Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Le budget Marceau : illustration du caractère néolibéral du gouvernement péquiste

Il s’agira ici d’examiner le budget Marceau non pour indiquer ses bons et ses mauvais points du point de vue des intérêts syndicaux, féministes ou populaires mais pour démontrer que sa logique suit pied à pied les prescriptions du discours néolibéral, ce qui nous dit déjà beaucoup sur la dynamique actuelle du gouvernement Marois.

1. Le contexte international et le contexte canadien

La situation économique mondiale est encore marquée par la crise de 2008. En Europe, c’est la récession qui frappe. Aux États-Unis, la reprise ne s’enclenche pas véritablement. Le chômage y reste massif. La population américaine est endettée et la politique du gouvernement Obama ne s’attaque pas véritablement au développement des inégalités. Le 1% des plus riches réclame des politiques qui favorisent une concentration plus importante encore des richesses dans leurs mains. La politique économique canadienne caractérisée par des baisses d’impôt des entreprises, par des coupures massives dans la fonction publique et la privatisation des secteurs entiers des entreprises d’État va dans le même sens. Surtout, si on y ajoute les attaques du gouvernement Harper contre les libertés des organisations syndicales.

2. La situation économique du Québec

Au Québec, le gouvernement Charest favorisait la même orientation néolibérale : diminution des impôts des plus riches, tarification des services publics, privatisation, soustraitance et partenariats public-privé. Le poids donné aux infrastructures routières s’inscrivait dans une logique de collusion et de corruption, du donnant donnant pour la classe d’affairistes peu scrupuleuse et des politiciens douteux. Les travaux publics ont ouvert la porte à des travaux surpayés et à la corruption.

Dans la suite des politiques du gouvernement Landry (PQ), le gouvernement Charest avait continué à baisser l’impôt des plus riches et à offrir aux entreprises une véritable aide sociale. C’est ainsi que l’industrie pharmaceutique continuait de recevoir les privilèges fiscaux et la liberté d’établir une véritable surfacturation des médicaments. Les entreprises exploitant des ressources naturelles se voyaient offrir des routes pour faciliter l’accès aux ressources naturelles et l’aménagement de ports pour desservir l’exploitation de leur gisement. Les membres de puissantes corporations comme celles de médecins spécialistes ou des ingénieurs réussissaient à toucher des rentes en se réservant une partie importante du budget.

3. Le gouvernement péquiste assume en grande partie un héritage qu’il disait rejeter

Comptant sur la force de leur représentation à l’Assemblée nationale, les organisations patronales sont rapidement montées au créneau et elles ont fait campagne pour que le gouvernement abandonne les concessions faites à la population et qu’il adopte une orientation néolibérale... de défense de leurs intérêts.

Le gouvernement péquiste a rapidement capitulé. Soit il s’est rendu aux exigences patronales, soit il a rapidement fait les premiers pas dans cette direction... qui en annoncent d’autres.

 Systématisation de l’aide sociale aux entreprises (subventions) et promesses de congés fiscaux .

 Recul sur la hausse des redevances minières... contrairement à ses promesses au nom de la défense de l’industrie des mines.

 Pas d’imposition à 75 % des gains de capital au lieu de 50 %.

Bref, le secteur privé se voit choyé et il profitera de l’argent public.

La majorité populaire, elle, devra payer et verra ses services diminués :

 Maintien de la contribution santé, modulée il est vrai pour masquer son caractère trop ouvertement régressif

 Dégel des frais de scolarité et leur indexation... contre la volonté de centaines milliers de jeunes qui s’étaient mobilisés pour le gel de ces frais sinon pour la gratuité scolaire.

 Indexation au coût de la vie des tarifs du bloc patrimonial d’électricité (au lieu et place d’une augmentation plus importante promise par Charest).

 Maintien des prestations d’aide sociale à un niveau indécent dont la prise en compte des pensions alimentaires comme un revenu de travail pour calculer l’admissibilité à l’aide juridique et à l’aide au logement.

4. L’objectif sacré de l’équilibre budgétaire dans les plus courts délais

Le Ministre Marceau a très rapidement fait siennes les fausses explications du déficit en reprenant les mythes de la droite. Et ce discours dont les mass media nous rebattent les oreilles est archiconnu. Nous vivons au-dessus de nos moyens. Il y a eu trop de dépenses publiques. Il faut donc restreindre ces dépenses. Il faut pour contrer le déficit et l’explosion de la dette un plan d’austérité qui assurera le maintien de notre cote de crédit, de notre capacité d’emprunter et protégera ainsi la capacité de l’État d’accompagner le secteur privé proclamé moteur de la relance et de la croissance.

