Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le document de consultation de la Commission nationale des États généraux sur la souveraineté du Québec ou le degré zéro de la stratégie !

La Commission nationale des États généraux sur la souveraineté Le 23 avril 2012, la commission des États généraux sur la souveraineté du Québec lançait un document de consultation intitulé : Quel avenir ? Province ? Ou pays ? Nous voulons, dans ce premier texte, questionner le biais choisi par la commission et démontrer qu’il risque de nous amener à esquiver les débats les plus essentiels.

Quelle invitation fait donc le texte des États généraux sur la souveraineté du Québec ? Il invite la population du Québec à identifier « les principaux blocages imposés par le système canadien à l’épanouissement du Québec et qui empêchent son émancipation ». L’exercice n’est certes pas inutile. Identifier l’ensemble des blocages de l’État canadien nous permet de refonder les bases de notre compréhension de la nécessité et de l’urgence d’accéder à l’indépendance. Le problème, c’est qu’on limite l’exercice de ces États généraux à ce seul exercice. Mais, le texte des EGS ignore superbement une question tout aussi essentielle : soit, celle de l’explication des conditions de l’unification de la volonté collective du peuple du Québec autour son indépendance, de la constitution d’un nouvel État. La réflexion à laquelle on appelle doit être une réflexion du peuple sur lui-même, sur ses forces, sur ses divisions et sur les défis auxquels il est confronté afin qu’il puisse voir dans sa propre autoactivité la voie de sa libération nationale. -

Introduction – identifier les blocages du système canadien au développement du Québec (p. 3 à 5)

Le document rappelle que le peuple québécois a exercé trois fois son droit à l’autodétermination sur son avenir national : référendum de 80, référendum de 1992 sur la réforme du fédéralisme et référendum de 1995 sur la souveraineté. Le rappel historique sur les moments où le peuple québécois s’est prononcé sur son avenir national est trop rapide et biaisé. La question de 1980 parlait d’une nouvelle entente avec l’État fédéral qui devait être entérinée par un deuxième référendum. La question de 1995 évoquait une souveraineté partenariat. Affirmer qu’il s’agissait d’un projet « plus ferme de souveraineté » est une caractérisation bien rapide de l’entente du 12 juin 1995 entre le PQ, le Bloc et l’ADQ qui commençait par les mots suivants : « faire la souveraineté du Québec et proposer formellement un nouveau Partenariat économique et politique au Canada, visant notamment à consolider l’espace économique actuel. Notre projet exprime aussi le souhait des Québécois de maintenir un lien souple et équitable avec nos voisins canadiens, pour gérer en commun l’espace économique, notamment par la mise en place d’institutions communes, y compris de nature politique. Nous sommes convaincus que cette proposition est conforme aux intérêts du Québec et du Canada. »

Pourquoi, les référendums sur la souveraineté ont-ils été défaits ? Est-il possible qu’il en soit autrement ? Comment cela aurait-il été possible ? Quelles sont les orientations stratégiques qui auraient pu nous rapprocher d’une véritable libération nationale ? Il semblerait que ces questions aient été d’emblée interdites.

La nécessaire évaluation des rapports entre politiques économiques et sociales et soutien à l’indépendance est esquivée.

Le document affirme avec justesse que « la mondialisation a considérablement modifié les enjeux. » Il ajoute : « Les mesures visant à protéger le bien commun et à donner un sens à la vie en société sont combattues sans relâche au nom des libertés individuelles et de l’impératif de la concurrence et de la compétition. Les communautés se retrouvent affaiblies, désorientées et désabusées. » (page 6)

L’État du Québec a été livré aux néolibéraux. Mais, on évite de rappeler que ce n’est pas seulement l’État fédéral qui a été le porteur de ce néo-libéralisme. Il a été également porté par une partie des élites péquistes. Les sommets de 1996 ont été des moments forts de la reprise par le gouvernement Bouchard du néolibéralisme... (Poursuite du déficit zéro, coupes sombres en éducation et en santé, déréglementation....) L’impact négatif de politiques néolibérales par des politiciens identifiés à l’indépendance a été désastreux pour la souveraineté dans le contexte post-référendaire. Cela a miné l’élan vers la souveraineté qui s’était développé dans les années précédentes. Identifier les blocages posés par l’État fédéral, c’est essentiel, mais refuser d’identifier les blocages construits par les orientations des gouvernements québécois y compris souverainistes c’est refuser de regarder, d’analyser et de comprendre une partie essentielle de la question.

