Par exemple, en 2021, on sait que 10.5% des Québécois.es ont eu des revenus supérieurs à 100 000$ ; parmi eux et elles, 5 515 hommes et 1 398 femmes, ont gagné plus d’un million de dollars, avant impôt . À l’inverse, 60% des Québécois ont gagné moins de 50 000$ et parmi eux et elles 892 000 hommes et 1 240 000 femmes ont perçu moins de 24 000$, avant impôt toujours (environ 30% de la population). En moyenne, après impôt, le revenu des Québécoises était de 37 500 $ contre 45 600 $ pour les hommes, soit 41 600$ en moyenne. On est ainsi très loin des 54 000 dollars de revenu moyen que martelait sans vergogne dans les médias le Premier ministre, la même année.
De la question des revenus à celle du patrimoine
Quoiqu’il en soit, les inégalités de revenus au Québec sont relativement bien documentées. Ce qui l’est beaucoup moins en revanche, ce sont les inégalités de patrimoine. Et c’est précisément tout l’intérêt d’une toute aussi précieuse étude réalisée par Geoffroy Boucher et Sandy Torres de l’Observatoire Québécois des Inégalités (OQI), publiée en octobre 2023 et largement ignorée par les médias grand public.
Le patrimoine étudié dans cette étude est constitué des avoirs financiers (les comptes en banque, les investissements, les assurance-vie, les REER etc.) et non-financiers (l’immobilier, les voitures, les droits d’auteurs etc.), auxquels on soustrait les dettes (hypothèques, prêts, crédits etc.). A priori, du moins pour le commun des mortels, de telles données apparaissent absolument indispensables pour un Gouvernement ou un.e député.e qui prétendrait vouloir lutter contre les inégalités socio-économiques au Québec ou qui s’intéresse à la "capacité de payer des Québécois".
Les riches sous-évaluent leur patrimoine avec un écart de 1 à 1 000
Et pourtant, comme le soulignent d’entrée les auteur.es de l’étude, les données sont rares, incomplètes et totalement biaisées.
La raison principale en est que les riches sous-estiment délibérément leur patrimoine, dans des proportions complètement délirantes et sans que cela préoccupe outre mesure les pouvoirs publics. À titre d’exemple, dans les données compilées par Statistique Canada « la valeur la plus élevée du patrimoine s’élevait à 30 millions de dollars. Pourtant, selon la liste des milliardaires de Forbes, le patrimoine le plus élevé au Canada, était, en 2019, de 32.5 milliards de dollars, soit une fortune plus de 1 000 fois plus importante que le patrimoine le plus élevé des données » dont disposent Statistique Canada.
Autre limite, et non des moindres pour ceux et celles qui souhaiteraient lutter contre les inégalités de patrimoine entre hommes et femmes notamment, les données renvoient à l’ensemble des membres de la famille. On ne connait donc pas la répartition du patrimoine entre les conjoint.es d’une même unité familiale.
Malgré ces limites, les données disponibles permettent a minima d’observer « les principales tendances en matière de répartition de la richesse au Québec ». On reviendra ici sur certaines d’entre elles qui offrent une nouvelle occasion de questionner le raisonnement d’un Premier ministre qui se réjouit publiquement des profits engrangés par une toute petite minorité de Québécois.es privilégiée, les propriétaires ou les députés par exemple, en occultant complètement et méthodiquement l’accroissement scandaleux des inégalités au sein de la population québécoise.
40% des Québécois.es se partagent 3% du patrimoine du Québec
Le patrimoine du Québec est possédé par une toute petite minorité de familles québécoises. Les 20% les plus riches détiennent les 2/3 (68%) de la richesse cumulée au Québec. Les mêmes profitent des exonérations fiscales et possèdent 70% des REER, c’est-à-dire des retraites complémentaires. Concrètement, le patrimoine médian des 20% les plus riches est estimé à 1 310 000$, celui des 20% les plus pauvres à 2 600$. Le patrimoine médian de pour l’ensemble de la population québécoise est quant à lui estimé à 237 800$. Plus du tiers des Québécois (40%) se partage 3% du patrimoine.
