Édition du 12 novembre 2024

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Politique québécoise

La grande illusion de la social-démocratie suédoise : Plutôt un exemple de néolibéralisation au pas de course (1)

Au début janvier 2013, Le Devoir publiait dans sa page « Idées »[1] une série de trois articles sur trois jours, ce qui n’est pas rien, encensant le modèle suédois que devrait imiter le Québec. Sans cacher privatisation (hydroélectricité et transport public) de même que l’introduction de la concurrence et du ticket modérateur dans le système de santé, les auteurs, de retour d’un bref voyage en Suède, n’en affirment pas moins que :

· « …les Suédois parviennent mieux que nous à réduire les inégalités et à redistribuer la richesse, et leur économie, plus productive, contribue à mieux gérer la dette publique. […]

· « …personne en Suède n’oppose compétitivité et solidarité. Ces deux notions sont au contraire vues comme complémentaires. […]

· [D’une méthode de décision basée sur] « …la force du consensus. »

Difficile de ne pas voir que les auteurs, dont l’artiste-politicien Dominic Champagne grand promoteur de l’alliance PQ- Québec solidaire , prennent la relève du social-libéral « Manifeste des solidaires » de 2005 signé entre autres tant par les deux actuels députés de Québec solidaire ainsi que par quatre députés du Bloc québécois et du PQ de l’époque.

La grande illusion de la social-démocratie suédoise : Plutôt un exemple de néolibéralisation au pas de course

Ce manifeste proposait comme alternative l’ultra-libéral « Manifeste des lucides » « un virage politique et économique qui soit résolument viable, progressiste et solidaire […] ce que font avec succès les pays nordiques de l’Europe classés comme les plus compétitifs du monde par ceux qui jugent selon les normes économiques dominantes [tout en étant] fortement syndiqués et que leurs syndicats participent directement aux décisions et stratégies corporatives ! » Le modèle scandinave proposé basé sur la concertation capital-syndicats permettrait la quadrature du cercle de la compétitivité néolibérale avec la redistribution de la richesse cum le développement durable.

Il n’y a rien comme passer ce soi-disant modèle au crible d’une banale et rapide analyse conjoncturelle, socio-économique et historique, à l’aide de sources connues de centre-gauche et quelque peu officielles, soupoudrées d’une source anticapitaliste, pour conclure à sa rapide néolibéralisation.

Depuis la crise 1975-76, une gauche et une droite qui néolibéralisent au pas de charge

Qu’en est-il cependant de l’évolution de ce modèle depuis le début, il y a plus de trente ans, de l’ère néolibérale ? La Suède a été gouvernée par une coalition de droite entre 1976 et 1982 puis de 1991 à 1994 et depuis 2006. À part ces interludes… qui se prolongent, la social-démocratie a gouverné depuis 1936. Est-ce à dire que celle-ci a résisté aux politiques néolibérales ?

« Les premières atteintes de la crise [de 75-76 dite pétrolière, NDLR], dans ce pays dépourvu de ressources pétrolières, avaient amené au pouvoir les partis « bourgeois » en 1976. Mais leur coalition […] n’a pas résisté à la montée du chômage et au mécontentement provoqué par la réduction des prestations sociales : les sociaux-démocrates sont revenus au gouvernement lors des élections de septembre 1982. L’année 1983 a cependant débuté par l’annonce d’un programme draconien d’« assainissement » de l’économie […] L’industrie suédoise a en effet beaucoup de marchés étrangers et si les multinationales ont continué à investir hors des frontières, elles ont souvent réduit leurs activités dans le cadre national. »[2]

Les sociaux-démocrates, à la suite des partis de droite, ont donc choisi de faire payer les crises de 75-76 puis celle du début des années 80, au peuple suédois et non aux multinationales (ex. Volvo, Saab, Ericsson, Electrolux, IKEA, ABB, Astra, Stora) qui n’avaient pourtant pas hésité à recourir à la fuite des capitaux. Au contraire, la Suède fut « [p]lus largement ouverte au capital étranger depuis 1982, et engagée dans la voie d’un assouplissement progressif du contrôle des changes… ».[3] Les résultats de cette politique ont été « positifs malgré la baisse du pouvoir d’achats des personnes actives et des retraités (suppression des indexations sur le coût de la vie)… ».[4] Finalement, « [l]es moyens utilisés différencient pourtant assez peu la Suède des autres États : amélioration de la compétitivité des entreprises industrielles, freinage de la consommation intérieure, réduction des dépenses publiques et du déficit budgétaire. »[5]

