Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Grève des femmes

La grève du 8 mars en Belgique : une première édition pleine de promesses

tiré de : [CADTM-INFO] — Merci de prendre quelques minutes pour nous donner votre avis sur le bulletin

Avec l’excitation des derniers jours précédents le 8 mars, les réunions sont animées. « Reste le programme à finaliser pour le jour J » : coups de fil en urgence, prises de notes, mais aussi papotes et rires complices, puis sérieux à nouveau. « Il y a encore à trouver les slogans pour les banderoles et les pancartes de la manifestation, et la logistique pour les concerts ?! ». Mais on ne s’empêche pas pour autant de s’accorder de temps en temps deux ou trois minutes pour chanter en chœur des chants féministes argentins, français… On a besoin de se donner de la force, de l’espoir, de l’enthousiasme ! Voilà un bref aperçu de comment se déroulent les réunions du collectif 8 mars !

1er mars par Chiara Filoni

Le collecti.e.f 8 maars est le nom bilingue d’un collectif belge de femmes, de personnes trans, inter et non-binaires qui lutte contre le système patriarcal hétéronormé et pour la construction d’une journée de grève le 8 mars 2019. Pour se faire, ce collectif a organisé depuis octobre plusieurs AG, qui ont à chaque fois rassemblé plus d’une centaine de personnes (des collectifs féministes, queer, femmes migrantes, femmes noires, déléguées syndicales, membres de partis de gauche de Belgique…) toutes réunies pour construire la première grève des femmes* et féministe de Belgique ! Un appel à la grève inspiré par les mouvements et expériences en Amérique Latine (Argentine, notamment) ou dans le Sud de l’Europe (État espagnol, Italie) et leurs puissantes démonstrations de force le 8 mars de ces dernières années [1].
S’organiser ensemble contre ce système patriarcal et capitaliste qui nous humilie, nous blesse, nous viole, nous exploite et contre lequel nous allons lever enfin nos têtes, nos voix, nos corps et à qui nous allons déclarer guerre en commençant par se mettre en grève le jour de la journée internationale des femmes.

Pourquoi une grève féministe ?

« le capitalisme prospère sur le travail (gratuit comme rémunéré) des femmes. La grève du travail reproductif des femmes est donc une arme puissante contre le système capitaliste et patriarcarcal »

Notre grève sera globale. Sur les lieux de travail, à la maison, dans la rue, grève de la consommation… Le slogan “ si les femmes* s’arrêtent, le monde s’arrête” utilisé dans de nombreuses luttes féministes, ne veut pas dire autre chose que : le capitalisme prospère sur le travail (gratuit comme rémunéré) des femmes. Si les luttes ouvrières nous apprennent que l’arrêt du travail productif, via la grève, est une arme puissante dans la lutte contre l’aliénation capitaliste, pourquoi l’arrêt du travail reproductif, pris en charge par les femmes, ne le serait-il pas également ?

Et quand on dit femmes « c’est toujours avec un astérisque », précise le collectif 8 maars dans chacune de ses réunions, affiches et prises de positions. « On entend par femmes* : toute personne identifiée comme femme et/ou se reconnaissant dans cette identité. »

La grève proposée par le collectif 8 mars est plurielle et prévoit plusieurs types d’interruption du travail :

 La grève du travail rémunéré pour ne plus produire pour le système capitaliste qui nous exploite en tant que femmes* travailleuses. Cela peut aussi passer par une réunion de sensibilisation avec les collègues, un piquet de grève, le port d’un signe distinctif pour signaler qu’on est en grève (un foulard ou un autre objet symbolique comme un tablier mauve accroché aux balcons), en se coordonnant avec les syndicats où cela est possible.
Alors que ce 8 mars 2019 se pensait comme une première étape dans la construction d’un mouvement de grève massif, force est de constater que, déjà, d’importants pas ont été franchis bien que cela reste encore insuffisant. Au départ, les syndicats étaient retissant à déclarer une grève qui sortait du terrain classique des grèves intersectorielles ou des grève par secteurs. À ce jour, la CSC reconnaît la grève (l’ensemble des affilié-e-s CSC peuvent ainsi demander une indemnité) et parmi les centrales qui mobilisent il y a la CNE et la CSC services publics, tandis que la FGTB soutient en invitant ses centrales à décider elles-mêmes de déposer ou non un préavis et d’octroyer ou non des indemnités. Les centrales FGTB qui mobilisent sont à ce jour plusieurs secteurs de la Centrale Générale (nettoyage, titre service, maison de repos), d’Orval et de la CGSP Bruxelles (services publics, enseignement, hôpitaux publics, transports, crèches) [2]/.

 La grève des soins aux autres, puisque ce sont les femmes qui portent pour la plupart cette charge et puisque qu’il est indispensable de montrer ce travail invisible, pourtant essentiel, que nous effectuons au quotidien dans toutes les sphères de la société (dans les espaces privés comme publics) : s’occuper des enfants et des personnes âgées, faire le ménage, préparer les repas, la logistique, prendre en charge les relations sociales et affectives… C’est justement en arrêtant ce travail gratuit et invisible que nous allons prouver que « si les femmes* s’arrêtent, le monde s’arrête » et que nous prendrons conscience de cette force !

 La grève de la consommation. Le 8 mars, on peut arrêter d’acheter ou consommer des produits ou des services non indispensables, notamment dans des commerces où les conditions de travail des femmes sont mauvaises ou dégradantes. On peut également dénoncer les produits qui appliquent une “taxe rose” [3] et ne pas consommer de produits sur-emballés ou fabriqués à l’autre bout du monde ou encore provenant de filières qui se basent sur l’exploitation d’autres personnes. On peut se déplacer à pied, à bicyclette ou en transports en commun et réduire notre utilisation d’appareils électroniques. On peut enfin dénoncer les lieux ou médias qui nous inondent de publicités sexistes et racistes.

