Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur les politiques d’alliance

Débat des alliances à QS : à la recherche d’une troisième voie

La seule convergence qui vaille

Dans le débat qui a cours actuellement à QS autour de l’Option A et de l’Option B, plusieurs se sont employés à montrer qu’il ne pouvait pas y avoir de 3 ième voie vraiment alternative. Et cela, quels que soient les amendements qu’on pourrait souhaiter apporter, notamment à l’Option B.
Au-delà de l’urgence qu’il y avait à proposer des amendements (pour qu’ils puissent être repris par des instances et discutés au congrès), nous voudrions ici revenir sur le fond et tenter d’expliquer quelles pourraient être à l’avenir les 3 grandes préoccupations de QS, si à son congrès de mai, il se donnait les moyens d’ouvrir entre l’Option A et l’Option B, une troisième voie lui permettant de reprendre avec toute l’audace et la détermination nécessaire, l’initiative politique.

En effet pour redonner aujourd’hui son sens véritable à une politique des alliances de QS, il faudrait ne pas oublier ce qui devrait être central et dont on n’arrive pas —ni dans l’Option A, ni dans l’Option B— à faire apercevoir toute l’importance décisive. On pourrait appeler cela : « le mouvement social en marche du Québec », ou encore « la convergence populaire », ou aussi « le front uni des organisations citoyennes, sociales et populaires », ou peut-être « la société civile d’en bas en mouvement du Québec ».

Mais peu importe, ce qui compte c’est l’idée qu’il y a au Québec de larges aspirations populaires pour en finir en 2018 avec 15 années presque ininterrompues de règne austéritaire libéral. Des aspirations populaires qui ne cessent d’être stimulées et alimentées par un réseau actif d’organisations sociales, citoyennes, populaires, syndicales, féministes, écologistes, communautaires, autochtones, de mouvements sociaux luttant sur le terrain, mais qui agissent de manières séparées même si leurs demandes et revendications pointent toutes dans la même direction et si certaines d’entre elles tendent déjà à montrer le chemin du futur par leur détermination et activité exemplaire [1].

C’est ce réseau actif d’organisations et de mouvements qui, par delà les luttes spécifiques de chacun, pourrait parvenir néanmoins à s’engager solennellement autour de quelques grandes orientations communes (une plateforme partagée), renforçant d’autant ces aspirations de changement déjà si spontanément manifestes : par exemple, la fin de l’austérité néolibérale et le réinvestissement massif dans la santé et l’éducation, le 15 dollars de l’heure, la réforme du mode de scrutin [2], la transition écologique, un projet souverainiste pluriel et inclusif, etc.

Une convergence sociale et populaire

Or pour un parti comme QS, qui se veut autant un parti des urnes que de la rue, parce qu’il sait que le pouvoir ne git pas qu’au parlement et dépend toujours de rapports de forces qu’il reste à construire dans la société entière, cela devrait être la première préoccupation : participer aux efforts de ce mouvement social en marche, à sa construction, à son renforcement, à son unification, en étant activement de ses luttes, en soutenant ses revendications, en les publicisant, mais aussi en l’appelant à renforcer ses points de convergence possible et à s’organiser, ici et maintenant, autour des échéances de 2018. Et cela, pour devenir une force sociale qui compte et qui —parce qu’elle s’est unie autour de quelques revendications clefs (une plateforme)— puisse peser de manière décisive dans la balance, notamment en faisant pression sur la classe politique, toutes tendances confondues.

Par exemple, on pourrait facilement imaginer que QS puisse en être l’inspirateur ou l’initiateur : un appel de personnalités artistiques, sociales, culturelles, médiatiques représentatives de cette société civile d’en bas et en marche qui se donnerait pour objectif, de poser les premières pierres d’une mobilisation des forces sociales du Québec autour de quelques grandes revendications dont on voudrait qu’elles puissent se concrétiser dans le sillage des échéances électorales de 2018 et ainsi donner naissance à un vaste mouvement social en faveur du changement : contre l’austérité néolibérale, pour le scrutin proportionnel, etc.