Avec la reprise à partir du milieu des années 80, faut-il s’étonner de la résistance de la classe ouvrière que ne parviennent pas à totalement contrôler les directions syndicales :

« Le 2 mai [1985], éclatait la plus importante grève (dix-huit jours, quelque 60 000 grévistes) que le secteur public suédois ait connu dans son histoire. Après l’intervention d’Olof Palme [premier ministre], les syndicats ont accepté un compromis sur les hausses de salaires demandées (2% au lieu de 3.1%) qui marquait un recul dans la politique gouvernemental de lutte contre l’inflation. »[6]

Cependant, en automne 1986, une grève d’un mois du secteur public n’aboutit pas à « la parité des salaires avec le secteur privé. Pour la première fois, le principe de la solidarité, si cher à la centrale syndicale LO était ébranlé et sacrifié à la politique anti-inflationniste. »[7] Malgré tout, « [l]a hausse des salaires (6.5% - 7% en 1987 pour le salaire moyen) et des prix (4.2% malgré le blocage pendant les six premiers mois de l’année), plus rapide en Suède que dans la plupart des autres pays, a contribué à fragiliser à la fois la compétitivité et le plein emploi. »[8] Pour faire face, le gouvernement social-démocrate présenta, « quelques semaines seulement après les élections de septembre [1988], les grandes lignes d’une réforme fiscale en profondeur [qui visait] à redonner aux Suédois « le goût du travail et de l’épargne ». [Le ministre des Finances] tire un trait sur la progressivité de l’impôt, dogme sacré des sociaux-démocrates depuis la fin de la guerre. »[9]

On comprendra que « [l]a confiance envers le gouvernement s’est étiolé et [que] l’année a été fertile en conflits sociaux : grève dans l’industrie au printemps 1989, mouvement sauvage des chemins de fer en août 1989, grève des enseignants en novembre-décembre 1989, des employés de banque en janvier 1990 et dans la fonction publique en février. » Suite à l’échec de la concertation, s’ensuivit « l’annonce par le gouvernement d’un plan d’urgence d’une sévérité exceptionnelle : blocage pendant deux ans des prix, des salaires, des loyers et des impôts communaux, et interdiction des grèves pour revendications salariales. Le 15 février 1990, le programme, qui avait reçu l’aval de la centrale syndicale LO était rejeté par le parlement… ».[10] Il fallu que le parti Communiste et les Verts s’allient aux sociaux-démocrates pour sauver le plan d’urgence mais en l’amputant du blocage des salaires et de l’interdiction des grèves.

Faut-il s’étonner que les sociaux-démocrates aient perdu les élections de 1991 avec le plus bas score électoral depuis 1928 ? Le retour de la droite aux affaires coïncida avec la pire crise qu’ait connue la Suède depuis celle des années 30. De 1989 à 1993, l’industrie perd le quart de ses emplois industriels.[11] Loin de s’opposer aux mesures d’austérité du gouvernement de droite, l’opposition sociale-démocrate l’y aida :

« Dès septembre 1992, une politique d’austérité, dont le coût social s’annonçait considérable avait été mis en œuvre par le gouvernement. Après la tourmente monétaire et la montée du taux d’intervention de la Banque centrale jusqu’à 500%, un accord historique a été conclu le 20 septembre avec l’opposition sociale démocrate pour réaliser 41 milliards d’économie (échéance 1997) par l’élévation de l’âge de la retraite de 65 à 66 ans, la réduction ou le gel des aides au logement, allocations familiales et maladie, bourses et retraites. Le 19 novembre 1992, le gouvernement devait se résoudre à laisser flotter la couronne qui avait perdu 20% de sa valeur le 15 février 1993. Pour favoriser la compétitivité, une loi a confirmé, fin novembre 1992, les accords conclu entre le parti social-démocrate et le gouvernement sur la diminution des charges patronales, l’augmentation de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sur les produits alimentaires et la suppression de deux jours de congés annuels »[12]

Pourtant, encore une fois, la crise monétaire qui envenimait la crise économique était due aux activités spéculatives du capital suédois :

