L’Europe s’enfonce dans la crise…
L’échec des politiques d’austérité est désormais officiel. La Commission européenne a en effet publié un rapport (« European Economic Forecast, Winter 2013 ») révélant la chute de l’activité, la montée de l’endettement public et l’envolée du chômage. Aucun des objectifs affichés par les institutions européennes n’a été atteint en 2012 et l’Europe va continuer cette année de s’enfoncer dans la crise.
Au dernier trimestre 2012, le PIB a connu un fort recul : -0,6% en zone euro et -0,5% dans l’UE. Quant aux perspectives, elles sont bien plus sombres qu’annoncées initialement. Alors que la Commission prévoyait encore cet été une croissance molle pour 2013 (+1% en zone euro et +1,3% dans l’UE), elle subodore à présent une récession en zone euro (-0,3%) et une stagnation dans l’Union (+0,1%). Cela signifie qu’en 2013 comme en 2012, la zone euro sera la seule au monde dont la croissance sera négative. La consommation va poursuivre sa chute et la formation brute de capital fixe, dont nous soulignions la faiblesse dans un précédent article, devrait « encore se contracter de 1% dans l’UE et 1,75% en zone euro » en 2013.
… ce qui accroît la dette et le chômage
Dans ces conditions, les déficits publics se résorbent bien moins vite que prévu et la dette publique évolue en sens inverse du PIB. Par conséquent, la Commission a dû corriger sa prévision estivale d’une dette publique représentant 92,6% du PIB en zone euro pour 2013. Elle estime à présent que ce ratio sera de 95,1%. Le cas de l’Espagne est emblématique. La Commission affichait cet automne une prévision d’un déficit espagnol 2012 de 8% du PIB, le FMI pronostiquait au même moment un déficit de seulement 7% du PIB, et le gouvernement espagnol annonçait même la semaine dernière un déficit 2012 de « moins de 7% ». Dans tous les cas, cela laissait augurer d’un déficit en diminution par rapport à celui de 2011. Mais la Commission européenne vient d’annoncer que le déficit espagnol a été de... 10,2% du PIB en 2012. La différence (3,2% du PIB) est due aux recapitalisations bancaires. En juin dernier, Mariano Rajoy assurait qu’elles n’alourdiraient pas la dette publique, mais dans un élan de sincérité son ministre de l’Economie avait expliqué le contraire.
La Commission annonce froidement que le taux de chômage passera à 11,1% dans l’Union (12,2% dans la zone euro). En outre, « bien que la prévision inclut une sensibilité plus importante que les années précédentes du chômage à la contraction du PIB, il existe un risque que le dégraissage de la main d’œuvre s’accélère, avec un impact négatif sur la confiance et sur les revenus réels » (p. 28). L’accélération des licenciements finit par miner la consommation. La Commission semble préoccupée non par le chômage lui-même mais par son impact sur la confiance et sur la « croissance potentielle ». Ce qui ne l’empêche pas de souligner par ailleurs que « les acteurs de marché ont regagné confiance dans l’intégrité de la zone euro ». La Confédération Européenne des Syndicats a rétorqué dans un communiqué que « la récession ne se termine que lorsque le chômage est en recul, pas quand les marchés se redressent ».
La confiance ?
En période de crise, il y a bien des manières d’employer le terme « confiance ». En juin 2010, le Président de la Banque Centrale Européenne (BCE) déclarait à la presse italienne que « l’idée que des mesures d’austérité puisse provoquer une stagnation est fausse » car « tout ce qui peut aider à accroitre la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs dans la viabilité des finances publiques est bon pour la croissance et l’emploi ». A la lecture du dernier rapport de la Commission, de tels propos peuvent sembler ridicules. Pourtant, on aurait tort de prendre les dirigeants pour des imbéciles découvrant soudainement l’existence du multiplicateur budgétaire keynésien. Comme l’expliquaient Les Economistes Atterrés dans une récente tribune, « l’immense majorité des économistes savaient les risques de l’austérité, y compris ceux du FMI, de la BCE ou de la Commission européenne. Mais l’objectif que poursuivaient ces institutions était différent ».
Les politiques d’austérité ne visent pas à rétablir des équilibres comptables, elles participent d’une stratégie globale de flexibilisation de la force de travail et de remise en cause des acquis sociaux. L’agenda est la marchandisation de la protection sociale et la libéralisation du « marché du travail ». C’est le véritable sens du terme « confiance » lorsqu’il est prononcé par les dirigeants. Si le Président de la banque centrale allemande, Jens Weidmann, estime aujourd’hui que la France doit maintenir l’objectif d’un déficit public limité à 3% du PIB c’est bien sûr en expliquant que « nous devons admettre que nous sommes confrontés à une crise de confiance ». L’origine de celle-ci serait publique et non privée :« il y a eu une perte partielle de confiance dans nos règles budgétaires ainsi que dans la volonté des pays européens à consolider leurs finances publiques ». Ce qui permet à Jens Weidman de vanter la capacité des réformes libérales menées par Hollande (pacte de compétitivité et accord emploi) à restaurer la confiance…
Pathétiques manœuvres budgétaires
Après avoir échoué en novembre 2012 à se mettre d’accord sur le budget européen couvrant la période 2014-2020, les chefs d’Etat européens sont parvenus le 8 février à un compromis doublement novateur. Si ce projet a toutes les chances d’être refusé par le Parlement européen, il faut toutefois l’analyser pour ce qu’il révèle de la construction européenne.
