un contexte politique donné, une nouvelle collaboration tactique temporaire ne pourrait pas avoir lieu entre le PYD et le régime.

Les relations entre le PYD et le courant dominant de l’opposition en exil (Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution) sont très mauvaises. Cela s’explique notamment par le chauvinisme de beaucoup de groupes et de personnalités arabes de l’opposition syrienne, en particulier au sein du CNS (Coalition nationale syrienne) qui est dominée par les Frères musulmans et des personnalités de droite, et qui est alliée au gouvernement turc de l’AKP. Les contradictions politiques du PYD envers les forces de l’opposition, comme expliqué au dessus, posent des problèmes également.

Les relations du de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution sont relativement un peu meilleure avec le KNC, sans être bonne.

La majorité de l’opposition arabe syrienne pense que les Kurdes sont des citoyens syriens comme les autres ayant été privé de certains de leurs droits. Lors du référendum de 1962 environ 120 000 Kurdes avaient été privés de la nationalité syrienne. Etant déclarés comme étrangers, eux et leurs enfants ont été privés des droits civiques élémentaires et condamnés à la pauvreté et aux discriminations.

Entre 250 000 et 300 000 Kurdes étaient apatrides lorsqu’a commencé la révolution en mars 2011, soit environ 15 % du total estimé de 2 millions de Kurdes de Syrie.

La grande majorité des partis politiques d’opposition ne sont en aucune manière prêts à reconnaître les Kurdes comme un “peuple” distinct ou une “nation”. Ils ne sont pas prêts à vouloir entendre les revendications de fédéralisme et de décentralisation administrative.

Comme mentionné précédemment, la revendication d’un système fédéral en Syrie est celle de la quasi majorité des partis kurdes du pays, malgré leurs divergences politiques et leurs rivalités.

Nous devons comprendre que la revendication d’un système fédéral par les partis kurdes de Syrie prend ses racines dans des décennies d’oppression étatique depuis l’indépendance du pays en 1946.

Cette oppression a lieu sur une base ethnique :

– une politique de discrimination quasi systématique contre les Kurdes,

une politique de colonisation dans le cadre de la “ceinture arabe”,
une répression culturelle à tous les niveaux.

Mais elle a également des conséquences socio-économiques : les parties les plus pauvres du pays étaient celles principalement peuplées par des Kurdes, comme par exemple dans le Nord-est de la Syrie le long des frontières avec la Turquie et l’Irak.

Dans cette perspective, la majorité de l’opposition arabe syrienne n’a pas abordé ni même reconnu cette réalité, sa position faisant miroir à celle du régime.

Dernièrement, la grande majorité des mouvements politiques kurdes de Syrie, y compris le PYD et le Conseil national kurde, étaient en colère contre le récent plan de transition proposé par le “Haut-Comité de négociation de la Coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition” car ce plan n’envisageait aucune forme de fédéralisme dans la Syrie d’après-guerre. Ce Haut Comité défendait le principe d’une décentralisation administrative pour la gestion des affaires du pays.

Le Conseil national kurde (soutenu par Barzani), qui est une des composantes de la “Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution” (CNFOR ou en anglais ETILAF), a échoué de façon répétée à faire reconnaître les droits des Kurdes par ce dernier. Il en avait été de même avec le précédent Conseil national syrien lors de la Conférence de Tunis, ainsi que dans les conférences ultérieures à Genève et Riyad.

Concernant le plan de transition du Haut Comité de négociation de l’opposition syrienne présidée par Riyad Hijab présenté en Octobre, le KNC a clairement dit que “ce document ne fait pas partie de la solution, mais représente plutôt un danger pour une solution démocratique dans une Syrie plurielle et unifiée, garantissant les droits culturels, sociaux et politiques de tous les groupes ethniques, religieux et linguistiques”.

Quiconque lit le document peut constater immédiatement que le point 1 des “Principes généraux” mentionne exclusivement la culture arabe et l’islam comme sources de “la production intellectuelle et des relations sociales”.

Cette définition exclut clairement les autres cultures – qu’elles soient ethniques, linguistiques ou religieuses – et fait de la culture majoritaire la culture dominante. En tant que Kurdes de Syrie, nous nous sentons rejetés par cette conception étroite du peuple syrien.

Les similarités entre cette définition et les politiques chauvines du régime d’Assad sont indéniables”.

