Édition du 17 décembre 2024

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Israël - Palestine

Le chercheur israélien spécialiste de l’Holocauste, M. Raz Segal, décrit l’assaut d’Israël sur Gaza comme un cas d’école de génocide

« Un cas d’école de génocide : Israël a été clair quant à son action dans Gaza. Pourquoi le monde ne l’entend-t-il pas » ?

Democracy Now, 16 octobre 2023
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : « Un cas d’école de génocide : Israël a été clair quant à son action dans Gaza. Pourquoi le monde ne l’entend-t-il pas » ? C’est le titre d’un nouvel article publié dans Jewish Currents par notre invité, Raz Segal. Il est historien, israélien, il enseigne l’Holocauste et les études sur le génocide à l’Université de Stockton. Il y est professeur reconnu pour les études sur les génocides modernes. Il nous rejoint depuis Philadelphie.

Professeur Segal, soyez le bienvenu à Democracy Now. Présentez-nous votre position.

Raz Segal : Merci de l’invitation.

Je pense, que ce que nous voyons à Gaza est un cas de génocide. Il faut savoir que la Convention des Nations Unies pour la prévention et la punition des crimes de génocide de 1948, exige qu’il y ait des preuves d’intention pour parler de génocide. Et cette convention parle d’intention de détruire un groupe racial, ethnique, religieux ou national en tant que collectivité, pas que les individus.es. Cette intention, (…) est étalée devant nous par les politiciens.nes et les officiers.ères militaires israéliens.nes depuis le 7 octobre dernier. Nous avons entendu le Président israélien. Il est de notoriété publique que le ministre de la défense M. Yoav Gallant a déclaré le siège complet de Gaza. Il y a coupé l’eau, la nourriture, le carburant disant : «  nous combattons des animaux  » et nous allons réagir « en conséquence ». Nous savons que le porte-parole de l’armée israélienne, M. Daniel Hagari, par exemple, a avisé qu’il y aurait de la destruction indifférenciée et a clairement déclaré : « L’accent mis sur les dommages n’est pas pertinent ». Donc, l’exposition de l’intention particulière est clairement donnée. Et je dois dire, réellement, si cela n’est pas une intention spéciale de commettre un génocide, je ne vois ce que ça peut être.

Quand nous examinons les gestes posés, comme la pluie de centaines et milliers de bombes en quelques jours dont des bombes au phosphore comme il a été dit, sur une des zones les plus peuplée au monde, en lien avec les déclarations d’intention précédentes, cela constitue sans aucun doute un génocide tel que la convention des Nations Unies le stipule. Et je dois dire qu’Israël l’enfreint aussi en causant dommages et préjudices physiques et mentaux (aux personnes) en créant les conditions de destruction d’une groupe, en coupant l’accès à l’eau, à la nourriture, aux carburants, en bombardant les hôpitaux, en ordonnant leur évacuation ce que l’OMS qualifie de « sentence de mort ». Donc, nous sommes face à des actes génocidaires avec une intention spéciale. C’est assurément un cas d’école de génocide.

A.G. : Pouvez-vous nous parler des déplacements ? Israël dit que toute la population de la partie nord de Gaza doit se rendre au sud. Jusqu’à maintenant, des centaines de milliers l’ont fait. Le nord de Gaza et Gaza Cité sont les plus peuplés.

R.S. : Certainement. En fait, c’est un ordre auquel il est impossible d’obéir. Certains groupes ne peuvent absolument pas partir : les personnes hospitalisées, les handicapés.es, les personnes âgées…Beaucoup de personnes refusent de quitter leur maison ; l’expérience et la mémoire de la Nakba les en empêchent. C’est un ordre auquel il est impossible d’obéir. Et c’est une autre indication de l’intention de détruire, de commettre un génocide.

Il vaut la peine de nous arrêter sur le terme distinctif « siège total » que le ministre de la défense, M. Y. Gallant a introduit. On pourrait croire à une expression totalement nouvelle mais, elle rappelle ce qui se passe réellement à Gaza depuis 17 ans, une des périodes les plus longues de l’histoire moderne. Déjà c’était une violation des lois humanitaires internationales. Il a fallu les derniers événements pour transformer ce siège en siège total. Ce qui est un signal clair de virage vers la destruction génocidaire.

Il faut aussi expliquer je pense, les raisons pour lesquelles Israël est si explicite dans ses déclarations. Nous avons entendu le Président parler du mal. Nous avons aussi entendu J. Biden employer ce mot. Les dirigeants.es de l’Union européenne qualifie le Hamas de « mal ». On doit dire que l’attaque du Hamas était clairement un crime de guerre, que les meurtres de masse de 1,000 civils.es israéliens.nes sont un crime horrible qui a choqué à juste titre, beaucoup de citoyens.nes de ce pays et de personnes dans le monde. Mais, « le mal » n’est pas un terme approprié pour décrire le Hamas. C’est un terme hors contexte. Il diabolise et nourrit la fabulation des Israéliens.nes qu’il s’agirait de leur lutte contre les Nazis. Le Premier ministre, M. Naftali Bennett l’a déclaré sans ambages hier dans une entrevue : « Nous combattons des Nazis ». Donc, si tel est le cas, tout est permis.