C’est là le premier allié auquel QS doit songer et avec lequel il doit commencer à discuter et à agir dès maintenant. Et s’il y a une convergence qui mérite d’être construite et élargie sans peur, c’est bien celle-là : celle de la convergence sociale et populaire. Car ce ne sera qu’à travers elle, et la force de transformation qu’elle peut représenter, que tout le reste —tout ce à quoi aspire QS— pourra être ou devenir possible.

La garantie indispensable d’une force sociale intervenante

Il suffit de penser par exemple à Jean-François Lisée du PQ si connu pour ses positions vire-capots, et de se référer à ses promesses sur le scrutin proportionnel : comment pourrait-on imaginer qu’elles puissent un seul instant se réaliser quand il sera au gouvernement s’il n’y a pas une force sociale, un mouvement populaire autonome et indépendant qui par ses rappels et mobilisations grandissantes, par sa présence, son activité autonome sur la scène sociale et politique, pourrait le pousser à le faire, l’obliger à le faire.

Ou encore, rappelez-vous : si en 2012, les étudiants du Printemps Érable ont pu pendant quelques mois damer le pion au gouvernement Charest et braver la fameuse loi 78 (« on s’en calisse » !), c’est aussi parce qu’ils ont reçu l’appui de larges secteurs de la population qui, casseroles à la main, sont venus les soutenir et manifester massivement à leurs côtés. Un appui que les étudiants ont su aussi et en même temps, avec beaucoup d’habileté, aller chercher, préparer et faire grandir.

Tout cela, pour souligner qu’il manque pour l’instant un gros morceau à notre politique d’alliance, sur lequel nous n’avons pas beaucoup travaillé ni réfléchi concrètement et qu’il faudrait de toute urgence combler, en évitant justement de se faire absorber (tout entier !?) dans des alliances électoralistes pensées dans la seule logique d’un gouvernement (majoritaire ou minoritaire) péquiste.

Tout cela aussi, pour garder à l’esprit que les discussions exploratoires que nous pourrions avoir éventuellement avec le PQ [3] ne doivent pas être pensés indépendamment de ces autres discussions, en dernière analyse infiniment plus importantes et décisives, stratégiquement parlant. D’autant plus si vous avez en tête que QS a pour objectif l’indépendance du Québec et nécessite pour cela plus qu’une simple petite majorité électorale de 33 ou 35% de votes, mais l’élan de tout un peuple qui se remet en marche !

Bien sûr, la difficulté git dans le fait qu’en 2017 ce réseau/mouvement n’est pas déjà là, bien constitué, organisé et uni autour de quelques grandes revendications rassembleuses et porteuses d’espérances largement partagées. Il est plutôt à l’heure actuelle passablement fragmenté, et il reste à pousser à son rassemblement et plus encore à le remettre en marche, en transformant les sourdes aspirations de changement dont il est porteur, en une force collective qui redonne espoir et donne le goût de s’impliquer et de mobiliser à chaque fois plus de gens.

Des vases communicants se renforçant mutuellement

Mais justement en cette période politique difficile où partout la droite semble à l’offensive et où la gauche a la tâche de se reconstruire dans un contexte hostile, il faut que QS soit capable de jouer sur plusieurs tableaux, en combinant habilement ses différents champs d’intervention et en en n’oubliant aucun. À commencer par celui-là : le champ de la rue et des mouvements sociaux et citoyens. Mais en sachant aussi en même temps utiliser la force et la crédibilité que pourrait lui donner son intervention au niveau des urnes (du champ électoral) et en entendant bien que ces 2 champs –aussi différents soient-ils par ailleurs— peuvent aussi être, si on le décide, des vases communicants se renforçant mutuellement.

