« Constituer un front de la classe des salarié-e-s en faveur des débardeurs, avec le projet que ce front unique pourra tous nous servir »
par Guy Roy
Dimanche dernier, 1020 des 1023 débardeurs du Port de Montréal, qui participaient à un vote sur les dernières offres patronales, ont rejeté celles-ci. Un tel résultat en surprendra peut-être certains. L’enjeu principal, en cause : les horaires de travail et la conciliation travail-famille, un dossier où les choses n’ont carrément pas d’allure, au Port de Montréal et ces offres n’offraient rien à cet égard. Ou si peu. Plus de détails-ci-joint.
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Au Port de Montréal, les opérations sont hautement mécanisées. De gros investissements ont été faits au niveau des terminaux. Les salaires versés sont aussi relativement plus élevés quant bien d’autres endroits. C’est ce qui permet au Port de Montréal de gérer jusqu’à 1,75 millions de conteneurs par année. En 2019, cela représentait plus de 40 millions de tonnes de marchandises. Le tout en surplus du transport en vrac (ex : céréales).
Cela fait de ces installations parmi les plus productives sur la Côte Est. Y compris du coté des États-Unis. Pour les armateurs, c’est en même temps une véritable manne. Très profitable en plus.
Un projet est aussi en cours pour investir jusqu’à 1 milliard de dollars additionnels, sur la Rive-Sud, juste en face, près de Contrecœur, pour pouvoir gérer encore plus de conteneurs et de marchandises en vrac. On parle d’ailleurs de presque doubler le nombre de conteneurs qui pourront alors être manutentionnés, à chaque année. Soit un total de 3,25 millions de conteneurs !
Sauf qu’au niveau des horaires et des conditions
de travail, on repassera. Les débardeurs peuvent travailler jusqu’à 19 jours sur 21, le jour, le soir, la nuit et les fins de semaine. Cela fonctionne 24 sur 24, 7 jours sur 7.
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Souvent les débardeurs ne savent que la veille sur quel quart, selon quel horaire, ils devront travailler. Le capitalisme, c’est aussi cela. Même quand vous êtes mieux payé, vous pouvez quand même vivre un quasi-enfer. L’automatisation des opérations ne diminue pas cet état lieux ; cela peut même l’aggraver. Vous devenez alors encore plus esclave de vos propres conditions.
Grâce à toutes sortes d’efforts en matière d’automatisation, en une seule heure de travail, un seul débardeur peut désormais effectuer ce que plusieurs centaines de personnes pouvaient faire avant. Aux patrons, il rapporte donc encore plus. Même avec un salaire plus élevé qu’anciennement. La plus-value, extraite du fruit de son travail, qui lui est extorqué, devient alors encore plus grande.
Il ne devient pas moins exploité. En fait, il le devient encore plus ! Et qui profite de tout cela ? Des compagnies qui sont souvent étrangères, en plus.
Notez une dernière chose : contrairement à ce que vous pourriez penser, les différents terminaux, dans le Port de Montréal, comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des autres ports, ailleurs, n’appartiennent pas à l’État, mais à des compagnies privées, même si le port lui-même appartient à une société de la Couronne, au niveau Fédéral. C’est comme cela. Supposément que cela fonctionnerait mieux ainsi.
Pareil arrangement est surtout profitable aux compagnies dans la mesure où elles n’ont ainsi pas besoin de payer pour une bonne partie des infrastructures ambiantes, ainsi que pour leur entretien. Elles ont juste à s’occuper de « leurs » terminaux respectifs.
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En surplus des questions d’horaires, il y a également un problème au niveau du climat de travail lui-même.
Le syndicat, soit la section locale 375 du SCFP(FTQ), dénonce en effet aussi ce qu’il considère comme étant une culture répressive de la part de l’employeur :
« On a entre 100 et 150 femmes débardeuses. Quand elles s’arrêtent à la salle de bains, parce qu’elles sont dans leur période du mois, l’employeur leur envoie des lettres disciplinaires pour leur dire d’attendre leur pause la prochaine fois. C’est ça, l’environnement dans lequel on est, par lequel l’employeur tente d’imposer un régime militaire à l’intérieur des quais. La moindre petite chose est passible de mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au congédiement », souligne-t-il.