Ce faux diagnostic néolibéral conduit à mettre de l’avant de fausses solutions : du côté des dépenses c’est la réduction ou le gel des dépenses du secteur public. Du côté des revenus, ce sont des nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises pour les inciter à investir sans se questionner sérieusement sur l’accumulation de liquidités considérables dans les coffres des entreprises - que l’on reconnaît par ailleurs - et qui ne sont pas investies dans l’économie productive pour cause de faible rentabilité.

L’analyse produite par l’oligarchie économique et ses intellectuels, les économistes de service, est adoptée d’emblée. On peut résumer leur thèse ainsi : l’austérité apportera la reprise, la hausse des dépenses publiques ne le fera jamais. Il n’est pas surprenant que les solutions qu’ils proposent rallient le gouvernement péquiste. La recherche de l’équilibre budgétaire passera donc, non par une réforme radicale de la fiscalité, mais par des coupures dans les dépenses publiques d’une part et par le soutien et l’accompagnement du secteur privé défini comme principal moteur de la croissance d’autre part.

Il n’est donc pas étonnant que les associations patronales se soient montrées globalement satisfaites du budget Marceau. C’est un budget qui adopte le point de vue d’une classe, le point de vue de l’oligarchie financière tout en osant se prétendre au service de la majorité des QuébecoisEs.

5. Les dépenses d’éducation, de santé, de la lutte à la pauvreté... sont réduites, contrôlées ou inscrites dans une logique d’aide sociale aux entreprises

a. En éducation, coupures, dégel et soutien au partenariat public-privé

Se donner comme objectif de parvenir à l’équilibre budgétaire, dans une période de ralentissement économique et de récession qui s’annonce, c’est reprendre la logique néolibérale la plus stricte, dont on voit les résultats désastreux se produire en Europe actuellement. Une politique similaire produira des conséquences similaires. Le gouvernement péquiste ne croit pas qu’il faut se donner de nouveaux revenus par une réforme radicale de la fiscalité afin de permettre au gouvernement la possibilité de développer un plan d’investissements publics pour réaliser une véritable transition écologique au niveau des énergies et des transports.

Il préfère compter sur les iniatives du privé. Il préfère limiter l’augmentation de la croissance de programme à 1,9 % en 2012-2013 et à 1,8% en 2013-2014 alors que la moyenne des années 2003-2004 à 2009-2010 était de 5,8 %. Il préfère exiger qu’Hydro-Québec réduise, par attrition, son personnel de 2000 personnes se rendant par là aux demandes de la CAQ tout en prétendant que le non-remplacement de ces travailleurs et travailleuses n’aurait aucune conséquence sur la prestation de services... Voilà une vieille rengaine néolibérale qui s’avère aussi mensongère aujourd’hui qu’hier.

En éducation, on ajoute des compressions additionnelles pour les commissions scolaires. Le budget gouvernemental continue de maintenir l’aide au réseau privé. Mais la perspective d’ajouter des ressources professionnelles pour assurer la réussite scolaire des élèves en difficultés n’est plus sur l’écran radar du PQ.

Il faut bien constater que leur port de carrés rouges ne signifiait en rien une rupture avec cette conception de la marchandisation de l’éducation. Ce budget propose en effet de mettre en place des partenariats publics-privés dans le domaine de la recherche universitaire pour encore une fois inféoder la recherche universitaire aux besoins des entreprises.

Et les étudiantEs se verront imposer le dégel et l’indexation des frais de scolarité. C’est du moins la position que défendra le gouvernement au sommet sur l’éducation dont la conclusion semble déjà tirée.

b. En santé, des argents insuffisants, intensification du travail et des contrôles et maintien de la dépendance actuelle face à l’industrie pharmaceutique

Le budget Marceau introduit la contribution santé. C’est un recul majeur. Plus, il vise à introduire des méthodes qui permettront l’intensification du travail dans les établissements et il mobilise pour ce faire des firmes-conseils externes qui ont une conception industrielle et déshumanisante des soins à apporter aux malades.

Pour ce qui est des médicaments, le ministre Marceau ne cherche pas à élargir la couverture du régime d’assurance-médicaments à l’ensemble de la population du Québec. Il ne cherche pas à économiser en mettant sur pied un pôle public de développement et de commercialisation des médicaments, une société d’État comme Pharma-Québec. Il se contente de travailler à la marge et d’abolir la règle obligeant le gouvernement à rembourser pendant 15 ans le prix (plus élevé) d’un médicament d’origine, même si une version générique (et moins chère) était mise en marché.

6. Une réforme superficielle et cosmétique de la fiscalité qui conserve son caractère inéquitable

Le gouvernement ose peu : il crée un nouveau palier d’imposition et impose une légère hausse de 1,75 % du taux d’imposition marginal pour les personnes gagnant 100 000 $ ou plus. C’est peu, surtout lorsque l’on sait l’ensemble des possibilités d’évasion fiscale prévues dans la loi de l’impôt qui permet aux plus riches de payer beaucoup moins que ce qui est prévu. Le gouvernement prévoit d’aller chercher davantage d’argent chez les institutions financières. Mais, ces montants ne se situent même pas à la hauteur des réductions d’impôt dont ces institutions ont été gratifiées ces dernières années.