Voilà pourquoi, il ne faut pas –si l’on choisit avec raison d’insister sur le champ de la rue- pour autant minimiser le champ des urnes. Faire croitre sa députation (par exemple à travers des ententes ponctuelles de non-agression électorale), si cela est pensé comme moyen de non seulement grandir en termes électoraux, mais aussi en même temps de renforcer son influence et sa crédibilité dans le champs de la rue et des mouvements sociaux, pourquoi ne le ferions -nous pas ? Telle est la délicate dialectique d’intervention à laquelle QS devrait s’aguerrir, s’il veut croitre notablement et cesser d’être, dans la période politique difficile que nous vivons, un acteur politique périphérique.

Pourquoi des discussions exploratoires avec le PQ ?

C’est en ce sens, et seulement en ce sens que l’on pourrait envisager des discussions exploratoires avec le PQ ainsi que des ententes ponctuelles et ciblées de non-agression électorale [4]. Mais attention, si on allait dans ce sens , ça ne serait surtout pas en rêvant que le PQ pourrait être en 2018 à la tête d’un « gouvernement de rupture avec les politiques néolibérales » [5], ou en imaginant que les promesses de Jean-François Lisée s’il parvenait au pouvoir auraient grande chance de se réaliser d’elles-mêmes. Ce ne serait pas non plus en pensant qu’on peut arriver à s’entendre avec le PQ sur un certain nombre de revendications communes autour desquelles nous nous engagerions comme partis solennellement. Surtout pas ! Car tout de l’histoire récente nous montre que plutôt que de converger, QS et le PQ tendent à diverger et que l’appel à la convergence de Jean-François Lisée ressort avant tout d’un stratagème électoral à courte vue pensé d’abord pour permettre au PQ de retrouver en 2018 le chemin du gouvernement. Aussi devons-nous dans ce processus garder notre spécificité et notre indépendance à tout prix, en nous tenant loin de tout engagement solennel pris conjointement avec le PQ.

Ce qui fait que, si nous nous engagions dans des discussions exploratoires avec le PQ, ce serait bien plutôt pour être en phase avec cette demande d’unité provenant de la base, pour faire écho à ses volontés de changement si manifestes, et pour les accompagner et montrer tout ce qu’elles exigent pour qu’elles parviennent à trouver un débouché politique à la hauteur de leurs aspirations. Ce serait donc pour tenter de dévoiler, de démasquer le jeu politicien du PQ (en plein déclin, sans boussole et seulement à la recherche de votes d’appoint). Ce serait aussi et surtout pour faire apercevoir aux yeux de tous et toutes et particulièrement du mouvement social (grâce à la tribune publique que nous donneront ces discussions) comment avec le PQ d’aujourd’hui il y a loin de la coupe aux lèvres. En somme comment il s’avère incapable d’être à la hauteur de ces aspirations au changement et à l’unité, à ces espoirs qu’incarne un mouvement social en marche et dont QS s’emploie à être le fidèle porte-parole au parlement.

C’est là le défi : il s’agit de travailler à donner aux aspirations populaires de changement et d’unité, une autre forme politique ou si vous voulez un autre débouché politique que celui proposé par le PQ. Un débouché qui ne soit pas qu’étroitement politique et parlementaire, mais tout à la fois social et politique. Un débouché qui soit endossé par chaque fois plus de gens, parce que QS aura clairement mis de l’avant dans le débat public ses propres positions et forcé ainsi le PQ à se démasquer et à faire voir que la voie néolibérale (au mieux social-libérale [6]) et identitaire qu’il a prise et qui continue sur le fond à l’orienter, s’avère chaque fois plus une voie sans issue, sans grandeur, sans avenir, gangrénée par des manœuvres dilatoires et des calculs électoraux à la petite semaine visant à semer des illusions électorales grandissantes.

