Rappelons également qu’en décembre 2011, Silvio Berlusconi avait dû démissionner suite à la crise d’une dette galopante : les taux d’intérêt des Bons du Trésor Pluriannuels (BTP) avaient atteint un pic à 7 % (soit un seuil technique et psychologique au-delà duquel planait le spectre du défaut) et le Parlement lui avait refusé sa confiance sur le bilan financier |2|. La Troïka (Commission européenne, BCE et FMI ) avait donc exigé le départ de Berlusconi car celui-ci ne réalisait pas assez rapidement les contre-réformes antisociales dictées. Au même moment, elle avait fait de même avec George Papandréou, le premier ministre grec. Les gouvernements de Berlusconi et de Papandréou ont été remplacés par des gouvernements « techniques » et non élus chargés d’accélérer l’application des réformes dites structurelles.
Aujourd’hui son parti ne parle plus de cette problématique. À l’instar d’autres partis politiques, il préfère se limiter à des déclarations de principes sur la nécessité de la réduction de la dette publique à travers la croissance économique, une croissance difficile à atteindre vu les conditions économiques dans lesquelles le pays se trouve. Faire croire que toutes les promesses sur la table (réduction ou abolition de certains impôts comme les taxes universitaires, cadeaux faits aux pensionné-e-s..) soient réalisables sans remettre en question l’engrenage de la dette et les contraintes imposées par les Traités de l’Union européenne et sans réaliser une vraie redistribution de la richesse est illusoire et mensonger.
Coalition dite de centre droite
Forza Italia
Dans le programme électoral de « Forza Italia », il n’est pas directement question de solutions pour réduire la dette. C’est grâce à des interviews dans les médias qu’on découvre quelques détails en plus : l’objectif du parti politique serait de réduire la dette jusqu’à 100% par rapport au PIB en seulement 5 ans ! Comment ? Grâce à la croissance économique et à un grand projet de privatisations, sans que les engagements envers l’Union européenne soient remis en cause. Dans le chapitre sur l’Europe, on trouve par contre une référence vague à la réduction de l’austérité et à la révision des traités européens sans que les deux propositions soient jamais détaillées. La contradiction reste ouverte.
On lit également que « l’État devrait repayer toutes les dettes vis-à-vis de ses citoyen-ne-s et des entreprises à travers l’émission de titres de l’État de petite taille ». Selon le centre droit, certaines entreprises privées (au lieu d’être dispensées des obligations fiscales) sont en effet en crédit vis-à-vis de l’État italien. Pour cette raison, l’État devrait émettre des « mini bonds » (titres de petite taille), un moyen de paiement alternatif au cash, à taux d’intérêt zéro et sans échéance. Ces mini bonds serviraient pour payer tout type d’impôt. L’impact de cette mesure sur le stock de la dette n’est pas clair.
Petit détail pour ceux et celles qui l’auraient raté : malgré la condamnation définitive pour évasion fiscale et l’impossibilité pour les individu-e-s condamné-e-s de se porter candidat-e-s aux élections, Berlusconi est de retour dans son parti au point que dans le logo figure maintenant la phrase « Berlusconi président » (ce qui représente une tromperie pour ses électeurs et électrices).
La Ligue Nord
La Ligue Nord ainsi que deux autres partis de droite- « Noi con l’Italia » (« Nous avec l’Italie, ex UDC, d’inspiration catholique et conservatrice) et « Fratelli d’Italia » (Nationaliste, conservateur, d’inspiration fasciste) se sont présentés dans la même coalition que Forza Italia sans pour autant avoir choisi un leader commun. Le/a leader sera choisi en fonction du nombre de voix reçues.
Coalition dite de centre gauche
Parti démocratique (PD)
Le virage du parti démocratique (PD) vers l’idéologie néolibérale est aujourd’hui plus clair que jamais. Dans son programme, le parti démocratique demande de réduire la dette publique jusqu’à 100% au cours des dix prochaines années, tout en adoucissant les règles du TSCG et en se rapprochant des critères du Traité de Maastricht. Le ratio déficit/PIB à l’époque était déjà de 2,9%. Cette flexibilité permettrait au pays de réduire la pression fiscale et d’investir dans la croissance économique, la cohésion sociale et donc la réduction de la dette publique.