1. Blocage identitaire et linguistique (p. 7 à 10)

Le texte souligne avec justesse que le Québec a « été victime de plusieurs tentatives d’éradication et de minorisation » (page 7) et il est vrai que les QuébécoisEs « affirment leur identité propre par opposition à celle du Canada ».(page 7) Mais, on tourne les coins ronds lorsqu’on prétend non pas que les politiques du gouvernement conservateur sont réactionnaires sur toute la ligne, mais qu’on identifie l’ensemble du Canada anglais à ses valeurs réactionnaires. On oublie trop facilement que ce gouvernement a été élu par une minorité grâce à un mode de scrutin antidémocratique que nous avons le privilège de partager.

Au-delà d’une vision idéaliste de l’identité nationale.

L’identité nationale du Québec moderne se construit sur l’expérience d’une rupture avec son passé canadien-français provoquée par une urbanisation rapide, dont le moteur est une industrialisation massive, et la construction de l’État québécois moderne et autour de la volonté de devenir Maîtres chez nous. La nation québécoise est, dans sa vaste majorité, une nation de salariéEs (y compris par l’importance du salariat féminin) et une nation radicalement sécularisée. Ce qui fonde la nation québécoise, ce ne sont pas d’abord des valeurs, mais des rapports sociaux nouveaux qui ouvrent la possibilité de se définir un nouveau destin dont l’indépendance est l’option la plus audacieuse.

Cette nation en mouvement est en redéfinition constante. Elle est vivante. La nature politique de son avenir, du modèle social de la souveraineté – de son attractivité ou non - est l’enjeu de contradictions qui traversent la nation québécoise elle-même. Enfin, cette nation se définit moins de façon substantialiste par des valeurs a-historiques qui la caractériseraient, que par une transformation continue de son insertion dans le monde et par l’accueil qu’elle est appelée à faire aux populations immigrées et la façon dont elle compose avec cette réalité. Éviter d’aborder ces questions essentielles, c’est passer à côté de la spécificité historique de la nation québécoise.

On ne peut se contenter de rappeler le nombre d’immigrantEs que le Québec accueille annuellement et le fait que « le gouvernement central conserve la compétence centrale ... » ou le choix déchirant qu’ont à faire les immigrantEs entre un intercultururalisme mutuellement enrichissant ou un multiculturalisme qui isole. À ce compte, on se demanderait en quoi ce choix serait déchirant. Ces constats trop rapides et qui n’expliquent rien et ne permettent pas d’aborder les questions importantes concernant le ralliement des immigrantEs à notre projet national. Que diriez-vous si on faisait des politiques d’élargissement des droits sociaux (contre la discrimination à l’emploi, contre la discrimination salariale, pour faciliter la syndicalisation) un modèle égalitariste d’intégration des immigrants au Québec ? Que diriez-vous si on combinait le modèle d’intégration interculturelle qui se situe au niveau de la culture, à un véritable modèle égalitariste d’intégration économique, sociale et politique ?

L’importante reconnaissance de la réalité de l’oppression linguistique.

« La langue française est menacée, écrit le document. Freinée par les entraves incessantes que lui impose le gouvernement canadien, la politique linguistique du Québec n’arrive pas à atteindre son principal objectif, soit celui d’assurer l’utilisation du français comme langue nationale et comme langue de communication. » (page 8)

Mais le document laisse dans l’ombre les politiques des gouvernements libéral et péquiste sur la question linguistique et les débats qui ont traversé le Québec, y compris le mouvement souverainiste, à ce propos. On est invité à discuter des effets du contrôle d’Ottawa sur les domaines des communications et de la culture et des impacts des décisions de la Cour suprême du Canada charcutant la loi 101. Mais pas à discuter des grandes orientations d’une politique linguistique indépendantiste pouvant faire face aux défis actuels.