« [L]’augmentation des profits n’a pas débouché sur la hausse des investissements attendue. Au lieu de cela, des centaines de milliards de couronnes ont été dépensées dans l’achat d’actions en bourse et de biens immobiliers […] Les banques ont coopéré avec enthousiasme, prêtant de l’argent à profusion et alimentant la spirale. Entre 1982 et 1990, le PNB suédois a augmenté de 20%, tandis que la part du marché des actions des compagnies immobilières augmentait, elles, de 800%. […] En 1988, le gouvernement social-démocrate a supprimé les restrictions sur les prêts bancaires, éliminant ainsi les derniers obstacles à la frénésie spéculative. […] [U]ne étude de la balance commerciale suédoise montre que son déficit est uniquement le résultat des activités des capitalistes. Ils ont investi leur argent dans la spéculation [en dehors de la Suède, NDLR] et l’ont perdu. »[13]

Le rejet de la droite permit le retour au pouvoir des sociaux-démocrates en septembre 1994. Tout de suite, « [l]e Premier ministre et son prédécesseur conservateur Carl Bildt se sont alliés pour défendre la cause européenne, gagnée de justesse à l’issue du référendum du 13 novembre 1994 sur l’adhésion à l’Union européenne (52.2% de « oui »). », campagne combinée avec un nouveau programme d’austérité.

« Le gouvernement a opté pour une politique d’austérité entamant un peu plus le « modèle suédois. » Le 2 novembre 1994, il élaborait un programme d’assainissement des finances publiques (50 milliards sur quatre ans) par une pression fiscale accrue (sur les hauts salaires, le capital, et la propriété,) une désindexation des retraites et des aides aux étudiants sur les prix. Le 5 avril 1995, il obtenait le soutient du Parti du centre sur les coupes budgétaires (22 milliards de couronnes), affectant notamment les allocations familiales et de logement, sur la réduction des taux d’indemnisation de sécurité sociale (de 80% à 75%), sur le plafonnement des dépenses des collectivités locales […] un allègement des charges patronales… »[14]

« Göran Persson [nouveau Premier ministre social-démocrate] a annoncé le 15 avril 1996 de nouvelles mesures de compressions des dépenses sociales : allocation logement, retraites, remboursements des frais médicaux, congé parental [pour] ramener le déficit budgétaire à 3% du PIB en 1997… »[15]

Il est vrai que pour se concilier la centrale syndicale LO, le gouvernement, en plus de faire contribuer les riches à l’effort fiscal, a ramené « l’indemnisation du chômage à son niveau antérieur (80% du dernier salaire) en 1998. » Cette politique de rigueur sur le dos des classes populaires « a commencé à porter ses fruits en 1997. Le déficit des finances publiques, l’un des plus élevés de l’Union européenne en 1994 (13,4% du PIB), devait atteindre 4% du PIB en 1996. [Cependant,] [l]a popularité des sociaux-démocrates n’a cessé de diminuer au second semestre de 1996 pour ne plus atteindre que 26% des intentions de vote… »[16]

Inquiet pour sa réélection et profitant du redressement économique et budgétaire, le gouvernement suédois « a rejeté, dès le 19 septembre 1997, l’éventualité d’allègements fiscaux et proposé une augmentation des dépenses en faveur de la protection sociale, de la santé et de l’éducation (8 milliards de couronnes) et une allocation annuelle de 2% du surplus en faveur de l’emploi. » Ces concessions lui ont valu sa réélection en 1998 avec cependant « son plus mauvais score depuis 75 ans […] en chute de plus d’un cinquième. »,[17] ce qui l’a obligé à passer un accord avec le nouveau Parti de gauche (ex-communiste) et les Verts. Ainsi, la social-démocratie affaiblie a été empêchée de faire immédiatement après les élections des coupures drastiques autres que des réductions mineures des allocations de chômage et du budget de la santé, ce qui a entraîné la démission du très néolibéral ministre des Finances.[18]

Face à l’hésitation de la nouvelle coalition de gauche, « [p]lusieurs grosses entreprises ont commencé a déménager leur siège social ce qui ne pouvait qu’inquiéter dans un pays où quelques multinationales jouent un rôle clé [même si] …l’impôt sur les sociétés (28%) est parmi les plus faibles d’Europe… [et qu’après] avoir assaini les finances publiques, le gouvernement a tablé sur un excédent budgétaire de 0.5% du PIB en 1999. »

« Dans l’industrie forestière, Stora a fusionné avec Enso, puis s’est intallé à Helsinki [Finlande] où Nordbanken, l’une des principales banques suédoises, s’est également déplacée. À l’automne 1998, l’annonce par la compagnie Ericsson (téléphonie) de son déménagement partiel à Londres a fait trembler le royaume. Le groupe pharmaceutique Astra s’est ensuite marié avec le britannique Zeneca (nouveau siège à Londres). Le plus gros choc fut toutefois l’annonce par Volvo de la vente de sa division voiture à l’américain Ford, pour quelque 50 milliards de couronnes. »[19]