Più Europa con Emma Bonino (Plus d’Europe avec Emma Bonino) |3|
Pour ce parti la polémique anti-européenne sur l’austérité est une fausse polémique. L’économie européenne est en expansion, tout comme celle de l’Italie, le marché du travail et la dynamique salariale se portent mieux. Il faut donc arrêter de demander plus de flexibilité à l’Europe et montrer qu’on est capable de réduire le poids de la dette, de choisir des politiques pour relancer la productivité et de renforcer la qualité des bilans des banques tout en réduisant les risques liés aux crédits non performants. Le stock de la dette représente une menace pour la stabilité de l’euro, pour l’économie et pour le processus d’intégration européenne. Le problème de la dette publique - selon ce parti - se résoudra en gelant les dépenses publiques et en réduisant les impôts tant sur les revenus des individus que sur ceux des entreprises. En outre, la privatisation de toutes les entreprises publiques est vue comme la solution clé pour éviter la formation de monopoles privés, diminuer le stock de la dette publique et libérer des ressources pour les investissements.
Liberi e uguali (Libres et égaux)
Ce parti - issu de la dissolution partielle du centre gauche - se présente comme l’alternative de gauche au PD de Renzi. Son programme ne fait pas mention de la dette mais recommande :
• 1. la mise en œuvre d’un contrôle sur les activités bancaires dans un cadre mieux défini de responsabilités et de pouvoirs entre la Banque d’Italie, la BCE et la magistrature ;
• 2. une distinction entre banques commerciales
et d’investissement ;
• 3. la correction de la directive sur le bail-in pour assurer la stabilité du système financier ;
• 4. le rétablissement de la protection de l’épargne et la création d’un fonds public pour l’achat des crédits en souffrance.
Mouvement 5 étoiles
Les thèmes de la sortie de l’euro et de la réduction de la dette – chevaux de bataille de Beppe Grillo et de son “mouvement” ces dernières années - sont relégués au second plan dans l’agenda politique des prochaines élections.
L’objectif du mouvement, de manière similaire aux autres partis, est de réduire la dette publique de 40 points en 10 ans par des coupes dans les « gaspillages publics » et les « dépenses non-productives », par la lutte contre l’évasion fiscale et plus d’investissements publics.
On trouve également une référence à la nécessité de réimposer le Glass Steagal Act afin de séparer les activités bancaires et permettre de protéger les déposant-e-s, la création d’une banque publique d’investissements et le remboursement de tou-te-s les citoyen-ne-s qui ont perdu leur épargne à cause des faillites bancaires ou de l’application du bail-in |4|.
Sans surprise, les partis politiques de gauche radicale et d’extrême droite parlent davantage de la dette (que cela soit dans leur programme politique ou sur les médias) par rapport à ceux les plus susceptibles de rentrer dans le gouvernement (comme Forza Italia, PD, Movimento Cinque Stelle mentionnés plus haut).
Potere al popolo (Pouvoir au peuple)
« Potere al popolo », le parti politique le plus proche des mouvements sociaux en Italie, né en quelques mois au sein de la coordination du centre social napolitain Ex OPG, écrit dans son programme :
« Nous sommes pour la création d’une Commission pour un audit de la dette publique afin de renégocier et restructurer celle-ci et s’attaquer à la partie détenue par le capital spéculatif ». Ils/elles continuent “[..] Nous n’avons pas vécu au-dessus de nos moyens : le rapport entre les recettes et les dépenses de l’État est positif depuis 25 ans. Le problème réside dans la nature de la dette publique italienne qui a été contractée à des taux d’intérêt usuriers et au profit de la finance privée”.
Ce parti politique espère dépasser le seuil de 3% de voix nécessaires pour entrer au Parlement italien.
Les partis politiques évoqués ci-dessous sont loin de pouvoir dépasser le seuil du 3% (mais ils ont tout de même une position à l’égard de la dette). Il faut également ajouter que l’abstention - qui selon le sondage atteindrait environ 30% - pourrait être le premier parti italien !
