Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Le Président Obama décrète de nouvelles conditions pour les immigrants-es sans papiers mais en laisse de côté

Dans son discours d’hier (20-11-14 n.d.t.), où il annonce son décret présidentiel qui amende la loi sur l’immigration, le Président Obama s’est donné beaucoup de mal pour dire ce que ce n’est pas. Ce n’est pas une amnistie, seulement un moyen pour les gens concernés d’éviter la déportation. Ce n’est pas l’accès à la citoyenneté, seulement un permis de travail. Ce n’est pas un accès aux protections sociales, les employeurs-euses vont pouvoir continuer d’exploiter la main-d’œuvre immigrante.

Michelle Chen, The Nation, 21 novembre 2014 |
Traduction, Alexandra Cyr

Voici ce que c’est : le décret s’appuie sur le programme Deferred Action Childhood Arrival (DACAP) adopté en 2012 qui donne aux jeunes immigrants-es sans papier une protection temporaire et renouvelable contre la déportation. Ce type de protection sera étendu à plusieurs millions d’adultes qui ont des enfants citoyens-nes américains-es ou possèdent déjà un permis de travail (carte verte) qui résident dans le pays depuis au moins cinq ans et n’ont aucun dossier criminel. D’autres peuvent s’y ajouter : le DACAP sera étendu à plus d’enfants arrivant aux États-Unis, sans limite d’âge et l’immigration de travailleurs-euses du secteur des technologies sera facilitée.

Mais le Président ne peut réviser à lui seul tout le système d’immigration et donc, des millions de personnes sont laissées de côté par ces mesures. Même si les Républicains-es poussent des cris d’orfraies et menacent de battre ce plan par des poursuites devant les tribunaux, les opposants-es peuvent se consoler en constatant que la majorité des immigrants-es sans papiers vont le rester et n’ont nulle part où aller se réfugier.

Et, alors que cet élargissement est une bonne nouvelle pour des millions de personnes, il faut se rendre compte qu’il contient un paradoxe. Les jeunes qui ont bénéficié du DACAP depuis 2012, voient que les nouvelles mesures ne touchent pas leurs parents, au contraire, elles les excluent directement. Autrement dit, les jeunes qui se sont battus pour que ce programme soit élargi font face au fait que leurs parents sont laissés de côté par le nouveau décret.

Il y a encore beaucoup de questions qui tournent autour de ce nouveau plan présidentiel. Il est conçu comme une réponse temporaire à l’obstruction républicaine au Congrès. En réponse, l’opposition pourrait proposer un projet de réforme de la loi sur l’immigration bien plus restrictif que le décret actuel. En plus, le Président a introduit plusieurs mesures de renforcement de la protection des frontières. Elles visent à « déporter les criminels, pas les familles ». Mais, l’histoire nous a démontré que cibler les criminels étrangers a toujours servi de prétexte à l’introduction de mesures de renforcement draconiennes qui font la promotion des attitudes anti-immigrants-es et poussent les travailleurs-euses sans papiers vers encore plus d’exploitation et de pauvreté.

Dans son annonce, M. Obama a indiqué qu’il voulait en finir avec certaines des tactiques de sécurisation les plus critiquées, notamment en mettant fin au Secure Communities Program, qui facilite les échanges et la collaboration entre les policiers locaux et les autorités fédérale en immigration. Le fait que cela se passe maintenant, après des années de protestations massives et de contentieux légaux, démontre que la Maison Blanche a été restreinte dans l’utilisation de ses pouvoirs juridiques de poursuite. Ce n’est pas la première fois que le Président Obama promet d’utiliser ces pouvoirs de poursuite pour protéger les familles respectueuses de la loi, celles qui sont « politiquement sympathiques ». Depuis des années maintenant, la police des frontières agit selon une directive qui lui demande de se concentrer sur les cas hautement prioritaires, ceux qui impliquent des crimes et des enjeux de sécurité publique. Malgré cela, les déportations de masse et les démantèlements familiaux continuent.

Après la déclaration présidentielle, Mme Angelica Chazaro, militante pour la campagne #Not1More domiciliée Seattle, a déclaré : « Ça me dérange de voir que le Président continue de faire des distinctions entre les immigrants-es méritants-es et les non-méritants-es. Il y a longtemps que notre mouvement a rejeté cette vision. Je suis préoccupée par le fait que dans l’annonce du Président, les énormes pouvoirs de la police des frontières vont continuer de s’appliquer contre ceux et celles que nous refusons de mettre de côté : les adultes sans enfants, la communauté LGBT et les jeunes immigrants de couleur qui sont les plus susceptibles d’être arrêtés et condamnés. Cela les empêchera de bénéficier de protection (contre la déportation n.d.t.) ».