« Le rachat de Saab à General Motors par le constructeur néerlandais Spyker (janvier 2010) et celui de Volvo à Ford par le constructeur chinois Geely (mars 2010) ont fait figure de symboles. »[20]

Faut-il s’étonner que loin d’être gagnée par la baisse du chômage, mais « qui ne compte pas les nombreuses personnes sans emploi suivant une formation […] [l]a population aura davantage été impressionnée par les annonces de suppressions de dizaines de milliers d’emplois par Ericsson, Volvo ou ABB. »[21]

« La situation économique a été, pourtant relativement satisfaisante puisque, en 2004, la croissance a atteint 3.5%, l’excédent commercial a dépassé 23 milliards d’euros et l’inflation est restée faible (1.1%). Le chômage était toutefois préoccupant (5.8% en avril 2005) et l’annonce en mars 2005 que General Motors allait transférer la production de voitures de la gamme moyenne de Saab vers l’Allemagne suscité de l’émoi dans le pays. »[22]

Cette insécurité sur fond de relative prospérité, « liée à l’explosion des technologies de l’information », crée un malaise social se répercutant sur les rapports avec les autochtones, les femmes, les immigrants et les pays dépendants :

· « À la mi-1999, la Suède n’avait cependant toujours pas ratifié la convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du travail) sur les droits des peuples autochtones, qui accorderait — théoriquement — aux Sami des droits à la terre et à l’eau. Au cours des trente années précédentes, les éleveurs de rennes ont été privés de vastes étendus de pacages d’hiver au profit de l’industrie forestière. [23]

· « Le premier janvier 1999 est entré en vigueur une loi condamnant l’achat de services sexuels (jusqu’à six mois de prison encourus), mais n’interdisant pas la pratique de la prostitution, laquelle est devenue plus souterraine, et donc plus difficile à surveiller. »[24]

· « … le pays a été secoué par une série d’agressions néo-nazies qui ont choqué la population. Le 28 mai 1999, deux policiers ont été exécutés par trois extrémistes qui venaient d’attaquer une banque. Un mois plus tard, le 29 juin, un journaliste spécialisé de l’extrême droite et son jeune fils étaient blessés dans l’explosion d’une bombe placée dans leur voiture. Et, le 12 octobre 1999, un syndicaliste était abattu devant chez lui par un groupe de néonazis. […] L’explosion de la musique raciste dite « pouvoir blanc » — dont la Suède est devenue l’une des principales plates-formes mondiales — permet de financer ces groupuscules néonazis. »[25]

· « Enfin, le 25 mars 2001, la Suède a mis en application la convention de Schengen sur la libre-circulation des ressortissants des pays associés et le contrôle de l’immigration des non-ressortissants. »[26]

· « Dénonçant en février 2009, dans une tribune journalistique, l’échec de la politique d’intégration suédoise, le ministre des Migrations Tobias Billström a annoncé son intention de durcir sa politique en augmentant le nombre d’expulsions… »[27]

· « En 2001-2002, la participation à l’UE n’était plus présenté par les autorités suédoises comme seulement un atout économique […] mais comme un espace de lutte contre le terrorisme et le crime organisé […] Le gouvernement… n’a émis aucune réserve quant à l’intervention militaire en Afghanistan. »[28]

· « Le Parlement suédois (Riksdag) a très largement approuvé le 1er avril 2011 la participation de huit avions de combat et d’un avion de transport à l’intervention en Libye pour faire respecter la zone d’exclusion aérienne. […] Cette première intervention militaire de la Suède à l’extérieur de ses frontières depuis cinquante ans a marqué une nouvelle inflexion par rapport à sa neutralité longtemps proclamée, à tel point que l’adhésion à l’OTAN était désormais évoquée. »[29]

Il ne faut pas penser non plus que la sociale-démocratie suédoise soit ouverte au nouveau mouvement altermondialiste. Même si la répression du gouvernement italien à Gênes en 2002 a fait oublier celle de Göteborg en 2001, rappelons-nous :