Sinistra rivoluzionaria (Gauche révolutionnaire) et Partito comunista (Parti communiste)
« Sinistra rivoluzionaria » (qui unit le Parti communiste des travailleurs et Gauche Classe et Révolution) rappelle que les mesures d’austérité ont été appliquées sous le prétexte de la dette et que toutes mesures en faveur des travailleurs-euses, chômeurs-uses et pensionné-e-s qu’un gouvernement de gauche devrait prendre - sont empêchées à cause du remboursement de la dette. En outre, la plus grande partie de la dette est dans les mains de banques, assurances, fonds d’investissement nationaux et internationaux.
Pour toutes ces raisons il est essentiel :
• 1. d’abolir l’équilibre budgétaire dans la Constitution,
• 2. de refuser le paiement de la dette (tout en remboursant les petits épargnant-e-s),
• 3. de rompre avec les traités européens et l’UE, 4. de nationaliser le secteur bancaire.
Le Parti communiste en arrive exactement aux mêmes constats et conclusions en y ajoutant la nécessité d’exproprier les banques et les grands patrimoines (cette opération servirait d’indemnisation pour tout l’argent illégitimement perçu ces dernières années) et de contrôler l’émission de la monnaie (par l’État).
Les deux partis politiques ne se présentent pas ensemble aux élections.
Lista del popolo per la Costituzione (Liste du peuple pour la Constitution)
Ce parti avance la théorie que la dette publique est l’équivalent de la monnaie en circulation et qu’il ne peut pas avoir de croissance économique sans croissance de la dette. La dette doit donc être effacée et renommée comme « émission de monnaie » pour un montant équivalent à 1.150 milliards d’euros correspondant aux Titres du trésor détenus par les institutions financières et crées par les banques privées. L’État devrait réabsorber les titres détenus pas les non-résident-e-s. Une banque publique italienne devrait être crée pouvant emprunter à taux d’intérêt zéro auprès de la BCE ; les principales banques italiennes devraient être nationalisées. Les dépenses publiques seraient rationalisées. Ces mesures sont destinées à réduire la dette et à relancer les investissements publics
Forza Nuova et Casapound
Il s’agit de deux partis racistes, fascistes et xénophobes.
Ils prônent la répudiation de toutes les dettes venant de l’usure et la création d’une monnaie nationale. Ils estiment essentiel de récupérer la souveraineté monétaire et économique perdue avec l’entrée dans l’Union européenne. En ce sens, la sortie de l’Italie de l’euro (Italiexit) et la soumission de la Banque d’Italie au contrôle du Trésor deviennent des points essentiels pour ces deux partis. La titrisation de la dette de l’État devrait être interdite et l’équilibre budgétaire inscrit dans la Constitution italienne effacé. La titrisation de la dette ne peut s’effectuer qu’avec le consentement du débiteur (ce qui est déjà formellement le cas même s’il faut prendre en compte les manipulations exercées par les banques dans l’achat d’obligations par les déposants |5|).
Entre-temps, un grand écran avec le comptage en direct de la dette publique italienne apparaît dans certaines grandes gares italiennes, comme celle de Milan. On l’appelle le « thermo-dette » puisqu’il calcule en temps réel l’augmentation de la dette publique. Le thermo-dette est à l’initiative d’un think tank ultra libéral, Centro Studi Bruno Leoni, il est souvent installé entre un magasin de luxe et un autre, et sonne comme un avertissement pour les Italien-ne-s « coupables d’avoir cumulé autant de dettes » et les politiques qui oseraient la remettre en discussion. Au CADTM Italie, on regrette que rien ne soit jamais dit sur le montant de l’évasion fiscale, ou sur l’utilisation de cette dette ou encore sur qui la détient.
Merci à Christine Pagnoulle pour sa relecture
Notes
|1| PIIGS, le malheureux acronyme par lequel était identifié le groupe des pays avec un endettement élevé au début de la crise : le Portugal, l’Irlande, l’Italie, la Grèce et l’Espagne.
|2| Pour plus d’info voir Qui sauvera l’Italie de la « manœuvre Sauver-l’Italie » ?
|3| Ancien parti de radicaux italiens, d’orientation libérale, anti-prohibitionniste, laïque et européiste
|4| Pour plus d’info sur le sujet lire Le bail-in : cadeau de Noël des banques italiennes et de l’Union européenne
|5| Idem
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