Le 25 octobre 2016, le Conseil national kurde de Syrie a condamné les bombardements turcs des districts peuplés de Kurdes du gouvernorat d’Alep. Il a également revendiqué explicitement que l’armée turque arrête de tuer des civils, et qu’elle retire ses forces des environs d’Alep.

La Turquie continue en effet à bombarder des régions à majorité kurde en Syrie. Elle poursuit son intervention militaire directe et son soutien à des groupes armés de l’opposition syrienne pour déloger les combattants de l’Etat Islamique et du Parti de l’Union démocratique (PYD), organisation sœur du PKK en Syrie. La priorité sur le terrain est néanmoins donnée à la lutte contre l’autonomie et à la prévention de toute expansion des forces kurdes du PYD au nord-est de la Syrie. La Turquie a d’ailleurs émis le 22 novembre un mandat d’arrêt contre le leader du parti Kurde syrien du PYD, Saleh Muslim.

Simultanément, comme nous l’avons déjà signalé, la politique du PYD pose une série de problèmes comme par exemple :

– son orientation non-conflictuelle avec le régime d’Assad,

– son soutien à l’intervention russe en Syrie,

– le fait d’avoir profité, début 2016, des bombardements russes sur les environs d’Alep pour conquérir de nouveaux territoires au détriment de l’ASL et des forces de l’opposition islamique à Bachar el-Assad.

Aux dernières nouvelles, de nouveaux affrontements militaires ont malheureusement eu lieu entre d’une part le PYD, d’autre part l’ASL et des forces islamiques dans le nord de la région d’Alep.

Il existe également contre le PYD des accusations de violation des droits de l’Homme concernant des populations arabes. De plus, le PYD a eu des pratiques autoritaires et a pris des mesures répressives contre d’autres groupes et militants kurdes.

De façon générale, aucune solution de la question kurde et pour une Syrie inclusive ne peut être trouvée sans reconnaitre les Kurdes comme un “peuple” à part entière ou une “nation”, et en apportant un soutien inconditionnel à l’autodétermination du peuple kurde en Syrie et ailleurs.

Cela ne signifie pas pour autant être a-critique envers la politique de la direction du PYD ou tout autre parti politique kurde.

Nous devons réaffirmer que la défaite de la révolution syrienne et du mouvement populaire marquerait probablement la fin de l’expérience du Rojava, et un retour à une ère de répression des Kurdes de Syrie.

Le régime d’Assad et les forces islamiques réactionnaires font obstacle au développement de toute expérience politique ne figurant pas dans leur programme autoritaire.

Pour cette raison, nous ne devons pas séparer la lutte pour l’autodétermination des Kurdes de la dynamique de la révolution syrienne.

Ceci est important pour comprendre pourquoi un quasi-consensus existe entre tous les pouvoirs internationaux et locaux, sur certains points :

– liquider le mouvement révolutionnaire populaire initié en mars 2011,

– stabiliser le régime de Damas et maintenir à sa tête le dictateur Bachar Al-Assad pour le court et moyen terme,

– s’opposer à toute forme d’autonomie kurde,

– vaincre et défaire militairement les groupes jihadistes comme Daech.

Quelles sont les relations entre le PYD et les forces de l’opposition syrienne démocratique ?

Malheureusement, une coupure et une division croissantes sont apparues entre, d’une part les mouvements arabes, et d’autre part les mouvements kurdes, et plus particulièrement le PYD.

La majorité des forces arabes syriennes opposées au régime d’Assad voient dans le fédéralisme un pas vers le séparatisme et le démembrement du pays.

Ceci a été renforcé, comme mentionné précédemment, par la politique de non-confrontation du PYD avec le régime d’Assad, qui a notamment inclus :

– le maintien de canaux de communication établis depuis le début du soulèvement de 2011,

– la cohabitation avec des forces du régime dans les villes de Qamichli de Hassaka (malgré des confrontations occasionnelles violentes),

– des abus et des violations des droits de l’Homme contre les civils arabes syriens dans les zones dominées par les forces armées du PYD,

– la montée de suspicions et d’oppositions de la part des populations arabes de Syrie.