La loi 101, a été la reconnaissance du caractère dramatique de l’oppression linguistique – qui s’exprimait par la faible attractivité du français – et de la société québécoise francophone elle-même sur les nouveaux arrivants qui tendaient à s’angliciser. Si on laissait libre cours aux rapports de domination culturels, la nation québécoise se serait irrémédiablement affaiblie. Il y a à ce phénomène des explications économiques et politiques. Mais, il y avait d’abord un double projet contradictoire présenté par la société d’accueil, l’intégration à la société canadienne ou l’intégration à la société québécoise. Et ce choix était d’autant plus contradictoire que la société québécoise se trouve elle-même divisée sur ses perspectives politiques d’avenir entre le fédéralisme autonomiste et la souveraineté. Et c’est la liaison entre l’indépendance et la défense de la langue française comme langue nationale qu’il faut expliciter et défendre.

Pour nous attaquer aux vrais problèmes concernant la langue française, il faut préciser notre position concernant la question de la mondialisation et la façon dont nous devons y réagir pour défendre la langue française et notre souveraineté populaire à ce niveau. L’attraction de l’anglais, sa domination comme langue internationale, c’est la domination de cette langue parmi les décideurs économiques. Et la défense de la langue française passera par la remise en question de cette domination, par la reprise en main de notre économie par la nation québécoise par l’intermédiaire de ses institutions publiques. Voilà des questions essentielles que l’on ne peut esquiver lorsqu’on veut refonder le discours indépendantiste.

Que diriez-vous si on faisait des politiques d’élargissement des droits sociaux (contre la discrimination à l’emploi, contre la discrimination salariale, pour faciliter la syndicalisation) un modèle égalitariste d’intégration des immigrants au Québec ? Que diriez-vous si on combinait le modèle d’intégration interculturelle qui se situe au niveau de la culture, à un véritable modèle égalitariste d’intégration économique, sociale et politique ?

« La culture et les médias sous contrôle fédéral » et de monopoles capitalistes

L’État fédéral a les sous et il exerce son contrôle sur les arts et les médias. C’est un fait. Mais au-delà des obstacles dressés par l’État canadien, il y a des constats qui doivent être faits sur l’insertion du Québec dans la chaîne géopolitique nord-américaine. Sinon, on est conduit à négliger deux problématiques essentielles : la domination de la culture américaine qui accompagne sa domination économique et politique d’une part et la concentration des grands médias et des instruments de production et de diffusion de la culture aux mains d’un nombre restreint d’entreprises, dont la totalité, en ce qui concerne ces médias, sont aux mains de fédéralistes québécois déclarés et actifs. Ils sont prêts à diffuser une culture spectacle abêtissante et démobilisatrice. Que diriez-vous si le Québec indépendant démantelait les monopoles médiatiques qui règnent au Québec ?


2. Blocages économiques et en matière de développement durable (page 11 à 15)

Que face à la crise, l’État fédéral ait favorisé l’Ontario et l’Ouest canadien, voilà un constat incontournable. Mais affirmer trop rapidement que les « intérêts économiques du Canada diffèrent de ceux du Québec, qu’il s’agisse de l’exploitation des ressources naturelles et de l’énergie, de l’environnement, du développement industriel ou du commerce extérieur. » « Ajouter que « Le Québec, grâce par exemple, à ses énergies nouvelles et renouvelables est bien placé pour faire face à l’après-pétrole » c’est fermer les yeux sur de bien gênantes réalités. (page 11)

Des intérêts énergétiques en conflit. Vraiment ? Quelle est la nature de ce conflit ?

