Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Négociations du secteur public

La grève de nécessité

Alors que le gouvernement tente de nous rassurer sur les impacts moindres des compressions budgétaires qu’il administre dans le système d’éducation, les concerné-e-s témoignent présentement du contraire. Nous, étudiantes et étudiants, sommes les principaux perdants mais il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg. D’ici quelques années, si nous ne bougeons pas, nous assisterons à la disparition du réseau collégial tel que nous l’avons connu. Les recommandations du rapport Demers [1]nous font effectivement craindre le pire : si celles-ci sont toutes appliquées, les cégeps deviendront des instituts techniques et professionnels, au diapason des demandes du marché de l’emploi. Et la formation générale là-dedans ? Elle ne sera plus qu’une option…

(tiré de Ultimatum, Un mouvement de 10 milliards de solutions, Association pour une solidarité syndicale étudiante, 2015)

Jeanne Reynolds est étudiante en sociologie.

Si aucune action n’est entreprise pour arrêter ce gouvernement qui ravage tout sur son passage, nous pouvons dire adieu à notre système d’éducation public. Dans les faits, c’est l’ensemble des services publics qui est menacé par ce bulldozer néolibéral. Cette fois, nous ne pouvons pas plus en prendre par crainte de voir notre filet social se dissoudre. La dette que nous ne pouvons léguer à nos enfants, c’est celle d’un monde où les inégalités s’accroissent et où notre air s’empoisonne alors qu’une petite classe de propriétaires et de financiers s’en mettent plein les poches. Cet automne, les étudiantes et les étudiants n’auront pas à prendre une décision facile mais plus que jamais la grève générale illimitée s’avère un choix nécessaire.

Vers la grève générale illimitée

Maints préjugés circulent sur la grève et sur ceux et celles qui en font la promotion, mais qu’en est-il réellement ? Bien plus qu’un « boycott », la grève étudiante est un arrêt volontaire et collective des activités normales d’apprentissage. Ce sont les étudiantes et les étudiants qui décident en assemblée générale de l’entrée en grève, de sa poursuite et de son arrêt. La grève est avant tout un geste politique. Historiquement, elle fut employée comme moyen d’action par les travailleurs et travailleuses pour améliorer leurs conditions de vie et défendre leurs droits. La grève ne vise pas interpeller les patrons : certaines revendications s’adressent directement aux dirigeants politiques. Récemment, un mouvement politique réclamant la hausse du salaire minimum à 15 $ aux États-Unis a pris une ampleur inattendue. De multiples journées de grève, en grande partie organisées par des travailleuses et travailleurs du fast-food, ont finalement mené à l’adoption de la hausse demandée dans cinq grandes villes américaines, dont Los Angeles et Seattle. C’est parce que la grève est un moyen d’action efficace que le mouvement étudiant l’a fait sien.

Parfois, il faut plus d’une journée de grève pour se faire entendre : c’est à ce moment que le recours à une grève générale illimitée est envisagé. Qu’elle soit illimitée ne signifie pas qu’il n’est plus possible de l’arrêter. Au contraire, les associations étudiantes invitent leurs membres à se rencontrer en assemblée générale chaque semaine afin de discuter de la pertinence ou non de poursuivre la grève. Elle n’est donc pas sans limites mais, mais nous n’en connaissons pas non plus sa durée, puisque notre objectif est la satisfaction de nos revendications. La grève se veut aussi générale, c’est-à-dire qu’elle rassemble autant des étudiantes et des étudiants des cégeps que des universités intéressées et qu’elle s’étend au-delà des centres urbains, dans les régions du Québec. Parce qu’elle est massive, étendue et catégorique, la grève générale illimitée nous permet de faire pression sur le gouvernement et de le contraindre à négocier avec nous.

« La grève est avant tout un geste politique. »

Est-il nécessaire d’avoir recours à ce moyen d’action ? Ne pourrions-nous pas envisager d’autres actions plus modérées ? Il faut comprendre que la grève générale illimitée est notre dernier recours face à des mesures d’austérité qui accablent notre réseau de services publics. Les manifestations, les actions et les journées de grève se sont multipliées dans les dernières années au sein du mouvement étudiant, communautaire et syndical mais le gouvernement continue de faire la sourde oreille. Il connaît nos revendications, mais il ne cédera pas tant qu’un mouvement d’envergur ne l’y contraindra pas. C’est parce que nous croyons que nous sommes arrivé-e-s au terme d’une escalade des moyens de pression que nos revendications ont rallié une majorité de gens et que plus aucun choix ne s’offre à nous que nous devons déclencher une grève générale illimitée.

