Édition du 15 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le congrès de Québec solidaire des 27-29 mai 2016 : offensive à droite sans précédent sous couvert d’un faux débat

Comme on pouvait s’y attendre, les propositions d’amendement à ce qui s’annonce comme le débat majeur du congrès Solidaire de la fin mai, soit la dite stratégie de la Constituante pour parvenir à l’indépendance, renforcent la déconnexion des cinq options retenues tant vis-à-vis les grands enjeux sociaux de l’heure que des rapports de force réellement existants [1].

Il est pourtant facile de comprendre que n’importe quelle assemblée constituante débouchant sur un référendum et issue d’un gouvernement indépendantiste aura de facto comme but la constitution d’un Québec indépendant quelque soit le byzantinisme du mandat constitutionnel. Il serait ridicule et capitulard que la montagne souverainiste accouche d’une souris provinciale, étant donné que les pouvoirs stratégiques monétaro-financiers, répressifs et internationaux sont à Ottawa, ou présomptueux et contradictoire qu’elle génère un projet pan-canadien étant donné le blocage historique du Quebec bashing inhérent au nationalisme canadien. Ce faux-débat imposé au congrès est du même acabit que les questions alambiquées des référendums de 1980 et 1995 pour ne pas avouer leur caractère indépendantiste alors que personne ne s’y trompait.

Fédéralistes comme autonomistes ajusteront leur tactique en conséquence jusqu’à et y compris le boycott et, s’il le faut, la coercition financière et même armée en collusion avec l’impérialisme étasunien. Les coups de la Brink’s et les invasions militaires de 1970 et de 1990 sont là pour en témoigner. Les Solidaires de la région de la Capitale nationale tentent de ramener la réalité des rapports de force dans le débat en affirmant qu’ils sous-tendent l’élection d’un gouvernement Solidaire nécessaire à l’amorce du processus constitutionnel et référendaire. C’est là se tromper de terrain ce qui amène à jouer à l’apprenti-sorcier. Quelque soit l’usage que la rue peut faire des élections, et il peut être important, les rapports de force se transforment essentiellement à travers les luttes sociales comme l’a montré au Québec la décennie 1966-1976. Une élection, par contre, peut toujours se gagner par le jeu du balancier provoqué par l’écœurement face au gouvernement en place. Il n’y a pas plus catastrophique que l’élection d’un gouvernement de la gauche radicale sans mobilisation sociale, ce qu’a démontré l’élection de la présidence Lula en 2002 et celle du gouvernement Syriza en 2015. Une Constituante à froid en serait une introuvable.

Une stratégie indépendantiste se construit hors institutions même si elle comporte un moment constitutionnel. Elle consiste à semer les graines d’une grève sociale. Tout comme de la gratuité scolaire a germé le Printemps érable, de la gratuité des transports collectifs, revendication enterrée jusqu’ici par les porte-parole dans la plate-forme Solidaire, pourrait surgir une grève sociale érable pour le plein emploi écologique. Le peuple d’en bas, incité par Québec solidaire et encouragé par sa stratégie de mobilisation sociale, pourrait éliminer le sabotage de la bureaucratie syndicale qui vient d’empêcher le Front commun de se muer en grève sociale anti-austérité. La stratégie Solidaire s’articule dans un plan « Sortir du pétrole » libéré du carcan du capital financier et énergivore ce qui exige l’indépendance pour exproprier banques et consorts tout comme pour s’approprier les pouvoirs de régir énergie et transport.

Le plan « Sortir du pétrole » et son cadre financier ne sont pas à l’ordre du jour du congrès soi-disant parce qu’ils font partie de la plate-forme et non du programme alors que pourtant ils en sont l’axe stratégique. En fait le plan et le cadre présentés au deux dernières élections n’ont jamais été discutés et votés par les instances de base du parti et ont toujours été imposé par le centre en pleine période électorale suite à un processus opaque. On comprend pourquoi quand on constatait leurs limitations capitalisme vert. On se dit que cette fois-ci, le parti procédera à leur élaboration selon un processus interne, avec consultation externe, digne de celui qu’il souhaite pour l’assemblée constituante. Ce qui est bon pour le peuple québécois devrait être bon pour les membres du parti. À eux d’y voir. Reste que ce congrès-ci a à son ordre du jour l’objectif que doit atteindre le plan « Sortir du pétrole » et son cadre financier, soit les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

La commission politique propose la cible canadienne de 67% originant du Climate Action Tracker. Le Comité de coordination nationale (CCN) propose plutôt la cible de 53% proprement québécoise originant de l’IRIS. Même si le CAT, en cette matière, a une assise plus solide que l’IRIS, il faut admettre que tant la structure que l’historique du Canada en matière de GES se différencient nettement de ceux québécois. Rallions-nous alors à la cible de l’IRIS d’autant plus que où le bât blesse, en autant que la cible soit ambitieuse en conformité avec la gravité de la crise climatique, c’est au niveau des moyens. Ceux-ci sont tout à fait inadéquats, au Québec comme ailleurs dans le monde, même pour atteindre la cible limitée proposée par les Libéraux (37.5% en 2030). Résoudre cette contradiction sera l’objet du plan d’action « Sortir du pétrole ». Car pour les partis néolibéraux, en fait pour tous les gouvernements de ce monde, le problème des moyens est renvoyé aux Calendes grecques des innovations technologiques et des investissements gigantesques, financés par l’austérité, lesquels captureraient les GES que continueraient de produire à profusion pétrolières, gazières et charbonnières tout en admettant un tantinet d’énergie renouvelable, de transport public et d’urbanisme moins axé sur l’automobile.

