par Paul Cliche, président du FRAP et candidat dans Rosemont aux élections municipales de 1970
Cette formation progressiste constituait l’alternative démocratique au terrorisme pratiqué par le FLQ. Mais la crise a bousillé en quelques jours la démarche démocratique, sur le point de porter fruit électoralement, de milliers de citoyens qui militaient depuis le début des années 1960 dans les quartiers populaires de Montréal.
Le Front d’action politique des salariés de Montréal (FRAP) n’était pas issu d’une génération spontanée. Il a été l’émanation des luttes que les comités de citoyens et les associations populaires ont menées dans les quartiers de Montréal pendant une décennie.
Devant la montée des problèmes sociaux à Montréal, au début des années 1960, des groupes de citoyens à la base ont commencé à se prendre en main dans les quartiers populaires en revendiquant pour l’amélioration de leur environnement. Au début, ce sont des enjeux purement locaux et ponctuels qui étaient en cause. Un groupe de voisins, les résidants d’une même rue ou d’un même secteur s’unissaient pour obtenir, par exemple, des logements salubres (on estimait à 100 000 le nombre de taudis existant à Montréal) ; l’agrandissement d’un parc et de meilleurs services de loisirs, etc À partir de 1965 des comités de citoyens ont vu le jour à l’échelle de quartiers complets. Ce mouvement a pris naissance dans le Sud-Ouest (Saint-Henri et la Petite Bourgogne), dans le Centre sud, dans Hochelaga-Maisonneuve, sur le Plateau, dans le Mile End pour se propager par la suite dans Rosemont, Saint-Michel, Villeray et même Ahuntsic.
Puis ces comités, débordant de la frontière de leur quartier respectif, se sont rassemblés à l’échelle de la ville pour exercer des pressions sur l’administration municipale où l’autocrate et mégalomane maire Drapeau régnait sans opposition à l’Hôtel de ville. Mais cette opposition, venue de la rue et qu’il ne pouvait contrôler, a eu le don d’irriter au plus haut point le potentat municipal qui, dans un premier temps, a refusé net de les entendre. Puis, comme cette tactique s’est avérée insuffisante pour faire taire les contestataires, il s’est mis à les combattre en utilisant le harcèlement et même la force par des perquisitions illégales de la police dans les locaux de plusieurs comités de quartier, des arrestations musclées et abusives lors de manifestations, la filature de certains leaders, etc.
Cette pénible expérience a fait réaliser peu à peu aux militants qu’il n’y avait pas d’autre avenue que l’action politique proprement dite. Ils ont alors créé le Rassemblement pour l’action politique (RAP). Durant la même période, les syndicats voulaient eux aussi déboucher sur l’action politique. Ainsi, dans l’esprit du rapport Le deuxième front du président de la CSN Marcel Pepin, une vingtaine de colloques régionaux intersyndicaux (CSN, FTQ, CEQ) auxquels plus de 3 000 militantes ont participé, se sont déroulés, à l’automne 1969 et à l’hiver 1970, pour ébaucher la plateforme d’éventuels partis municipaux de salariés.
Le dernier colloque régional, qui a eu lieu à Montréal en mars 1970, a réuni quelque 400 militantes dont plusieurs représentants des comités de citoyens et d’associations populaires qui y étaient invités. Ce colloque a été décisif. Après quelques semaines de discussions, des représentants des comités de citoyens et des militants syndicaux ont décidé de créer le Front d’action politique (FRAP) qui a vu le jour le 12 mai 1970. Conseiller au Secrétariat d’action politique de la CSN et secrétaire de l’organisation des colloques régionaux, je fus alors choisi comme président alors que le coordonnateur du Comité de citoyens de Saint-Henri a occupé le poste de vice-président.
La démarche démocratique de milliers de citoyens sur le point de porter fruit annihilée par la crise.
Le FRAP a décidé de se présenter aux élections municipales d’octobre 1970 pour s’opposer aux politiques de grandeur du maire Drapeau et proposer des alternatives répondant aux besoins de la population, notamment dans les domaines du logement, du transport en commun, des loisirs et de la culture. Son objectif n’était pas de prendre le pouvoir mais de former une opposition sérieuse à l’administration Drapeau. Il n’a donc pas présenté de candidat à la mairie et a brigué les postes de conseillers seulement dans les districts où le parti était implanté, soit les deux tiers d’entre eux. La nouvelle formation a été accueillie de façon positive par les médias qui lui ont accordé beaucoup de visibilité. On ressentait vivement le besoin d’une opposition. L’opinion publique a aussi suivi. En septembre, quelques jours avant l’enlèvement du diplomate Cross par le FLQ, un sondage publié dans le quotidien Montreal Star a accordé 35 % des intentions de votes au FRAP [1].
Mais on connaît la suite. La tourmente de la Crise d’octobre, survenue en pleine campagne électorale, a bousillé nos espoirs. Drapeau s’est empressé d’assimiler le FRAP au FLQ. Le ministre libéral Jean Marchand (ancien président de la CSN) l’a même décrit comme le « front » du FLQ. Il ne s’est pas passé une journée sans que nous ne soyons victimes de ce genre d’attaques. Deux de nos candidats, le Dr Henri Bellemare et l’imprimeur Jean Roy, ont même été emprisonnés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Ils ont été relâchés sans accusation à la veille du scrutin. Pourtant, la ligne du FRAP était sans équivoque dès le début de la crise. Il appuyait les revendications du FLQ, mais non les moyens que ce dernier utilisait.
Drapeau a été réélu sans aucune opposition. Le FRAP a tout de même recueilli 18 % du vote en moyenne dans les districts où il a présenté des candidats avec une pointe de 35 % dans Saint-Jacques sur le Plateau. Pas si mal tout de même après la mort de Pierre Laporte dont nos adversaires nous avaient attribué la responsabilité. Avec un scrutin proportionnel, le FRAP aurait pu faire élire au moins une bonne demie douzaine de conseillers qui auraient pu tenir Drapeau sur les dents et mettre fin à son règne sans partage.
Note
[1] Ce résultat équivalait à celui obtenu par le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) aux élections suivantes en 1974 ; ce qui avait permis à ce dernier de faire élire 18 conseillers.
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