Édition du 17 décembre 2024

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Dette

La dette des USA et de l’Afrique : deux poids, deux mesures

Eric Toussaint, porte-parole du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde a été interviewé par la BBC le 29 Juillet 2011 à propos du traitement de la dette du point de vue des pays d’en bas versus le traitement réservé au pays impérialiste numéro un : les États-Unis. Retranscription par Camille Lebouvier

Journaliste de la BBC : Comment les Etats-Unis, qui ont une énorme dette publique, réussissent-ils à maintenir leur aide au développement de l’Afrique et des autres pays en développement ?

Eric Toussaint : Pour un pays comme les États-Unis par rapport à son budget national, l’aide au développement, c’est très peu de chose. En relation à leur produit intérieur brut, c’est quelque chose comme 0,13% donc faire cette dépense ne constitue pas un problème POUR les Etats-Unis. Deuxième chose, si les États Unis réussissent à tenir ce niveau d’endettement qui dépasse 14 000 milliards de dollars c’est-à-dire 10 fois l’ensemble du total de la dette extérieure publique des pays en développement, c’est parce que tout le reste de la planète leur prête de l’argent.

Les Chinois prêtent aux États-Unis en achetant des titres du trésor des États-Unis, pour un montant de 1 500 milliards de dollars, le Japon lui, prête pour 1 000 milliards de dollars, il y a aussi des pays en développement qui prêtent aux Etats-Unis. Par exemple, des pays africains qui ont des réserves de change dans les coffres de leur Banque centrale achètent avec les dollars qu’ils ont des titres du Trésor des États-Unis. Donc ils remettent aux États-Unis des dollars contre ces titres de papier. Ce qui permet aux États-Unis de continuer à financer ses déficits.

Journaliste de la BBC : Éric Toussaint, autre chose, pourquoi le FMI et la Banque Mondiale lorsqu’il s’agit des pays du Tiers monde s’impliquent dans leur endettement à telle enseigne qu’il leur est souvent imposé des plans d’ajustements structurels qui ont des conséquences fâcheuses. Par contre, dans le cas des pays riches, leur quasi silence est assourdissant.

Eric Toussaint : En fait, le FMI et la Banque mondiale sont deux organismes qui sont contrôlés par les pays les plus riches. Les pays africains, les pays latino-américains font partie de ces deux institutions mais ont très très peu de poids. L’Afrique, tous pays confondus de l’Afrique, Afrique du Nord et Afrique Subsaharienne représente quelque chose comme 5% des droits de vote au FMI et à la Banque mondiale, tandis que les États-Unis à eux seuls représentent 16%, c’est-à-dire trois fois plus. Donc, si on met ensemble les pays les plus riches, ils contrôlent la majorité des votes dans ces deux institutions et mettent ces deux institutions sous pression pour éviter qu’elles ne les critiquent.

Les pays riches de la politique s’arrangent pour ne pas que le FMI et la BM se mêlent de leurs affaires intérieures et de leurs déséquilibres. C’est tout à fait une situation qui devrait trouver un terme. A mon avis, il faudrait remplacer ces institutions par des institutions authentiquement démocratiques et qui se placent directement dans le cadre des Nations Unies.

Journaliste BBC : Y a-t-il deux formes de dette publique ? Y a t-il une dette publique des pays industrialisés, l’Occident, et l’autre pour les pays en développement. Bref, un système de deux poids, deux mesures.

Eric Toussaint : Il y a deux poids, deux mesures mais c’est le même type de dette. Un pays comme les États-Unis finance son endettement en émettant des bons (ou des titres pour employer un synonyme) du Trésor, comme une série de pays en développement émettent des titres sur les marchés financiers. Dans le cas de l’Afrique, il faut reconnaître que c’est une minorité de pays africains qui réussit à vendre des titres de leurs dettes sur les marchés, c’est le Ghana, le Nigeria, l’Angola, l’Afrique du Sud.

Mais la majorité des pays africains, ceux que l’on appelle les plus pauvres et les plus endettés, n’a pas la possibilité de vendre des titres de leurs dettes sur des marchés et eux dépendent directement en général du FMI, de la Banque mondiale et de prêts bilatéraux qui sont effectués bien souvent par les anciennes puissances coloniales. Ce qui amène bien souvent ce type de créanciers à leur poser des conditions généralement très dures, vous l’avez mentionné toute à l’heure en terme de politiques d’ajustement structurel qui ont en réalité un effet dévastateur sur les économies des pays concernés.

Journaliste BBC : Éric Toussaint, après les dettes de la Grèce, du Portugal, de l’Italie, c’est au tour des États-Unis de faire face à leur dette publique, à croire qu’un pays qualifié de « développé » doit posséder une dette digne de ce nom.

Éric Toussaint : Je dirais, moi, d’une manière peut-être humoristique : pour pouvoir s’endetter, il faut être très riche. Les États-Unis, c’est une grande puissance...

Journaliste BBC : On ne prête qu’aux riches.

Éric Toussaint : Quelque part, on ne prête qu’aux riches et des pays riches comme les États Unis peuvent s’endetter en faisant des profits parce que je disais tout à l’heure que des pays africains utilisent leurs réserves de change en achetant des titres du trésor des États Unis. Quel est le rendement des titres du trésor des États Unis ? C’est de l’ordre de 1,5%, c’est des titres qui sont remboursés par les États Unis après deux ans, après 3 ans, après 5 ans.

Mais qu’est-ce qui se passe ? La monnaie américaine, le dollar, se dévalue par rapport à l’euro, par rapport au CFA, par rapport au Rand Sud africain, ce qui fait que quand les États-Unis remboursent leur dette à ces pays qui ont prêté de l’argent, ils remboursent avec, excusez l’expression, « une monnaie de singe ».

Journaliste BBC : Merci Éric Toussaint, je rappelle que vous êtes co-auteur du livre « 60 questions, 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale. » et que vous êtes président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde.

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