Édition du 17 décembre 2024

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Premières Nations

Le difficile pétrin du pardon

Malgré leur accueil des demandes de pardon du pape en sol canadien, plusieurs chefs autochtones, dont Konrad Sioui et RoseAnne Archibald, ont persisté et affirmé qu’elles étaient incomplètes et insuffisantes.

Qu’est-ce qui manquait justement ?
1) Les demandes d’excuses ont été exprimées à propos des actes de violence physiques, mentaux et spirituels commis. Pas un mot sur ceux de type sexuel à Edmonton. Il s’est rattrapé à Québec.
2) Les formulations ne nommaient pas les responsables des méfaits : « pardon pour le mal commis par certains nombres de catholiques » dit François. Aucune mention des prêtres et religieuses ni de l’institution-église impliqués.
3) L’abrogation de la doctrine de la découverte n’a pas été prononcée. Aucune mention des pratiques génocidaires de l’institution-église depuis le début des colonisations. Un pape ne peut contredire d’autres papes qui ont signé des bulles autorisant l’assimilation morale et physique forcées. Notons que ces crimes ne se sont pas seulement déroulés au XVIe siècle, mais durant les cent cinquante dernières années alors que les droits de la personne et d’autres chartes avaient été promulgués.
4) La nécessité de compensations financières n’a pas été mentionnée. Aucun sou ne serait encore versé. On parle de 40 000 $ seulement pour chaque victime, ce qui est dérisoire, vu les décennies de souffrance et les vies happées.

Cependant, la reconnaissance du génocide culturel, mentionnée in extremis dans son avion qui le ramenait à Rome a allumé un bûcher où les coupables devraient expier leurs offenses : « (avoir) contribué aux politiques d’assimilation culturelle et de séparation » spécifie le pape.

Le crime de génocide, planifié en vue d’éliminer un peuple et sa culture, ne concerne pas seulement un individu ou « certains nombres de catholiques », mais des communautés entières sur des siècles. L’ampleur des chiffres parlent par eux-mêmes : 150 000 enfants enlevés de force à leurs parents, 6 000 pensionnaires périssent à cause de mauvais traitements…

L’accusation ici ne vient pas seulement de l’extérieur (la Commission de vérité et de réconciliation mentionnait déjà un génocide culturel en 2015) ni encore d’un tribunal, mais du pape lui-même.

Comment réparer les pots cassés ? Du côté de l’institution-église, les membres de la curie romaine peuvent prétendre que cette déclaration est privée et ne les engage pas. Ce n’est pas prononcé ex cathedra. Ils n’ont pas été consultés, donc ce n’est pas un geste collégial. Exactement comme quand, dans un autre avion qui le ramenait de voyage, le pape a démontré une ouverture à l’endroit des gais en proclamant : « Qui sommes-nous pour les juger ? » Même pas un an après, un synode des évêques sur la famille étouffe cette avancée et confirme la position opposée.
De plus, selon le dogme de l’infaillibilité de l’institution-église, qu’un pape abroge les écrits de ses prédécesseurs (la bulle Inter Caeterade édictée en 1493 par Alexandre VI offrant des terres aux colonisateurs et bénissant l’assimilation totale des peuples envahis à la foi catholique) prouverait qu’elle s’était trompée dans son jugement et ses pratiques séculaires. C’est inacceptable pour le magistère. Cela ouvrirait la porte à l’abrogation de leur position millénaire contre l’ordination des femmes et les gays.
De ce côté de l’Atlantique, comment le pape va-t-il entraîner les prélats canadiens à réparer l’irréparable ? Un synode pancanadien sur le sujet arriverait à point nommé afin qu’ils posent les gestes concrets et satisfaisants de réparation. Suivra une lettre post-synodale papale qui formulera les demandes complètes de pardon.
Du côté du gouvernement fédéral, des compensations financières et territoriales doivent être négociées à l’entière satisfaction des Autochtones blessés.
Les actes tangibles de réparation aux niveaux ecclésial et gouvernemental complèteront la deuxième moitié manquante au processus de pardon entamé.
Le pèlerin venu rayer le feu l’embrase. C’est peut-être pour mieux l’éteindre.

Bernard Anton, théologien
auteur de Lettre à poster

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