La majorité « canadian » a-t-elle vraiment les mêmes intérêts que l’oligarchie financière qui domine au Canada ? A-t-elle intérêt au dégagement massif des gaz à effet de serre ? A-t-elle intérêt de voir le secteur industriel s’effondrer au profit d’une économie d’exportation de matières premières ? La majorité populaire n’a pas les mêmes intérêts ? Il ne s’agit pas ici d’abord de valeurs éthiques, mais bien plutôt de valeurs en bourse. Par exemple, l’exploitation du pétrole divise la nation québécoise. La Caisse de dépôt et placement n’est-elle pas une institution québécoise ? N’est-elle pas également une investisseuse importante dans l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta ? N’en est-on pas à se poser des questions sur les conditions sécuritaires de l’exploitation du pétrole du golfe St-Laurent si on nous offrait de fortes redevances ? Les ressources de l’île Anticosti ne sont-elles pas si importantes en fait, que des responsables politiques ont décidé de ne pas les nationaliser ? Est-on prêts à rejeter le rôle des scheiks québécois du pétrole prêts à satisfaire la demande américaine ? Notre avenir pétrolier (et gazier) ne risque-t-il malheureusement pas d’être bien réel ? Notre souveraineté, n’est-ce pas d’abord le refus des dépendances qu’on veut nous imposer ? N’est-ce pas le refus de types de développement qui vont à l’encontre des intérêts de la majorité de la nation ?

Que diriez-vous si nous pouvions avoir le plein contrôle se développement de nos richesses naturelles ? Que diriez-vous si nous avions le pouvoir de déterminer par nous-mêmes les types d’énergie que nous voulons utiliser à l’avenir ? Et quelles sont les conditions qui rendraient cela possible ? Au lieu de prétendre régler des problèmes qui sont encore devant nous, il serait important, comme indépendantistes, d’éviter d’esquiver ces importantes questions.

Richesses naturelles et rapports de propriété ou les conditions du Maître chez nous !

La dénonciation de l’État canadien est juste et nécessaire. L’impact sur notre société des politiques fédérales est intolérable. Précisons donc les intérêts qui sont en jeux et on comprendra un peu mieux comment la souveraineté s’inscrit dans une démarche qui se heurtera aux intérêts de toutes les puissances économiques sur ce territoire ? Comment allons-nous tenir compte de ces réalités dans la poursuite de notre lutte pour l’indépendance politique ? Quelles sont les conditions permettant d’une politique industrielle, environnementale, d’aménagement et de transport intégré et inspiré par une véritable planification écologique ? Ici, comme ailleurs, l’optique institutionnelle du document évite les débats essentiels à la défense d’une perspective souverainiste sur le contrôle de notre économie. Ainsi, on ne souffle mot des conditions de notre souveraineté alimentaire ? De l’agriculture de proximité ? Du dépassement d’une agriculture agro-industrielle exportatrice et polluante ? Toutes ces problématiques sont évacuées alors qu’elles nous semblent essentielles à aborder dans l’optique de l’avenir d’une société québécoise indépendante.

Au-delà des blocages de l’État canadien, les conditions de la réorientation de notre commerce inscrit dans le contexte de la dépendance avec les États-Unis.

Dans le texte, on pose la nécessité d’une réorientation du commerce canadien sur le Québec. C’est à prendre en considération, c’est certain. Mais, la problématique qui est devant nous, c’est la dépendance de notre commerce envers les États-Unis ? Comment dépasser cette dépendance ? Comment réorienter l’appareil productif pour amenuiser cette dépendance ? Quelles conditions économiques et sociales va rendre possibles cette réorientation de l’appareil productif ? Voilà des questions incontournables pour des indépendantistes qui veulent dessiner des perspectives d’une économie réelle d’un Québec indépendant.

Politique de l’emploi et les fruits amers de la concertation.

Parler de chômage et de précarité, sans poser le modèle néolibéral face au travail, c’est encore une fois se détourner des questions essentielles. La question du chômage se pose pour nous à l’époque de la domination du modèle néolibéral. Soit la réduction généralisée du temps de travail sans baisse de salaire, soit la généralisation du travail à temps partiel et de toutes les formes de précarité, voilà l’alternative que nous propose le modèle d’accumulation néolibérale ? Soit la prolongation du temps de travail soit sa réduction ? Soit la retraite à 60 ans ? Soit la retraite à 67 ans ? Soit le refus du transfert des gains de productivité vers la majorité de la population, soit l’encaissement de ces gains par la hausse des dividendes aux actionnaires.