La convention collective est échue depuis le 31 décembre 2018. Le syndicat demande donc une réorganisation et une gestion des horaires permettant une meilleure conciliation travail-famille, de même qu’une refonte du code de discipline. Or, l’offre patronale ne répondait pas à ces demandes, de rajouter aussi le syndicat. « L’offre incorporait 80 demandes patronales et ne répondait qu’à 4 demandes syndicales accessoires », de dire Michel Murray, qui est conseiller syndicat. (1)
À noter : le taux de participation au vote de dimanche, au cours duquel 99,7% des débardeurs votèrent contre les offres, était de 93%. On ne saurait être plus clair.
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Avant de passer à l’étape suivante, qui pourrait être de déclencher une première série de débrayages, le syndicat veut encore donner une dernière chance aux patrons de convenir, à la table de négociation, d’une nouvelle entente. Ce qui serait vraiment bien, serait qu’un maximum d’autres organisations syndicales déclarent le soutien aux débardeurs.
Les différentes associations patronales, à travers le Québec, n’ont pas hésité une minute, elles, à se ranger derrière l’Association des Employeurs Maritimes (AEM), qui représente les différents employeurs au Port. Elles l’avaient fait l’été dernier, lors d’une première série de débrayages, et elles le font encore. Et ce nonobstant le bien-fondé de ce que demandent les débardeurs. Rien de vraiment démesuré en plus.
Eux savent ce que peut vouloir dire la solidarité de « leur » classe.
Les différentes organisations syndicales, de leur côté, devraient tout autant serrer les rangs autour des débardeurs. Qu’elles soient ou non plus directement concernés par ce qui se passerait au Port de Montréal. Ce port n’est-il pas de toutes les manières un des principaux poumons de toute l’économie du Québec ? Les débardeurs font partie de nos anges gardiens.
Cela pourrait se faire par voie de communiqués et de points de presse. Quand on est travailleur, la seule véritable force réside dans l’unité. Les débardeurs, eux, sont unis. Soyons-le aussi pour eux ! Le syndicalisme, cela doit aussi servir à cela.
Parce les débardeurs du Port de Montréal font justement partie de nos anges gardiens, parce que leur travail est clairement aussi essentiel à une bonne partie du reste de l’économie québécoise, aussi pour tout ce qui continue toujours à être exporté, que pour ce qu’on doit aussi importer à tous les jours, et parce que leurs demandes sont justes, le premier ministre du Québec pourrait tout autant prendre partie en faveur de ces derniers et insister pour que les patrons, au Port, deviennent plus conciliants.
Ces patrons auraient amplement les moyens de faciliter la conciliation famille-travail pour leurs employés, en acceptant de revoir leurs politiques en matière d’organisation du travail. Il faudrait juste plus les pousser à le faire.
Nul doute aussi que plus il y aura de gens pour se dire d’accord avec les débardeurs et plus cela mettra de la pression sur Legault pour qu’il prenne plus partie pour ces travailleurs, au lieu de se rabattre plus vers les patrons, comme à l’accoutumée. Finira-t-il par le faire ? Il le pourrait pour sûr. Quoiqu’il en soit, cela ne devrait pas nous empêcher de le réclamer ... et d’insister pour qu’un maximum de gens affichent tout autant leur soutien à ce groupe très courageux de travailleurs.
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On devrait tout autant exiger que le Fédéral reste à l’écart de tout cela. Solidarité avec les débardeurs du Port de Montréal ! Faisons à notre tour preuve d’unité, au niveau de « notre » propre classe, soit la classe de tous les travailleurs et travailleuses !
À terme, tout cela devrait aussi favoriser l’obtention plus rapide d’une entente, plus adéquate pour les débardeurs, avec un minium d’impacts négatifs pour l’économie du Québec.
Notre propre nation distincte, comme Québécois et Québécoises, commanderait tout autant de soutenir ces débardeurs.
(1) : Voir cet article du journal « Le Devoir ».
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