Et le rôle de QS, c’est de saisir toutes les occasions offertes par la conjoncture pour accélérer ce processus de maturation et de clarification, pour concrètement mettre le PQ au pied du mur et pour offrir un débouché alternatif à ces aspirations sociales, en profitant au passage, s’il en a la possibilité en termes d’ententes ponctuelles de non-agression électorales, de changer substantiellement le rapport de force politique existant entre le PQ et lui.

Trois grandes préoccupations à ne pas perdre de vue

Une telle perspective amènerait QS à reprendre activement –dans le contexte de 2018— l’initiative politique, en privilégiant 3 grandes préoccupations étroitement liées les unes aux autres :

1) Donner priorité à la constitution et au renforcement d’un front social large, en s’appuyant sur le réseau des groupes sociaux actuellement en lutte et en en faisant le premier allié et interlocuteur de QS.

2) Travailler au rapprochement avec ON, non seulement au travers de discussions de clarification, mais aussi en organisant ensemble une vaste campagne autour de l’indépendance du Québec.

3) Mener des discussion exploratoires avec le PQ, avec seulement 2 objectifs clairement annoncés : a) en faire une tribune pour faire connaître ce qui nous sépare de lui et pour tester jusqu’où il serait prêt à aller en termes de gestes porteurs immédiats et d’engagements futurs ; voir à la possibilité d’ententes ponctuelles d’ententes de non-agression-électorales ciblées.

Ce sont ces trois grandes priorités ainsi que cette conception générale de la lutte sociale et politique, du parti des urnes et de la rue que le congrès devrait reprendre, clarifier, endosser pour faire face à cette conjoncture difficile de 2018 : seule manière d’éviter « la fermeture principielle et contreproductive » de l’Option A et « l’ouverture inconséquente et dangereuse » de l’Option B.

Plus encore, c’est ce discours, cette orientation de fond autour de l’importance qu’on accorde au mouvement social en marche que devraient inlassablement défendre les porte-parole de QS. Car c’est en étant tout à la fois très clair sur sa stratégie de fond et en même temps en syntonie avec les aspirations à l’unité et au changement de larges secteurs de la population du Québec, que Québec Solidaire pourra jouer le rôle politique déterminant auquel il aspire si fortement depuis sa naissance.

Pierre Mouterde
Sociologie essayiste


[1Voir à titre d’exemples dans la région de Québec, « Coule pas chez nous », « l’envers du Baril », ou « Protégeons la forêt à Charlesbourg, ou encore les organismes de lutte contre le racisme, etc.

[2Cette réforme si nécessaire pour combler les formidables injustices que ce système crée (105 000 voix pour élire un député QS, alors qu’il en faut 25 000 pour élire un député libéral), pourrait être un des axes forts de cette plateforme.

[3Voir les deux amendements proposés pour amender B ; et cela puisqu’il n’est malheureusement pas possible d’amender l’option A : http://www.pressegauche.org/Mais-deux-amendements-. Ces deux amendements ont d’ailleurs été repris par l’assemblée régionale de la capitale nationale.

[4Il va de soi qu’il faudrait mettre aussi l’emphase sur le processus de rapprochement (et de convergence) avec ON, moyen de relativiser l’importance donnée aux discussions exploratoires avec le PQ et ainsi d’affirmer notre autonomie en la matière.

[5C’est notamment ce que prétend l’alinéa 3 de l’Option B, et que les amendements votés par Jean Lesage ne remettent pas vraiment en question. C’est en ce sens que nous pensons qu’il faut éviter toute entente de fond avec le PQ, et à l’inverse en favoriser une avec le mouvement social.

[6On le sait, c’est ce que nous prouve toute l’histoire du PQ, quand il est dans l’opposition il peut faire des promesses de type « social-libéral », mais quand il arrive au gouvernement, il tend, plus souvent qu’autrement, à mettre en application des mesures d’ordre clairement néo-libéral. Pensez à Agnès Maltais et à ses politiques en direction de ceux et celles qui reçoivent « le bien-être social »

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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