La concertation socio-économique des acteurs gouvernementaux, patronaux, syndicaux, institutions n’est pas l’élément d’une politique de l’emploi. Les sommets 1996 l’ont démontré. La concertation n’a servi qu’au gouvernement et au patronat. Les intérêts sont contradictoires. Refuser de le reconnaître c’est faire le jeu du patronat. Et ce n’est pas le statut du Québec qui est déterminant même si cela n’est pas négligeable. Regardons l’Europe. Le modèle keynésien est affaire du passé. L’offensive est générale dans tous les pays. Pourquoi ? Parce que les peuples ne voudraient pas de concertation ? Non. L’oligarchie financière qui domine n’en veut pas. Elle veut imposer ses solutions.

Que diriez-vous si au lieu de poser la seule question de l’iniquité fiscale entre le fédéral et le provincial, la lutte pour l’indépendance nous amenait à poser l’autre iniquité fiscale ? Que diriez-vous si la lutte pour l’indépendance était l’occasion d’une remise radicale en question de la distribution actuelle de la richesse où une minorité (le 1% disent les Indignés) détient la majorité du patrimoine financier, productif, mobilier et immobilier ? Que diriez-vous si,au lieu d’aider les possédants comme ailleurs, nous confiions à l’État du Québec la planification d’une véritable réindustrialisation écologique centrée sur l’économie d’énergie, sur le transport public et sur le développement d’énergies renouvelables ? Que diriez-vous si nous faisions de l’indépendance le moment d’une véritable réappropriation démocratique et sociale de notre richesse collective ?

Identifier les entraves du système canadien, c’est essentiel. Mais en rester là, c’est ce contenter d’une souveraineté désincarnée, sans établir les nouveaux possibles pour la majorité d’une véritable indépendance nationale.


3. Blocage dans le développement des régions et l’aménagement (p. 16 à 19)

En plus, le gouvernement du Québec s’autoexclut en subventionnant le secteur privé et en maintenant la privatisation de secteurs stratégiques essentiels de l’économie du Québec (chantiers maritimes, construction du transport du matériel roulant). Sans parler la perte d’expertise dans les travaux d’infrastructures qui sont confiés au secteur privé avec toutes les conséquences corruptrices qui s’en sont suivies.

Réserves autochtones au-delà des espaces qu’on perdrait. On ne peut discuter la question du territoire dans la perspective de la souveraineté du Québec sans réfléchir au droit à l’autodétermination des nations autochtones qui vivent au Québec et à leurs réclamations territoriales afin de déterminer les relations – sur ce terrain également – que nous voulons établir avec ces nations.

Décentralisation comme objectif stratégique. La description des obstacles institutionnels dressés par Ottawa nous apporte un éclairage intéressant, mais il est trop partiel et reste dans l’ombre d’autres dimensions. Malheureusement, c’est celles liées aux dimensions démocratiques de la décentralisation du pouvoir vers les citoyens et citoyennes et des conditions de la réalisation de cette décentralisation démocratique. Ce n’est pas là un débat secondaire à remettre à plus tard, car il peut ouvrir des pistes mobilisatrices dans le soutien à la souveraineté du Québec.

Des politiques de transport qui nous échappent encore plus qu’on peut le penser. Il faut poser dans toute son ampleur le caractère stratégique de la question de la voie maritime du St-Laurent. La gestion de la voie maritime ne relève pas seulement de l’État canadien, mais également des États-Unis. En ce moment même, le gouvernement Harper, sous l’injonction des États-Unis, cherche à unifier sous contrôle militaire canado-américain l’ensemble de la circulation sur la voie maritime du St-Laurent au nom de la lutte contre le terrorisme. Si on ne veut pas se fermer les yeux, poser la question du contrôle sur la voie maritime du St-Laurent par le Québec s’est affronté un enjeu stratégique majeur où est impliqué également le gouvernement de Washington. D’ailleurs, ce point nous permet de rappeler la question du poids du contrôle des États-Unis sur une partie des richesses du Québec. Cette question doit être partie prenante des débats que nous devons mener sur les différentes dimensions de la lutte pour l’indépendance.