En fait, le gouvernement péquiste s’inscrit ici encore dans une logique strictement néolibérale : c’est en baissant le taux d’imposition qu’on peut stimuler l’activité économique et favoriser la reprise des rentrées fiscales. Pourtant, il a été démontrer que cette thèse de l’économie de l’offre ne fonctionne pas et qu’elle a été démentie par l’expérience tant aux États-Unis qu’au Canada.

Le ministre Marceau se moque de ces réalités. Il maintient le privilège fiscal accordé sur les gains de capital dont seulement la moitié est soumise à l’impôt. Il refuse de réinstaurer la taxe sur le capital dans le cas des banques et autres entreprises financières. Il maintient les redevances minières à leur niveau actuel. Il ignore et méprise les solutions fiscales proposées par les organisations sociales : multiplier le nombre de paliers d’imposition ; imposition du capital et des profits, instauration d’un capital sur les patrimoines et les successions... Une grande partie de la richesse est concentrée dans les mains des 1%, et le gouvernement péquiste se contente de mesures cosmétiques.

7. L’axe central de sa politique économique : l’aide sociale aux entreprises pour stimuler la reprise...

Le budget péquiste veut faire de l’accompagnement et du soutien aux affairistes, une politique centrale de son gouvernement. Il oublie que l’objectif du secteur privé est de faire des profits ; que les hauts coûts des transactions sont pour eux une bonne chose. Il ne semble ni s’étonner ni se questionner sur le fait que l’usage des PPP ou de la sous-traitance fait perdre et non économiser de l’argent à l’État.

Il propose, comme le gouvernement Charest de continuer son aide sociale aux grandes entreprises du Québec en leur offrant un congé fiscal de dix ans si elles investissent dans certains projets. Face à la situation d’une fiscalité de moins en moins progressive, de plus en plus marquée par des échappatoires fiscales pour les hauts revenus et les entreprises, de telles mesures sont scandaleuses, car elles favorisent encore une fois la concentration de la richesse.

8. Des vraies réponses... en dehors du champ de vision du ministre Marceau

Pourtant, des solutions existent pour s’attaquer à la détérioration des services publics et des conditions d’existence de la majorité, pour en finir avec la concentration de la richesse dans les mains des plus fortunés. Pour cela, il faut aller à l’essentiel.

A. Instaurer une réforme radicale de la fiscalité des personnes et des entreprises

 Supprimer les baisses d’impôt des dernières années, supprimer les échappatoires fiscaux dont bénéficient les hauts revenus et les entreprises et imposer une réforme radicale de la fiscalité ;

 Passer de 3 à 10 les paliers d’imposition pour restaurer réellement la progressivité de l’impôt ;

 Imposer le patrimoine et les successions ;

 Imposer une taxe sur les transactions financières

 Instaurer des mesures contre l’évasion fiscale légale des entreprises notamment via les flux de capitaux transitant dans les paradis fiscaux... Le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux ont proposé de multiples mesures que le gouvernement péquiste comme le gouvernement Charest avant lui se refuse de considérer sérieusement.

B. En finir avec toutes les formes de surfacturations et refuser de surpayer les achats publics

Les surfacturations des services publics sont directement liées au rôle du secteur privé dont la motivation essentielle est de faire de l’argent. Pour en finir avec ces surfacturations, il faut :

 En finir avec la privatisation des services publics

 En finir avec les contrats en sous-traitance et les contrats en PPP

C. Mettre de l’avant une politique de plein emploi

Dans la conjoncture, à l’aide de ces nouveaux revenus, il faut favoriser une politique de plein emploi et rompre avec la logique étroite de la recherche de meilleurs profits à court terme.

Le plein emploi passe par le développement d’un plan d’investissement favorisant une transition écologique véritable vers l’utilisation des énergies renouvelables, la modification des moyens de transports collectifs et électrifiés, la promotion d’une agriculture de proximité, la mise en place de la transformation de nos richesses forestières et minières dans le cadre d’un tel plan afin de construire un cadre de développement qui réponde aux besoins sociaux de la majorité tout en protégeant l’environnement.

Mais pour prendre une telle orientation et bâtir un pays qui satisfait aux besoins de la majorité populaire, il faut rompre avec l’oligarchie dominante et refuser de se mettre à son service. Ce que visiblement le gouvernement péquiste s’avère incapable d’envisager. Le budget en est une malheureuse illustration... C’est pourquoi, le PQ au pouvoir, menant une politique tournée contre les intérêts de la majorité populaire, s’avèrera incapable de servir de véhicule pour l’indépendance du Québec et pour la mise en place d’une société tournée vers la défense des intérêts de la majorité des QuébécoisEs.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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