(…)

A.G. : Professeur, à ce moment-ci, je voudrais que nous passions à l’ancien Premier ministre Bennett qui est dans l’armée en ce moment. Il y a quelques jours, il a perdu son sang- froid lors d’une entrevue de Kamali Melbourne sur Sky News. M. Melbourne faisait pression sur lui à propos des attaques israéliennes contre les civils.es palestiniens.nes. Voici des extraits de cette entrevue :

Kamali Melbourne : Qu’en est-il de ces Palestiniens.nes hospitalisés.es qui sont sous respirateur, des bébés dans les incubateurs ? Que se passera-t-il quand il faudra les débrancher parce qu’Israël aura coupé le courant à Gaza ?

Naftali Bennett : Quoi ? Est-ce que sérieusement vous me questionnez à propos des civils.es palestiniens.nes ? Qu’est-ce qui ne va pas chez-vous ? N’avez-vous pas vu ce qui s’est passé ? Nous combattons des Nazis. Nous ne les visons pas. Le monde entier peut venir et leur apporter n’importe quoi s’il le veut ; l’électricité si vous voulez. Mais je ne vais pas fournir l’électricité à mes ennemis.es. Si quelqu’un d’autre veut le faire ça va. Nous ne sommes pas responsables de ces personnes.

K.M. : Mais, c’est la question.

N.B. : Vous persistez.

K.M. : Parce que c’est l’enjeu.

N.B. : Je veux vous dire…

K.M. : Non, non M. Bennett. C’est la question.

N.B. : Non, non, écoutez.

K.M. : Écoutez

N.B. : Maintenant, vous allez m’écouter.

K.M. : Non, vous élevez la voix. Et j’essaye….

N.B. : J’en ai assez entendu.

K.M. : Non, non, je comprends. Nous essayons d’avoir une conversation ….

N.B. : Je vous ai assez écouté

K.M. : Écoutez, c’est mon émission.

N.B. : Et c’est exactement …

K.M. : Et je pose les questions. Vous élevez la voix.

N.B. : Mais c’est mon pays.

K.M. Et je vous ai demandé. (…)

N.B. : Et quand les gens, quand les gens

(…)

K.M. : Laissez-moi finir. Nous avons déjà fait la différence entre….

N.B. : Honte à vous, Monsieur.

(Note de la traductrice) : L’échange continue sur ce ton. K. Melbourne souligne à M. Bennet qu’il s’agit d’une question sérieuse à laquelle il refuse de répondre.

A.G. : Donc, il s’agissait de l’ancien Premier ministre d’Israël perdant son sang-froid sur Sky News lors d’une entrevue de Kamali Melbourne. Professeur Segal, vous êtes historien. C’est ce dont vous parlez quand il utilise l’analogie Nazie et aussi quand il dit : « Parlez-vous sérieusement des civils.es palestiniens.nes » ? Que répondez-vous ?

R.S. : C’est exactement cela. Il est très important de comprendre le contexte de l’idée de la lutte contre les Nazis, de l’utilisation de la mémoire de l’Holocauste de cette manière. C’est un large contexte, une longue histoire de l’utilisation honteuse de la mémoire de l’Holocauste. Les politiciens.nes d’Israël l’utilisent pour justifier, rationaliser, nier, déformer, désavouer la violence de masse contre les Palestiniens.nes. Elle a permis le développement de la vision d’un Israël exceptionnel d’où proviendrait son impunité. La vérité par contre veut que tous les génocidaires voient leurs victimes comme dangereuses, vicieuses et inhumaines. OK ? C’est ainsi que les Nazis voyaient les Juifs.ves et c’est ainsi que les Israéliens.nes voient les Palestiniens.nes.

Les leçons de l’Holocauste n’ont jamais été de masquer et rationaliser la violence d’État et les génocides. Au contraire, c’est de protéger les groupes, spécialement les apatrides, les sans défense, ceux sous occupation militaire, sous siège d’États violents. Il est très, très urgent que les leçons de l’Holocauste soient entendues. Nous devons nous centrer sur les voix de ceux et celles qui font face à la violence, au génocide. Nous devons aller vers la prévention le plus vite possible. Pour cela, nous devons reconnaître que ce qui se passe autour de nous, ce qui se déroule sous nos yeux est vraiment un cas d’école de génocide avec sa rhétorique, ses actions et tout ce que cela implique.

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