Selon une étude réalisée entre novembre 2015 et janvier 2016 par l’association syrienne indépendante “Après demain” (The Day After Tomorrow), 86,7 % des personnes interrogées dans les territoires contrôlés par l’opposition rejettent le fédéralisme, tandis qu’un consensus existe autour du fédéralisme dans les zones kurdes auto-administrées, avec 79,6 % d’avis favorables.

Ces chiffres montrent qu’une coupure existe entre Kurdes et Arabes et que le premier impératif en ce qui concerne tout système politique futur en Syrie est de prendre en compte la “question kurde”.

De plus, dans les régions majoritairement habitées par des kurdes, les forces kurdes démocratiques ont des relations tendues avec le PYD à cause des campagnes de répression de celui-ci et sa politique autoritaire.

Existe-t’il d’autres forces politiques kurdes ? Lesquelles d’entre elles sont de gauche, ou partie prenantes du mouvement ? Quels sont leurs objectifs ? Quelles sont leur rapports avec le PYD ?

Il est tout d’abord important de noter qu’au début du soulèvement de mars 2011, pratiquement tous les partis politiques kurdes existants ont adopté une attitude prudente.

Ils étaient soit absents des mobilisations de rue des Kurdes syriens, soit n’y jouaient qu’un rôle de second plan, à l’exception de deux organisations :

– le mouvement “Future”, dirigé par Mishaal Tammo avant son assassinat en octobre 2011,

– le parti Yekiti, qui était important depuis le début des années 1990 et mobilisait la jeunesse kurde contre le régime.

Les mobilisations ont émergé autour de groupes de jeunes pré-existants, ou de “Comités de coordination locaux” nouvellement apparus. Ces structures se considéraient comme partie prenantes du mouvement national contre le régime et appelaient à son renversement.

Les jeunes militants s’auto-organisaient en utilisant les réseaux sociaux, dont facebook.

Les comités locaux de coordination existant dans les zones arabes du pays ont servi de modèles pour le développement de groupes similaires dans les régions kurdes.

La collaboration entre, d’une part certains groupes de jeunes arabes et kurdes, et d’autre part les comités locaux de coordination a continué de façon significative jusqu’aux alentours de mars 2012. Elle s’est ralentie ensuite pour devenir plus localisée, particulièrement après que les principaux partis arabes syriens d’opposition en exil aient rejeté les revendications des partis kurdes.

Simultanément, les partis politiques kurdes traditionnels, bien que soutenant de façon rhétorique les revendications des manifestants, ont tenté par différents moyens de diviser ou d’affaiblir le mouvement de la jeunesse kurde.

Ils ont notamment organisé leurs propres manifestations pour développer leur propre pouvoir, plutôt que celles du mouvement national contre le régime.

En ce qui le concerne, le PYD a également eu recours à la répression.

Cette situation n’a cependant pas empêché l’organisation en octobre 2011 d’une conférence réunissant la majorité des partis politiques kurdes, en mettant de côté les divergences entre indépendants, organisations de jeunes kurdes, organisations de femmes kurdes, militants des droits de l’Homme, etc…

L’objectif était d’unir l’opposition kurde et de parvenir à ce que les Kurdes parlent d’une seule voie en Syrie. Et cela cela d’autant plus que les Kurdes avaient des craintes au sujet du programme politique et l’agenda de plusieurs composantes du Conseil national syrien (CNS), et notamment les Frères musulmans qui ont des relations étroites avec le gouvernement turc de l’AKP.

C’est dans ce contexte qu’a été crée le Conseil national kurde. Malheureusement, avec le temps, l’expression de la jeunesse kurde et des comités locaux de coordination à l’intérieur du Conseil national kurde a été marginalisée, une fois de plus, par les partis kurdes traditionnels. Ils y parvinrent au travers de leur contrôle du processus de décision, ainsi que grâce au soutien politique venu de l’extérieur et notamment de Barzani.

Le Conseil national kurde a été fondé à Ebril (Irak), sous la houlette de Massoud Barzani, le président du gouvernement régional du Kurdisatn d’Irak.

La mission fixée au Conseil national kurde (CNK) était de trouver une “solution démocratique à la question syrienne”, tout en mettant en avant qu’elle faisait partie de la révolution.

En juin 2016, le CNK était composé de 12 partis, mais la plupart d’entre eux agissaient depuis l’extérieur de la Syrie.

En outre, la direction du CNK est partie pour Erbil, la capitale de la région kurde d’Irak, parce qu’elle était incapable de se construire en Syrie.