 La grève étudiante. Les étudiantes ont bien sûr le droit de faire grève, par exemple en n’assistant pas aux cours et profitant de ce temps libéré pour envahir des classes et auditoires afin d’expliquer la grève et ses motivations aux autres étudiant-e-s mais aussi au corps enseignant et administratif ou alors en affichant des banderoles dans l’école, l’université, le lieu de formation.

Comment les hommes peuvent être impliqués ?

Il est très utile pour nous d’avoir des alliés hommes dans ce combat et durant ce jour de grève. Les hommes peuvent nous soutenir en nous permettant de participer pleinement à la grève du 8 mars, par exemple en nous remplaçant au travail ; en s’occupant des enfants, de la nourriture et du ménage ; en prenant des notes pour nous à l’école, en expliquant autour d’eux le sens de cette grève pour gagner du soutien !

Quelles revendications ?

Nombreuses sont les revendications du collectif 8 maars et cela n’est pas facile de toutes les résumer.
De la lutte contre la précarité à la fin de l’inégalité salariale, des pensions trop tardives et/ou trop faibles faute de cotisations suffisantes, des temps partiels imposés, en passant par la réduction du temps de travail sont certaines des revendications citées dans le chapitre sur le travail et les mesures d’austérité (qui s’abattent sur les femmes de manière plus importante que sur les hommes) [4].
Un autre chapitre concernant le travail domestique et du care mentionne que : nous avons besoin d’une société qui prenne en charge collectivement le travail reproductif, la sécurité sociale et les services publics (santé, transport, éducation, administration, communication, logements, infrastructures sportives et culturelles) pour que ces derniers soient accessibles à toutes. En un mot : « Nous en avons assez d’assumer seules et gratuitement ou presque les soins aux autres et la charge mentale qui va avec ! ».
Le chapitre sur les frontières revendique une véritable libre circulation pour les personnes sans ou avec papiers, dénonce le nouveau colonialisme de la Belgique et exige la fin des discriminations et des violences basées sur notre couleur de peau, notre origine, nos croyances…
Le chapitre sur les corps et les sexualités dénonce l’ingérence de l’État sur nos corps, nos vies et revendique une vraie liberté sexuelle, un avortement libre et gratuit, la mise en place d’un modèle éducatif non-genré et anti-sexiste. Et enfin la fin des violences médicales, gynécologiques, psychologiques au sein des structures dédiées.
Un chapitre sur l’écologie met en avant le fait que les dégâts environnementaux affectent principalement et plus fortement les femmes et un dernier sur les violences de tout type (sexuelles, physiques, racistes, sexistes, classistes et liées à d’autres types de domination) qui exposent particulièrement certaines femmes : une vraie prévention et la fin d’une impunité généralisée est plus que jamais urgente [5].

Pour conclure, ne vous attendez à rien de nous ce jour-là : nous prendrons le temps pour nous rencontrer, nous parler afin de retisser les liens que la société patriarcale et capitaliste essaie de briser ; nous quitterons la place que ce système nous a assignée ; nous arrêterons de « fermer nos gueules » et dénonceront les discriminations, les violences et l’exploitation que nous subissons.
Ce jour-là nous ferons grève pour montrer la place indispensable que nous occupons dans la société, exiger une juste reconnaissance de notre travail, tisser des solidarités, pour ne plus se sentir seules, pour organiser notre colère légitime et parce que, ensemble, nous sommes plus fortes que ce système !

Le CADTM appelle à la grève

Nous vous invitons donc toutes à faire la grève avec nous, femmes du CADTM, du collectifs 8 maars et avec toutes les femmes qui se battent en Belgique et dans le monde entier pour que cette journée internationale de la femme soit une vraie journée de lutte.

Sur le site du collectif vous trouverez également plus d’informations sur les actions
qui se passent dans plusieurs villes en Belgique (à Liège, à Gand, à Bruxelles, à Mons, à Tournai, à Anvers) : https://8maars.wordpress.com/

N’hésitez pas à partager l’événement facebook et d’en parler autour de vous, à vos amies, vos mères, vos sœurs, vos collègues, vos voisines…
https://www.facebook.com/events/737960343253760/

L’auteure remercie Anouk Renaud pour sa relecture

Notes

[1] Filoni Chiara, « Les grèves féministes racontées à nos Rencontres d’été », CADTM, septembre 2018.
Accessible en ligne : http://www.cadtm.org/Les-greves-feministes-racontees-a-nos-Rencontres-d-ete

[2] Voir le site du collectif 8 maars : https://8maars.wordpress.com/strike

[3] La “taxe rose” est un concept qui met en avant le fait qu’un même produit (parfois de la même marque et de la même gamme) coûte plus cher s’il se veut destiné aux femmes, qu’aux hommes. Parmi les exemples, les plus parlant, il y a les rasoirs, les gels douches...

[4] Pour plus d’informations lire, Vanden Daelen Christine, “Les femmes d’Europe face à l’austérité et à la dette publique”, CADTM, mars 2017. Disponible en ligne http://www.cadtm.org/Les-femmes-d-Europe-face-a-l

[5] Pour plus d’informations sur les revendications, voir le site du collectif 8 maars : https://8maars.wordpress.com/strike/

Chiara Filoni

Permanente au CADTM Belgique.

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