Édition du 17 décembre 2024

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LGBT

La non-binarité

Je ne sais jamais su ce que c’était d’être un homme. Je ne me suis jamais défini par ce que j’avais entre mes jambes. Mais au-delà de cet aspect, cela ne définissait pas ce que j’étais dans toute la complexité de ce que j’éprouvais, de ce que je ressentais et de ce que je voulais laisser percevoir de moi-même.

tiré de : Pour célébrer le retour du beau temps De Newsletter fugues, Décorhomme et MonZip

Enfant, j’aurais voulu être perçue comme une fille pour qu’on me foute la paix. Né dans une famille de travailleurs en tout genre, avec de vrais hommes autour de moi, on me forçait à participer à leurs activités qui ne m’intéressaient nullement. Je dis bien on me forçait, car comme à l’école puis au collège dans les sports, ces fameux hommes de mon entourage partaient du principe que les coups, les moqueries, les vexations, les humilia-tions étaient la meilleure pédagogie pour me forger un caractère d’homme, un vrai.

À la fin de l’adolescence, au moment où j’ai décidé d’affirmer en tout lieu, en tout temps et à quiconque mon orientation sexuelle, j’avais opté pour le look androgyne, maquillage léger pour jouer sur l’ambigüité. J’éprouvais un réel plaisir à vouloir n’être plus perçu comme un homme. Je voulais semer le doute dans le regard des autres, quitte à me faire appeler parfois Mademoiselle. Mon credo à l’époque : tout pour ne pas appartenir au monde des hommes que j’avais connus dans la famille, à l’école, au collège.

Avec le temps, le goût de la provocation dans lequel j’excellais m’a quitté. Je n’ai plus cherché à vouloir exprimer cette différence. Pire, les gais de l’époque jouaient la carte de la viri-lité, et puis quelques années plus tard, les hommes straights commençaient à s’intéresser de plus près à leur look, à faire attention à leur apparence, leur corps, leurs vêtements. Indifférent à ces phénomènes de mode, de look et d’apparence à l’âge adulte, j’ai aussi mis de côté tout ce qui aurait pu me faire reconnaître comme femme selon le clivage arbitraire social.

Une phrase tirée du programme du Festival TransAmériques 2019 a retenu mon attention. Pascale Drevillon y présentera GENDERF*UCKER, sur la fluidité du genre et sur les interrogations autour de cette question avec bien évidemment les transformations liées à l’expression du genre que l’on souhaite s’approprier. Petite phrase qui pourrait ouvrir une longue réflexion aussi bien individuelle que collective. Pascale Drevillon a écrit : « Le genre, ce n’est pas un "avant-après", c’est plutôt un long voyage ». Et c’est en lisant cette phrase que m’est venue l’idée de cette chronique.

Sur le fameux spectre du genre qui serait marquée d’un côté par 100% masculin, et de l’autre par 100% féminin, je dois me situer dans le milieu. Mais surtout, le point qui me représenterait pourrait aussi bouger selon les circonstances, les situations, les personnes rencontrées. Bref, il ne serait pas statique, figé dans un pourcentage quelconque. J’ai appris avec le temps que l’on est toujours plus ou moins viril pour certains, plus ou moins féminin pour d’autres à moins, d’exceller dans les représentations caricaturales véhiculées dans les médias sur la femme totale ou l’homme total.

Bien sûr, j’ai fait mien le fait que personne ne perçoive que je ne me situe pas dans la colonne des hommes ni dans celle des femmes. Je coche M quand je dois préciser mon sexe dans tous les papiers administratifs et autres où l’on exige qu’on s’identifie en fonction de notre sexe biologique. Je ne pars plus en vrille quand on me donne du Monsieur long comme le bras pour s’adresser en moi. Et je n’essaie même pas d’engager une conversation sur l’arbitraire du Monsieur, moi qui suis un adolescent très, mais très attardé, l’acné en moins. Je m’habille au rayon homme le moins souvent possible, ayant horreur du magasinage, je porte un peu de barbe. En somme je me conforme à un genre social imposé. Et pour ce qu’il y aurait de féminin, c’est plus du domaine du privé, avec les proches, là où je peux être enfin moi-même débarrassé de ces sacro-saintes prescriptions genrées.

Écoutant une conférence sur la non-binarité présentée par Vincent Mousseau et Marie-Philippe Drouin dans le cadre de rencontres organisées par Fierté Montréal, les deux invervenant.es évoquaient la difficulté d’être reconnus comme non-binaires. Un pantalon, un chandail mais un visage avec une barbe, plus aucun doute, on se trouvait devant un homme. Les mêmes vêtements mais laissant apparaître une poitrine et l’on étiquetait la personne de femme. Voilà les obstacles auxquels étaient confrontés Vincent et Marie-Philippe.

Réfléchissant à cette question, et n’ayant pas trop le goût de m’habiller de façon androgyne, ou d’oser une jupe avec des jambes poilues, je n’ai trouvé qu’un seul moyen de préciser d’emblée ma non-binarité en féminisant mon deuxième prénom. Ainsi de Denis-Daniel, je passe à Denis-Danielle (c’est un coming-out pas bien méchant). Et peut-être vais-je commencer des démarches avec l’état-civil pour que la modification soit faite. Et pour enfoncer le clou un peu plus loin, pour les titres de politesse, demander à ce que l’on m’appelle Mx (prononcé Mix), plutôt que Mademoiselle, Madame, ou Monsieur.

Denis-Danielle Boullé

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