De leur côté, des avocats pensent que le Président ouvre la porte à des solutions à plus long terme. Peut-être à une réforme législative qui offrirait une véritable stabilité légale et les protections sociales en cours à tous les immigrants-es pour leur permettre de vivre avec tous les droits sociaux et ceux du travail et comme le disent les travailleurs du groupe National Day Laborer Organizing Network, (NDLON) « l’égalité politique, l’essence de la citoyenneté ».
Mme Adelina Nicholls, directrice exécutive de la Latino Alliance for Human Rights, basée en Georgie, a publié un communiqué en vue d’actions futures :« Notre lutte pour une solution humaine et de long terme à notre système d’immigration dysfonctionnel, va continuer. Nous allons continuer à exiger la fin de l’implication policière locale dans les efforts fédéraux de déportation. Et nous allons continuer à nous battre pour tous ceux et toutes celles qui dans nos communautés, ne sont pas pris en compte par le décret présidentiel ».

Pour le moment, la conviction demeure répandue que les six millions de personnes sujettes à déportation vont l’être, et sans ménagement. Pour plusieurs qui militent radicalement sur les problèmes d’immigration, le système demeure dysfonctionnel.

Le groupe Famillies for Freedom, qui lutte depuis longtemps contre la déportation des personnes condamnées devant les tribunaux, souvent des mineurs-es non violents-es, perçoit les nouvelles promesses de M. Obama comme un prolongement du vieux système. Son directeur, M. Abraham Paulos dit que des protections accordées à certaines catégories d’immigrants-es évacue l’enjeu central des droits humains attachés aux ordres de déportation : « Cet exercice consiste à élever des personnes au statut de « dignes de protection » et à s’attaquer aux autres désignés-es non-méritants-es ». Parlant de l’immense système de détention qui reçoit aussi les immigrants-es, il souligne qu’il va demeurer en place, même s’il ne s’y trouvera peut-être pas autant de monde, il ajoute : « Tout le système carcéral, dont la détention des immigrants-es, n’a pour objet que de faire des profits sur le dos de la personne privée de sa liberté. Cela devrait soulever notre indignation. Ce système est un échec complet en regard des droits humains ».

Dans un récent rapport, #No1More déclare que la Maison Blanche a promis, dans le passé, de diminuer la rigueur des mesures de police contre les immigrants-es à la frontière, mais qu’elle est toujours incapable de protéger les droits constitutionnels fondamentaux de ces personnes.

Dans plusieurs cas, on retire à des personnes sans dossier criminel, leur droit au pouvoir discrétionnaire de poursuite parce qu’elles auraient commis des infractions à la loi sur l’immigration antérieurement. Dans les cas où il y a des condamnations criminelles, la police des frontières néglige de considérer d’autres facteurs positifs qui militent en faveur de l’exercice du pouvoir de discrétion. Ces problèmes entravent également la capacité de ces personnes à se prévaloir du DACAP.

Et même pour celles admissibles il demeure des obstacles. À plusieurs ont objecte qu’ils « doivent » des impôts et des taxes au gouvernement fédéral. Comme si, de n’avoir jamais perçu les bénéfices sociaux (qu’ils auraient perçus étant citoyens ou immigrants-es reçues) n’était pas suffisant. Les avocats populaires vont devoir se rendre dans les communautés peuplées de gens apeurés pour les convaincre qu’il vaut la peine de se déclarer aux autorités après qu’elles aient vécu tant d’années en accumulant la méfiance.

En ce moment, les millions d’immigrants-es laissés-es de côté par le Président n’auront pas plus de raisons de faire confiance au régime d’immigration dans ce pays. Pas plus que ceux et celles qui vont continuer à arriver à partir de maintenant. Donc les organisations et coalitions qui luttent pour les droits humains, comme #Not1More et We Belong Tougether vont devoir continuer à faire les représentations pour les laissés-es pour compte, avec des politiques de réunification des familles, le droit à des procédures judiciaires normales, et des traitements humains en lieu et place des contrôles à la frontière ou des simples visas temporaires. Elles demandent des lois sur l’immigration qui prennent en compte les problèmes humanitaires et structuraux hors de la frontière américaine qui poussent tant de gens à immigrer ici.

Pour son après-discours d’hier, M. Obama a choisi de se rendre dans un lieu représentatif : l’école secondaire Del Sol à Las Vegas. Avec sa forte proportion d’immigrants-es dans la population scolaire elle reflète la diversité nationale. Plusieurs milliers d’étudiants-es y détiennent leur DACA et sont présentés-es comme des succès du programme ; ils et elles pourront poursuivre leurs études et leurs carrières sans peur des autorités de l’immigration pour le moment. Mais, à côté de cette école, on trouve le Centre de détention Henderson. Plusieurs parents immigrants-es du secteur y sont détenus-es. C’est un dur rappel que si des jeunes bénéficient d’un peu de soulagement, le système ne cessera pas ses punitions collectives qui concernent toute la famille.

Hier soir, dans son discours, M. Obama demandait : « Sommes-nous une nation qui accepte la cruauté du retrait des enfants des bras de leurs parents, ou une nation qui valorise les familles et travaille avec elles pour les garder unies » ? Bien des immigrants-es n’ont pas reçu de réponse hier soir. Le Président les a écartés-es encore un peu plus de leurs parents qui ont enduré les pires cruautés dans l’espoir que leurs enfants n’auraient pas à passer par ce chemin.

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