4. Blocage en matière de redistribution fiscale et sociale (p.20 à 23)

La description de l’iniquité fiscale et de la position dominante d’Ottawa qui utilise ce pouvoir pour imposer ses politiques est tout à fait à propos. Encore une fois, la souveraineté s’impose pour pouvoir construire une société indépendante qui réponde aux besoins de la majorité. Mais il faut également, dans une optique indépendantiste, poser la question de l’autre iniquité fiscale, celle qui refuse d’effectuer une véritable et radicale redistribution de la richesse qui nous permettra de construire une société indépendante qui ne sera pas asservie à l’oligarchie et aux puissants.

L’éducation néolibérale est contre l’indépendance de notre nation. La hausse des frais de scolarité est une initiative du gouvernement du Québec. Elle est antisociale, elle s’oppose à l’extension du droit à l’éducation au plus grand nombre. Elle s’appuie sur le mythe du manque de richesse alors que la politique fiscale des dernières années a conduit à réduire l’impôt des plus riches et à défiscaliser la richesse (et à remettre des milliards aux grands patrons du Québec.)

Il y a aussi une conception néolibérale de la santé. La dénonciation du gouvernement central est exacte et mérite d’être soulignée. Mais cacher la responsabilité des élites au pouvoir à Québec pour le sous-financement de la santé, le soutien à la privatisation, leur soutien aux grandes pharmaceutiques, y compris à leur démagogie sur la recherche, c’est refuser de voir que ces politiques ont miné et minent le soutien à la souveraineté du Québec, particulièrement quand elles sont le fait de ces élites qui se disent souverainistes.

La lutte contre la pauvreté doit devenir un combat des indépendantistes québécois. Nous ne devons pas cacher l’aspect odieux de la double iniquité fiscale, celle ayant origine à Ottawa et celle ayant pour origine les choix néolibéraux des élites québécoises qui agissent contre la majorité nationale de leur peuple minant ses aspirations à l’indépendance nationale. La dénonciation des agissements du gouvernement central dans le maintien de la pauvreté, de l’injuste répartition des richesses est une tâche essentielle. Mais on ne peut pas parler des deux côtés de la bouche. On ne peut d’une part faire cette dénonciation et être, comme souverainiste, les champions de la stagnation du salaire minimum ou des hausses ridicules de ce dernier. Quand on multiplie la défiscalisation des richesses et revenus des plus riches, quand on permet l’évasion fiscale et qu’on multiplie les contrôles contre les personnes assistées sociales, on ne démontre pas que notre reprise en mains de tous nos pouvoirs conduirait à l’amélioration du sort de la majorité, on agit dans le sens contraire. On n’agit pas en indépendantistes.

Que diriez-vous d’éliminer tant le déséquilibre fiscal avec Ottawa que le deuxième déséquilibre fiscal qui règne au Québec entre l’oligarchie régnante et la majorité des citoyennes et citoyens du Québec ? Que diriez-vous de renforcer notre marge de manœuvre en refusant la concentration des richesses dans les mains de l’oligarchie financière qui règne au Québec ?


5. Blocage du Québec dans le monde. (p.24 à 26)

Parler du Québec dans le monde sans poser le problème des rapports économiques, c’est passer à côté de l’essentiel. Le débat essentiel concernant la souveraineté du Québec dans les dernières décennies a été la question du libre-échange. Il y a eu ici une convergence entre les élites nationalistes, fédéralistes du Québec et du Canada. L’acceptation, plus la promotion du libre-échange avec les États-Unis, soutenue par les élites québécoises fédéralistes ou nationalistes constituait un renoncement à notre souveraineté nationale et une acceptation du renforcement de la domination américaine sur l’économie du Québec.