Quelques-uns et quelques-unes croient que ceux et celles qui veulent faire la grève devraient laisser ceux et celles qui ne le souhaitent pas aller à leurs cours. Or, cela est contradictoire avec l’idée même de la grève. La force du nombre est notre avantage. De plus, la grève permet de ne pas pénaliser les étudiantes et étudiants qui souhaitent s’impliquer dans le mouvement, ce que ne permettrait pas un simple « boycott ». La grève permet également de libérer du temps pour organiser toutes sortes d’actions dans le but de faire adhérer un grand nombre un nombre croissant de gens à nos revendications et d’augmenter notre rapport de force avec le gouvernement. Évidemment, bien que la grève fasse surgir de nombreux moments de complicité, d’allégresse, nous ne pouvons nier qu’elle constitue aussi un sacrifice. Les sessions sont généralement allongées pour pouvoir reprendre nos cours perdus. Est-il possible que nos sessions soient annulées ? Cela n’est jamais arrivé au cours des neuf dernières grèves générales. Bien que ce soit la première menace que brandisse le gouvernement, celui-ci n’a aucun intérêt à le faire puisque l’annulation de la session engendrerait des coûts immenses, notamment parce que les cohortes finissantes n’entreraient pas sur le marché du travail. Le gouvernement se voit donc dans l’obligation de trouver un terrain d’entente avec les organisations étudiantes. Voilà pourquoi les mobilisations étudiantes ont permis l’obtention de gains significatifs, comme le gel des frais de scolarité pendant plus de 40 ans et l’amélioration substantielle du programme de prêts et bourses.

La grève étudiante de 2012 : cas exemplaire !

La grève étudiante de 2012 contre la hausse de 1625 $ des frais de scolarité est un exemple inspirant, démontrant ce qu’il est possible d’accomplir lorsque nous avons le courage de nos convictions. Elle fut la plus importante grève du mouvement étudiant, dépassant toutes nos attentes en termes d’étendue et d’appui populaire. Au pic du mouvement, nous étions plus de 200 000 grévistes. De Saint Félicien à Sherbrooke tout le Québec était animé par un sentiment d’effervescence. Chorales, occupations, mascarade : la grève a libéré une créativité militante rafraîchissante. Des foules de plus en plus grosses s’emparaient des rues, jours et nuits, pour exprimer leur colère de voir toujours les mêmes s’en mettent plein les poches. Le 22 mai 2012 alors que le gouvernement venait tout juste d’émettre la loi spéciale restreignant le droit de manifester dans le but de faire avorter la mobilisation, plus de 200 000 personnes, travailleurs et travailleuses, étudiantes et étudiants, parents, artistes, ont répondu à l’appel de la Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE) en manifestant au centre-ville de Montréal. À partir de ce moment, des tintamarres de casseroles ont commencé à se faire entendre à tous les coins de rue du Québec. L’obstination du Parti libéral l’aura mené à sa perte : notre mouvement a su s’alimenter du mépris de celui-ci, croître et aller chercher des appuis solides dans la population. Nous avons réussi à le pousser dans un coin où il n’y avait qu’une issue : annuler la hausse des frais de scolarité. Par orgueil, il a préféré déclencher des élections, qu’il a perdues. L’ampleur du mouvement témoignait d’une opposition forte au projet néolibéral qu’essayaient de nous faire avaler les élites au pouvoir. Aujourd’hui encore, le Parti libéral tente de nous faire avaler de multiples coupures en éducation, en santé, en culture, mais nous devons lui opposer la même résistance qui nous a permis historiquement de conserver notre dignité. Cet automne, la possibilité de faire front commun contre ce gouvernement s’offre à nous, saisissons-là !


[1Le rapport Demers est issu du Sommet sur l’éducation organisé par le gouvernement du Parti québécois en 2013. Il avait pour mandat d’étudier l’avenir des programmes d’études au cégep ainsi que les règles de financement et de gouvernance des programmes.

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