En dépit de plusieurs tentatives de réconciliation entre le PYD et le CNK ces dernières années, les relations entre eux sont très mauvaises avec des attaques venant des deux côtés.

– Des membres et des dirigeants du CNK ont été arrêtés à de nombreuses reprises dans les territoires contrôlés par le PYD,

– Les frontières des zones kurdes d’Irak contrôlées par Barzani étaient souvent fermées par ce dernier afin de faire pression sur le PYD en le privant de biens de première nécessité et de fournitures médicales.

La domination du PYD sur les zones habitées majoritairement par des kurdes n’a pas un terme aux activités des groupes de jeunes indépendants du PYD et du CNK.

Dans des villes comme Qamichli, ʿAmudah, ʿAyn al-ʿArab, Kobané, et ad-Darbasiyah, des jeunes ont réuni leurs forces dans des groupes rassemblés autour d’intérêts et de buts communs, et non pas en partant d’affiliations partisanes.

Sur la base du bénévolat, des jeunes et des associations locales centrées sur l’éducation, la culture, la politique et les droits de l’Homme, ont connu une croissance considérable, et jouissent jusqu’à aujourd’hui d’une grande popularité.

Quelles conditions prévalent dans les zones contrôlées par le PYD (libertés civiles, droits de l’Homme, etc.) ?

Les institutions en place dans les zones contrôlées par le PYD sont dominées par les organisations affiliées au PYD, avec un assortiment de personnalités kurdes, syriaques, et assyriennes. Celles-ci n’ont pas grand chose à perdre en participant à ce projet, et n’ont pas de base populaires larges.

Pour une grande majorité de partis politiques kurdes et de militants, Rojava n’est qu’une nouvelle forme d’autoritarisme, plutôt que le fédéralisme démocratique en action. Comme preuve de ceci, beaucoup mettent l’accent sur l’exclusion de partis d’opposition et de militants au sein de groupes de jeunes.

Les membres et les dirigeants des conseils populaires mis en place par les autorités du Rojava, sont théoriquement responsables de la gouvernance locale. Ces conseils comportent des représentants de tous les partis politiques kurdes, ainsi que des habitants non-kurdes désignés par le PYD dans les zones pluri-ethniques.

Mais le PYD reste l’autorité décisionnaire suprême, réduisant les conseils à un rôle largement symbolique pour tout ce qui n’est pas la distribution du gaz et l’aide humanitaire. L’institution communale, un des éléments clés du système du nouveau Rojava dont rôle est de procurer l’aide humanitaire aux habitants des environs, a été accusée de servir à renforcer la mainmise des organisations liées au PYD.

Dans le même temps, ces nouvelles institutions manquent de légitimité parmi une grande partie des arabes syriens de ces territoires. Et cela bien qu’il ait été décidé d’élire un co-président Arabe dans les conseils communaux, en plus du co-président et de la co-présidente déjà en place.

Par exemple, Shaykh Humaydi Daham al-Jarba, chef d’une milice tribale arabe, et supporter connu du régime d’Assad, a été nommé en 2014 gouverneur du canton de Jazirah dans le Rojava.

Son fils est devenu commandant des forces al-Sanadid, une des principales milices arabes combattant aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS). La proéminence des leaders tribaux dans les institutions du Rojava a été plutôt préservées que contestée.

L’autoritarisme du PYD a été démontré par la répression et l’emprisonnement de militants, d’opposants politiques, et l’interdiction d’organisations ou d’institutions comme la radio indépendante Arta en février 2014 et en avril 2016.

Des membres de partis kurdes syriens d’opposition rivaux, comme le Parti Yekiti, le Parti démocratique kurde de Syrie et le Parti Azidi ont particulièrement réprimés par les autorités des régions autonomes du Rojava pour leur militantisme pacifiste et leur critique du PYD.

Tout récemment Ibrahim Berro, le président du Conseil national syrien (CNK) a été arrêté en août 2016 à un barrage situé à Qamichli, et exilé ensuite le lendemain au Kurdistan irakien.

En réaction à cela, à la mi-septembre, les conseils locaux du CNK de des régions d’Hassaka, Maabdeh, ‘Amoudah, Qamishli, al-Jawadiyeh, et Malakiyeh ont organisé un sit-in contre les pratiques du PYD et les arrestations arbitraires. Les participants demandaient la libération des prisonniers politiques emprisonnés par le PYD, dont le nombre est d’environ une centaine. De nouvelles mobilisations ont également eu lieu en octobre.