« Une répression policière sauvage : c’est ce qu’on retiendra avant tout du sommet de l’Union européenne à Göteborg en Suède, clos le vendredi 15 juin. Pour la première fois depuis qu’à Seattle, en décembre 1999, des dizaines de milliers de manifestants avaient pris la rue de manière organisée contre la mondialisation capitaliste, la police a employé des armes à feu. C’est aussi la première fois depuis 1920 qu’en Suède on compte trois blessés par balles (tous dans le dos !) à l’issue d’une manifestation. Sciemment ou non, la police suédoise a joué la provocation. »[30]

Aux élections de 2002, même si la coalition de gauche a conservé le pouvoir en maintenant son score électoral, le grand parti gagnant aura été « le Parti libéral [de 4.6% des votes en 1998 à 13.3%] qui a réalisé un profond tournant droitier » en plaçant la question de l’immigration au centre des débats politiques. Par contre, ont aussi légèrement progressé les écologistes et les agrariens qui s’opposaient à une intervention en Iraq même sous l’égide de l’ONU alors que tous les autres partis, y compris le Parti de gauche, y étaient favorables. De plus, les Conservateurs ont perdu le pouvoir dans la capitale, Stockholm, après y avoir privatisé « … entre autres, les transports, les garderies, les services de santé, l’éducation, le logement et le nettoyage des rues… »[31]

Après ces élections, cependant, pour convaincre la population suédoise d’intégrer la zone euro, d’autant plus que la centrale syndicale LO adoptait une position de neutralité face à la pression anti-UE de sa base, la coalition de gauche a tenté de calmer le jeu en condamnant l’intervention étasunienne en Irak et en haussant les dépenses sociales même s’il n’est pas question d’annuler les privatisations faites à Stockholm par les Conservateurs. Rien n’y fit. Le référendum donna 56% au « non » en septembre 2003. Pire, en attendant les élections parlementaires de 2006, « [l]es élections au Parlement européen du 13 juin 2004 ont contribué à fragiliser le Parti social-démocrate au pouvoir (24.5% des voix)… ».[32]

« Le parti qui traditionnellement représente la classe ouvrière suédoise — le Parti ouvrier social-démocrate (SAP) — est le principal perdant dans ces élections, alors qu’on a du mal à trouver les gagnants. Tant en nombre de voix qu’en pourcentage le SAP a obtenu le plus mauvais résultat de l’histoire moderne. Cette élection ainsi que le référendum de l’an dernier indiquent qu’une brèche est en train d’apparaître entre la social-démocratie et la classe ouvrière…[…] La brèche évidente entre le SAP et la classe ouvrière n’a pas pour autant conduit à ce que d’autres partis de gauche accroissent leurs résultats. Le parti de gauche (Vänsterpartiet, ex-communiste) n’est pas parvenu à bénéficier de l’affaiblissement de la social-démocratie, bien qu’il soit opposé à l’adhésion à l’UE. Ce qui pourrait sembler étrange ne l’est en réalité pas du tout. Bien qu’il ne dispose d’aucun siège au sein du gouvernement, le Parti de gauche est en réalité un parti gouvernemental. Il soutient sa politique néolibérale, les privatisations etc. Le même raisonnement s’applique aussi au Parti Vert (Miljöpartiet). En conséquence ces deux partis ne pouvaient bénéficier du mauvais résultat social-démocrate.[33]

La voie était ainsi ouverte à un retour de la coalition de droite en 2006…

« Les élections législatives du 17 septembre 2006 ont consacré la victoire de l’alliance formée par les conservateurs… […] Il a créé dès son premier budget des allégements fiscaux pour les aides à domicile et les entreprises recrutant des jeunes ou des chômeurs, a réduit les allocations chômage et triplé (en moyenne) les cotisations de l’assurance chômage pour les travailleurs. Voulant marquer le début d’une nouvelle époque, il a annoncé, en mars 2007, la privatisation de six entreprises d’ici 2009 et la suppression de l’impôt sur la fortune, créé il y a soixante ans, dès 2007, afin de limiter l’exode fiscal et de stimuler les créations d’entreprises. […] Mona Sahlin a remplacé Göran Persson à la tête du Parti social-démocrate […] Elle souffrait aussi d’une image de “droite” après avoir défendu le gel des salaires alors qu’elle était ministre du Travail lors de la crise économique qu’a connue la Suède au début des années 1990. »[34]

« Au cours de toute la campagne électorale les sociaux-démocrates se sont réfugiés dans le déni, prétendant que tout allait pour le mieux. Ils ont ainsi permis à l’alliance autour des conservateurs de se présenter comme une alternative… capable de créer plus d’emplois ! La privatisation des biens publics, y compris les hôpitaux, par le gouvernement social-démocrate intégrant des Verts et le Parti de gauche a aussi ouvert la voie aux conservateurs, légitimant leur orientation néolibérale plus radicale encore. »[35]