Le patrimoine des unités familiales où le principal soutien sont des hommes est 53.5% plus élevé que celui où ce sont des femmes
Malgré les limites des données, on sait que, comme ailleurs, le sexe du capital au Québec est avant tout masculin. À titre d’exemple, le patrimoine médian des familles dont le principal soutien de l’unité familiale est un homme est estimé à 274 000$, celui des femmes à 185 000$. Rapporté en pourcentage, cet écart révèle que les unités où les femmes sont le principal soutien est inférieur de 36.13% à celui des hommes. Le patrimoine des unités où le principal soutien sont des hommes est donc supérieur de 53.5% à celui des femmes.
Le patrimoine des propriétaires est 20 fois plus élevé que celui des locataires
La crise du logement ne frappe pas toutes les catégories sociales de la même façon, ce qui contribue certainement à expliquer pourquoi le Premier ministre considère que « tout se passe bien ». Et en effet, le patrimoine des propriétaires est évalué à 524 875$. En revanche, celui des locataires est estimé à 25 975$.
Le patrimoine des diplômé.es universitaires est 2.5 fois plus élevé que celui des diplômé.es du secondaire
Le patrimoine de ceux et celles qui détiennent un diplôme universitaire est estimé à 428 000$, contre 226 000$ pour ceux et celles qui ont un niveau professionnel ou collégial ou 174 000$ pour les diplômés du secondaire.
« Le Québec est au premier rang des Provinces les plus inégalitaires en termes de répartition du patrimoine »
Bref, le bilan des années Legault et de ses prédécesseurs est sans appel.
Le Québec fait partie des provinces canadiennes les plus pauvres en terme de patrimoine médian (237 800$). Elle se situe juste devant l’Île du prince Edward (211 400$) et le Nouveau-Brunswick (185 000$), loin derrière l’Ontario (434 500$) ou la Colombie-Britannique (423 700$).
Mais ce que met surtout en lumière ce rapport c’est que la province est aussi la plus inégalitaire. À titre d’exemple, « la famille faisant partie des 10 % les plus riches possédait ainsi un patrimoine 76 fois plus élevé que la famille faisant partie des 40 % les plus pauvres au Québec, contre 62 fois dans les provinces de l’Atlantique ».
Des écarts de richesse qui ne cessent de croitre au Québec
Et toujours selon ce rapport, les inégalités s’accroissent. Ainsi, « les familles au sommet de la distribution ont capté 66 % de l’augmentation observée de la richesse entre 1999 et 2019 ». Concrètement, en vingt ans la valeur du patrimoine des 20% les plus riches est passée de 708 300$ à 1 312 000$ entre 1999 et 2019 ; celle des 20% les plus pauvres de 1 500$ à 2 600$.
Solution : taxer le patrimoine ?
Pour conclure, le rapport rappelle que ces inégalités ne sont pas une « fatalité ». De fait, elles sont le produit d’une politique qui ne répond qu’aux priorités d’une toute petite minorité de Québécois.es, propriétaire, majoritairement masculine, détentrice d’un diplôme universitaire et, on peut en faire l’hypothèse, très probablement blanche, même si les inégalités raciales de patrimoine ne sont pas traitées dans le rapport.
Sans surprise, le rapport suggère alors d’aider les pauvres, notamment en bonifiant les programmes d’aide sociale. Il propose également, dans la lignée d’autres travaux , de revoir les régimes d’exonération fiscale comme les REER et le CELI qui ne profitent qu’aux riches.
Enfin, il invite à taxer les riches. Sur ce dernier point, le rapport souligne que le Québec ne perçoit aucun impôt sur l’actif net, donc sur le patrimoine disponible. Dans le même sens, il n’impose pas directement les successions mais seulement un impôt sur le gain en capital, et dans certains cas.
« Dans un contexte où le patrimoine, accumulé tout au long du parcours de vie, peut être transmis à des descendants, l’imposition des actifs ou des successions pourrait constituer un moyen efficace pour lutter contre la transmission intergénérationnelle des inégalités ».
Ici, on pourrait s’interroger sur le manque d’originalité, voire de radicalité, des solutions proposées par les auteur.es du rapport. Pour n’importe quelle personne qui se revendique de gauche, taxer le capital ou le patrimoine fait partie des rudiments de la lutte contre les inégalités de classe, de sexe et de race.
Et pourtant, aussi évidentes et nécessaires que ces solutions puissent paraitre, la question des inégalités de patrimoine, comme la demande de taxer les actifs nets des particuliers et les successions sont des revendications totalement absentes du programme du parti le plus à gauche de l’échiquier politique, Québec solidaire.
Dans ce contexte, ce rapport pourrait presque passer pour un brûlot révolutionnaire.
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