Lorsque Jeff Rubin, ex-économiste en chef de la Banque CIBC, a soulevé que le projet n’était pas viable au prix actuel du pétrole et qu’il ne trouverait que difficilement du financement, sa position n’a pas soulevé de débat. De la même manière, lorsque l’on a appris qu’une étude fédérale interne indiquait qu’il ne serait pas nécessaire de construire de nouveaux pipelines au Canada avant au moins 2025, la pertinence économique du projet n’a pas été questionnée. Or, s’il n’est pas démontré que l’on peut boucler le montage financier de l’oléoduc, pourquoi laisser courir la controverse sur un projet qui de facto – dans un contexte de lutte urgente face aux changements climatiques – est non structurant pour notre société ? Relançons donc la question.
Le coût de construction de l’oléoduc est estimé à 16 milliards. À moins que TransCanada nous en fasse la démonstration, celle-ci n’a pas les liquidités nécessaires pour financer le projet. Elle devra donc se tourner vers les institutions financières, lesquelles sont de plus en plus frileuses à accorder des prêts à cette industrie qui multiplie les défauts de paiement.
En effet, ces dernières années, les institutions financières ont perdu des sommes considérables dans le pétrole et le gaz. Depuis janvier 2015, aux États-Unis et au Canada, 90 compagnies dont les dettes atteignent la somme de 66,5 milliards ont fait faillite dans le pétrole et le gaz. Les autres compagnies de ce secteur ont subi une solide correction boursière. Le groupe de recherche Corporate Knights estime que seulement pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, la perte dans les énergies fossiles se situe à 7 milliards entre 2012 et 2015.
Cela étant dit, lorsque les investisseurs étudient une demande de financement, ils ne s’arrêtent pas aux tendances récentes et regardent vers l’avant. Malheureusement pour TransCanada, l’horizon est encore plus sombre. La croissance de la demande mondiale de pétrole, laquelle n’a pas été aussi forte que prévue depuis 2014, va s’arrêter et s’inverser avant longtemps. En effet, en 2020, selon le Conseil mondial de l’énergie, aux États-Unis, en Europe et en Chine, les normes d’émission des véhicules seront si strictes qu’il faudra en moyenne pour les atteindre que 16 % des voitures vendues soient électriques. Pour y arriver, il faut pratiquement doubler à chaque année les ventes de ces véhicules. Et ce rythme est actuellement celui qui est observé et que l’on continue de prévoir grâce à la baisse du coût des batteries et à la pression qu’exerce sur les autres constructeurs automobiles la mise en marché virale des nouveaux modèles Tesla.
Advenant la mise en service en 2021 de l’oléoduc Énergie Est, il faudrait encore 20, 30 ou 35 années d’exploitation continue pour compenser la dépense de 16 milliards et assurer aux investisseurs un profit. Or, lorsque la baisse de consommation de pétrole surviendra, le pétrole le plus cher à exploiter de par le monde sera le premier à arrêter de l’être. La récente chute du prix du pétrole nous l’a bien montré : les coûteux pétroles de schiste et des sables bitumineux ont été ceux ayant accusé les corrections les plus fortes. Et ces deux types de pétrole sont précisément ceux que transportera l’oléoduc. Dans ce contexte, quelle institution financière sera prête à accorder sa confiance au projet Énergie Est ? Cette question mérite toute notre attention, car la réponse pourrait fort bien unir deux camps jusqu’ici très divisés.
Sébastien Collard
Porte-parole de Recycle ta Caisse