Après la désaffection envers le Parti social-démocrate, c’est dorénavant son socle social syndical qui commence à écoper :

« Les syndicats ont aussi subi les conséquences de la réforme de l’assurance chômage de 2007, qui a consisté à transférer une part des cotisations de l’État à la charge des assurés et à réduire le montant des prestations. Cela a amené un certain nombre de travailleurs, jusqu’à 20 % dans certains secteurs, à cesser de s’assurer et donc de se syndiquer, les caisses d’assurance chômage étant gérées dans de nombreux métiers par les syndicats. »[36]

Puis frappa la crise de 2008 qui entraîna les concessions bien connues aux entreprises :

« En 2008, la Suède entrait en récession dès le second trimestre avec un PIB contracté de 4,9 % en glissement annuel au quatrième trimestre, soit le pire résultat depuis 1993 et la crise bancaire. En mars 2009, […] le taux de chômage culminait à 8,3 %. […] Le taux de l’impôt sur les sociétés fut ainsi abaissé de 28 % à 26,3 % et les cotisations sociales acquittées par les employeurs allégées pour 2009. »[37]

Lors de l’élection de 2010, la balancier ne revint pas à gauche tellement son discrédit s’approfondit… d’où l’émergence d’une pseudo solution à l’extrême droite :

« Lors des législatives du 19 septembre 2010, l’opposition constituée par le Parti social-démocrate (30,7 % des voix), le Parti de l’environnement-Les Verts (7,34 %) et le Parti de la gauche (5,6 %) n’est pas parvenue, pour la première fois, à empêcher la reconduction d’une coalition « bourgeoise ». […] Les élections ont en fait été surtout marquées par la nette poussée des Démocrates de Suède (5,7 %, après 2,9 % en 2006), parti d’extrême droite qui, ayant obtenu 20 sièges, a pu entrer au Parlement, là aussi pour la première fois de l’histoire. […] Malgré ce refus et malgré une participation forte (82,1 %) qui ne lui était a priori pas favorable, le succès de ce parti témoignait de l’enracinement du thème de l’immigration en Suède, comme dans le reste de la Scandinavie. »[38]

Actuellement, le taux de chômage suédois se compare à celui du Québec de même que la tendance aux politiques d’austérité :

« En février 2012, le taux […] du chômage s’élevait à 7,8 %, touchant plus sévèrement les 15-24 ans (25,2 %). L’année a été marquée par d’importantes manifestations en avril 2011 contre les réformes de l’assurance maladie, puis en février 2012 après l’évocation par le Premier ministre, le conservateur Fredrik Reinfeldt, d’un possible report à 75 ans de l’âge de la retraite pour tenir compte de l’allongement de la durée de vie. »[39]


Notes

[1] La Suède et le Québec qu’elle nous inspire, Dominic Champagne , Geneviève Dorval-Douville, Miriam Fahmy, Pascale Navarro , Paul St- Pierre -Plamondon, Le Devoir , 3/4/5 janvier 2013

[2] État du monde, édition 1983

[3] État du monde, 1987-1988

[4] État du monde, 1984

[5] État du monde, 1985

[6] État du monde, 1985

[7] État du monde, 1987-1988

[8] État du monde, 1988-1989

[9] État du monde, 1989-1990

[10] État du monde, 1991

[11] État du monde, 1995

[12] État du monde, 1994

[13] INPRECOR, mai 1993

[14] État du monde, 1996

[15] État du monde, 1997

[16] État du monde, 1998

[17] État du monde, 1999

[18] INPRECOR, juillet-août 1999

[19] État du monde, 2000

[20] État du monde, 2009-2010

[21] État du monde, 2003

[22] État du monde, 2006

[23] État du monde, 2000

[24] État du monde, 2000

[25] État du monde, 2001

[26] État du monde, 2001-2002

[27] État du monde, 2008-2009

[28] État du monde, 2003

[29] État du monde, 2011-2012

[30] INPRECOR, Juin-juillet 2001

[31] INPRECOR, novembre-décembre 2002

[32] État du monde, 2006

[33] INPRECOR, Juillet-août 2004

[34] État du monde, 2006-2007

[35] INPRECOR , novembre 2006

[36] État du monde, 2007-2008

[37] État du monde, 2008-2009

[38] État du monde, 2010-2011

[39] État du monde, 2011-2012

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