En novembre 2016, le PYD a lancé de nouvelles campagnes de répression contre des mouvements politiques kurdes et d’autres groupes.

– Le mercredi 16 novembre, les forces de sécurité du PYD (Asayish), ont par exemple fait irruption dans les locaux de la station de radio de Amûdah FM et ont arrêté quatre membres du personnel. Ceux-ci ont été relâchés quelques heures plus tard, mais l’équipement technique de la radio a été saisi, les locaux ont étés fermés, et la diffusion a été arrêtée.

– Un jour plus tard, le jeudi 17 novembre, les forces de sécurité du PYD sont intervenues par la force dans le bureau du Parti de l’Union Kurde en Syrie (Yekîtî) dans la ville de Amudah. Neuf membres de Yekîtî ont été arrêtés, dont Hasan Salih, Secrétaire général adjoint du parti, Sulayman Oso, Anwar Naso, Sabri Mirza, Maroof Mula Ahmad et ‘Abddussamad Khalaf Biro, tous membres du Bureau politique de Yekîtî, ainsi que Husayn Shahadah, Mahmud Haso et’Abdi Ijo. Les ordinateurs et les documents ont aussi été illégalement confisqués.

La politique autoritaire du PYD a rencontré à une opposition croissante au sein de la population kurde de Syrie et des militants révolutionnaires kurdes.

L’hégémonie politique et militaire croissante du PYD et l’incapacité du CNK à étendre son influence à l’intérieur de la Syrie a affaibli davantage le KNC du fait de ses divisions internes.

Simultanément, dans les zones contrôlées par le PYD, des avancées sur certains points doivent être prises en compte comme par exemple :

– la promotion des droits des femmes et de l’égalité des sexes,

– la sécularisation des lois et des institutions,

– et dans certaines limites, des formes de coexistence entre les diverses ethnies et confessions religieuses, malgré l’existence de certaines tensions.

Quelques partis au sein du CNK voient aussi dans la coopération avec le PYD le seul moyen de maintenir leur implantation en Syrie, alors que de larges secteurs de la population y voient un mal nécessaire pour se défendre contre certaines forces de l’ASL d’orientations islamistes et jihadistes qui attaquent les régions kurdes depuis l’été 2012.

Le PYD a, par exemple, lancé à l’été 2012 la campagne “Le Kurdistan de l’Ouest doit appartenir à ses enfants”. Celle-ci était tournée contre les attaques, par des groupes islamistes fondamentalistes, de villes principalement habitées par des Kurdes.

Les critiques envers le PYD ont alors été moindres et d’autres groupes kurdes ont soutenu cette campagne. Un rassemblement temporaire a eu lieu sur la scène politique kurde, réitérant le besoin d’une collaboration et d’un travail en commun entre le PYD, les autres groupes Kurdes démocratiques et le CNK.

Le PYD, et sa branche militaire YPG apparaissent comme le seul protecteur viable des Kurdes de Syrie et se sont pour cette raison renforcés.

Un sentiment de la sorte se produit à chaque fois que l’opposition syrienne arabe, regroupée autour de la non-reconnaissance des droits des Kurdes par la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, profère des propos racistes et des discours contre les Kurdes.

Il en va de même lorsque différentes forces armées, appartenant à l’ASL ou à des forces islamiques fondamentalistes, soutenues ou pas par la Turquie, attaquent le PYD et les régions kurdes.

Joseph Daher, 25 octobre 2016 (texte mis à jour le 25 novembre 2016)

Traduction depuis l’anglais par Alain Baron, révisée par Joseph Daher.

P.S.
Joseph Daher anime le blogue Syria Freedom for Ever, auteur du livre « Hezbollah : the Political Economy of the Party of God » (octobre 2016, Pluto Press)

– Texte disponible en anglais sur
https://syriafreedomforever.wordpress.com/2016/11/01/the-kurdish-national-movement-in-syria-political-goals-controversy-and-dynamic/

– Traduction de l’anglais par Alain Baron, révisée par Joseph Daher.

Joseph Daher

Militant révolutionnaire syrien résidant actuellement en Suisse

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