Pour ce débat comme pour bien d’autres le loup centriste dans la bergerie de gauche prend le visage de la circonscription de Gouin, celle de la porte-parole députée. Gouin n’attend qu’une chicane sur les chiffres de la cible de réduction des émissions de GES pour les éliminer tous au nom de la généralité du programme, en fait pour laisser les mains libres à la direction centrale. Gouin cherche aussi, au nom de l’électoralisme, à protéger l’auto privée et à laisser le champ libre au capitalisme vert tout comme elle veut que l’économie privée soit mise sur le même pied que l’économie publique au nom de la valorisation de la PME. (Pour ce qui est de la caractérisation du type d’économie qui est la nôtre et des transformations à y apporter, il est invraisemblable que la proposition principale ignore qu’elle est capitaliste et que son noyau en est un réseau de transnationales dont le capital financier est le cœur. Il faudrait au moins rectifier le tir en adoptant l’ensemble des amendements de la circonscription de Crémazie à cet égard.)

Comme on pouvait s’y attendre, le centrisme programmatique de Gouin se conjugue à la centralisation de la direction et à l’étiolement de la démocratie interne. Gouin veut que le CCN valide sans appel les candidatures et se substitue au Conseil national (CN) pour l’appui d’une candidature extérieure ; ouvre la porte à l’accaparement des porte-parole par la députation tout en créant un poste de président-secrétaire général à plein temps ; veut réduire le nombre de membres au CCN ; veut réduire substantiellement les délégations au congrès, réduire sa fréquence au quatre ans sans modifier la fréquence des CN et enlever aux observateurs la possibilité d’y prendre la parole ; veut réduire les délégations au CN à seulement deux personnes par circonscription sans exception et aussi faire des observateurs des potiches silencieuses ; veut réduire le nombre de collectifs en triplant le seuil plancher de leurs membres ; veut réduire l’influence des comités thématiques à la fois en les coupant de la Commission politique et en les soumettant à son pouvoir ; veut enlever aux instances du parti leur droit d’exprimer publiquement leur dissidence ; veut renforcer la soumission des instances locales au centre du parti ; veut enlever au CN et donner au CCN le pouvoir de préparer les congrès et de déterminer les campagnes politiques.

On ne s’y trompe pas. Il y a là une offensive droitière sans précédent prise en charge par la circonscription de la porte-parole députée. Pour être bien compris, il est explicitement proposé d’éliminer le poste de responsable aux communications et celui de la présidence tous deux détenus par des personnes réputées de l’aile gauche du parti. On se dit qu’a été entendu dix sur dix le message du journal Le Devoir exprimé à travers l’ex journaliste et auteur de gauche Louis Fournier [2], journal que Québec solidaire voudrait gagner à sa cause. Québec solidaire n’a jamais tenté de soutenir un media alternatif même quand Rue Frontenac, journal des lockoutés de Québécor, en réunissait toutes les conditions. De tonitruer Fournier qu’il est « difficile de faire alliance avec des gens aussi dogmatiques et qui se croient en possession de la vérité, héritage des vieilles certitudes de leur passé marxiste-léniniste [la porte-parole-députée est une ex ML, ndlr]. […] C’est le seul parti qui accueille en son sein des collectifs marxistes, dont des groupes trotskystes qui se qualifient de révolutionnaires. » De conclure Fournier : « ...le PQ est un parti de centre gauche, progressiste et également pragmatique, qui appartient à la grande famille de la social-démocratie. […] À cet égard, la Coalition avenir Québec paraît plus proche du PQ que ne l’est Québec solidaire, pour qui une telle approche relève du capitalisme néolibéral. »

La messe est dite. Le message est clair : Madame la députée-porte-parole (et cheffe réellement existante), faites le ménage afin de revenir dans le droit chemin de la convergence nationaliste si vous voulez un jour l’appui du Devoir. Avec le départ précipité du chef péquiste PKP, vous n’avez plus d’excuse.

Marc Bonhomme, 15 mai 2016

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca


[1La région de Montréal, à l’initiative de votre serviteur, avait fait un amendement substantiel chapeautant l’ensemble des options ce qui aurait atténué le caractère déconnecté des options en débat. Malheureusement, la direction de la région a « oublié » de transmettre à temps l’ensemble des amendements votés à son assemblée générale.

[2Louis Fournier, QS c. PQ : extrême gauche contre gauche réformiste, Le Devoir, 9/05/16

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