Mondialisation ou altermondialisation. Le choix de la présence du Québec dans les instances internationales est une question d’autodétermination nationale. C’est une exigence incontournable. Mais il faut choisir les instances internationales. Le Québec doit-il être partie prenante des alliances militaires qui ne servent qu’à protéger le contrôle par les pays dominants des richesses énergétiques ou des ressources naturelles des pays dominés ? Cela va à l’encontre de nos valeurs pacifistes et notre volonté de collaboration avec les peuples ? Devions-nous soutenir les accords de libre-échange (comme l’ALENA) ou des accords comme la ZLÉA que le peuple du Québec a massivement rejetés malgré la position de ses élites ? Voilà les questions qui ont été posées récemment au Québec et qui concernent notre souveraineté ?

Ne faut-il donc pas se prononcer sur ce point et faire du retrait de ces alliances militaires un axe du combat pour notre souveraineté nationale ? Il en est de même de l’OMC et de la Banque mondiale organismes qui ont contribué à déstabiliser nombre de pays du tiers-monde en les obligeant à adopter des politiques d’ajustements structurels qui les ont menés au renforcement de leur dépendance par rapport aux pays occidentaux.

Que diriez-vous si on pouvait se retirer de toute alliance militaire comme l’OTAN et NORAD ? Que diriez-vous si notre participation dans des organismes ayant un caractère démocratique ou dans lesquels nous devrions lutter pour leur démocratisation ? Que diriez-vous si on favorisait une autre mondialisation au service de la coopération internationale des peuples et non une mondialisation permettant à des compagnies québécoises de pouvoir faire des affaires avec les dictateurs sanguinaires comme SNC-Lavalin a été un scandaleux exemple ? Que diriez-vous si on pouvait assurer la collaboration avec d’autres États libres pour lutter contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux ?


6. Blocage constitutionnel et institutionnel (p. 26 à 29)

Il est tout de même étonnant qu’on ne pose pas plus largement la question des autres nations opprimées dans le cadre de l’État canadien (nations acadienne, autochtones, Inuit...). La question des Autochtones est abordée rapidement d’un point de vue historique, pour saluer les positions du Québec envers les Premières nations. Mais les rapports entre la souveraineté du Québec et les aspirations et les revendications des Premières nations ne sont jamais abordés. Comment poser la question de la souveraineté du Québec sans poser sérieusement la question de leur droit à l’autodétermination, droit que nous réclamons pour nous ? Il s’agit là d’un oubli essentiel.

Le fond de la question ce n’est pas que les institutions soient opposées aux valeurs québécoises, c’est bien plutôt qu’il y a une domination nationale du Québec par l’État canadien qui défend les intérêts de la classe dominante de la nation dominante qui contrôle cet État. Que diriez-vous si on instaurait un mode de scrutin proportionnel qui permettrait que tous les votes comptent ? Que diriez-vous que cette constitution soit élaborée démocratiquement par une constituante élue au suffrage universel, et paritaire au niveau de sa composition de genre et que ce projet de constitution soit soumis à un référendum de ratification ?


Conclusion – Québec province ou Québec pays ? (Page 30)

« Comment s’en sortir ? » écrit enfin le document en toute fin. La réponse est pour le moins synthétique. "Par la voie démocratique. Par la volonté majoritaire de la population". (page 30) Mais n’est-ce pas là la véritable question qu’on a sérieusement évité de décliner dans ces différentes dimensions ? Comment construire cette volonté majoritaire en faveur de l’indépendance du Québec ?

Comment construire au cœur de la vie de cette nation, cette volonté majoritaire pour un État du Québec réellement indépendant ? Ce projet national d’indépendance peut-il faire abstraction d’un projet social ? Si nous répondons non ? Quel est ce projet social qui peut être une force motrice de l’aspiration à l’indépendance nationale ? Car la question centrale c’est celle du ralliement de la majorité de la nation québécoise à son indépendance ? Ne serait-il pas temps de lier dans une démarche unique le triple combat démocratique, indépendantiste et social pour le Québec que nous voulons ?

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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