Premièrement, il se traduit par un écart significatif entre ce qu’il promet (crédits d’engagement : 960 milliards d’euros) et les moyens réels dont il se dote (crédits de paiements : 908,4 milliards). Le spectacle de la négociation était celui du pathétique ballet nocturne des dirigeants nationaux se pressant devant le duo Hollande-Merkel pour obtenir quelques euros de plus au titre des dépenses communautaires ou, au contraire, pour négocier une ristourne sur leur contribution. Le Danemark a ainsi obtenu un « rabais » sur le modèle du « chèque britannique » soutiré par Margaret Thatcher en 1984.
Deuxièmement, ce budget est en diminution par rapport au précédent. Il est à peu près du montant du budget qui prévalait lorsque l’UE comptait 15 membres. Les quatre principaux groupes du Parlement européen – des libéraux aux socialistes en passant par les verts et les conservateurs - l’ont qualifié de « budget d’austérité pour sept ans » et ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne le voteraient pas au moins de juin. Mais ne participent-ils pas tous, au niveau national, à des gouvernements menant des politiques d’austérité ? Le fait est que de nombreux députés européens sont fédéralistes et estiment donc, comme Daniel Cohn-Bendit, que « ce budget est rétrograde, conservateur, et perpétue les erreurs des budgets européens sans vision de l’Europe ». Mais dire, comme lui et comme de nombreux journalistes, que les dirigeants nationaux « ont défendu des intérêts nationaux et non une vision collective de l’intérêt général européen », c’est opposer deux abstractions.
Un budget minuscule
Il n’existe pas d’intérêt national : les dirigeants ont défendu certains intérêts dans leur pays, par exemple ceux des gros agriculteurs. L’intérêt général européen n’existe pas davantage. On peut en revanche constater que les intérêts néo-mercantiles des classes dirigeantes des pays du « centre » de l’Union (Allemagne, Pays-bas, Danemark, Finlande…) se sont alliés à la vision très libérale portée par le Premier Ministre Britannique. Comme le signale Mediapart, François Hollande avait expliqué devant le Parlement européen que le budget européen devait « prolonger le pacte de croissance adopté en juin dernier, ce qui suppose d’augmenter les moyens prévus pour l’innovation, les infrastructures, les nouvelles énergies. » Or non seulement ces dépenses-là n’ont pas été augmentées mais elles ont été réduites. Tout comme l’aide alimentaire aux plus démunis, passée de 2,1 à 1,4 milliards d’euros.
Comment expliquer que les dépenses liées à des projets européens de transports, d’énergie et de réseaux de télécommunication ont été réduites – hors fonds de cohésion régionale - d’environ 25% par rapport aux demandes de la Commission alors qu’elles sont unanimement considérées comme synonymes de croissance et d’emplois ? Hollande demandait face au Parlementaires européens : « Où serait la cohérence d’avoir défini au mois de juin un pacte de croissance et de faire ensuite un pacte de déflation à travers le cadre financier européen ? ». En réalité, il n’y a pas d’incohérence puisque le fameux pacte de croissance est à peu près vide. Replaçons ce projet de budget dans la trajectoire récente de la construction européenne. Acte 1 : Les dirigeants nationaux se mettent d’accord pour limiter leurs déficits publics (Maastricht et le Pacte de Stabilité et de Croissance). Acte 2 : La crise, dans laquelle les bons élèves de l’Union Européenne, qui respectent cet accord, sont généralement les plus touchés. Acte 3 : Qu’à cela ne tienne, on renforce encore le contrôle de la Commission sur les budgets nationaux (« semestre européen » adopté en 2010, « 2-pack » adopté en 2011) et on durcit l’exigence austéritaire (« 6-pack » en 2011, TSCG en 2012). Acte 4 : l’austérité doit être étendue au budget européen lui-même. Rappelons que contrairement aux Etats-Unis, l’UE n’émet pas de dette fédérale. Elle s’est donc imposé l’équilibre budgétaire : les recettes doivent être égales aux dépenses.
Quel type de budget fédéral serait en mesure de compenser les divergences économiques au sein de la zone euro et d’atténuer les effets de la crise en Europe ? Le projet de budget représente seulement 1% du PIB européen. Certains auraient souhaité 0,9%, d’autres 1,1%. Mais comme l’explique le directeur adjoint de l’Institut Bruegel (think tank social-libéral et pro-européen), « le différend entre les Etats porte sur des chiffres totalement insignifiants au plan macroéconomique ». Nul n’a proposé de réelle augmentation du budget et en juin 2013 les propositions des parlementaires européens seront à peine plus ambitieuses.
Monti ou la chute du « trait d’union »
Dernier évènement en date : le cinglant désaveu pour le gouvernement « technique » de Mario Monti. Sans doute grisés d’avoir pu imposer aux grecs Lukas Papadémos, ancien vice-président de la BCE, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy avaient ensuite propulsé Mario Monti, ancien Commissaire européen et conseiller de Goldman Sachs, afin qu’il mette en œuvre l’austérité en Italie. Aujourd’hui il ne récolte que 10% des suffrages. Voici deux des nombreux enseignements que l’on peut tirer de cette élection.
Premièrement, les multiples réactions raillant les électeurs italiens illustrent bien la conception très instrumentale de la démocratie formelle prévalant parmi les classes dirigeantes européennes. Pour éviter que « le désordre politique romain » ne gagne d’autres capitales, il faudra, selon Les Echos, « mieux expliquer pourquoi les réformes sont nécessaires », « en faire la pédagogie et se fixer un calendrier réaliste »… Même son de cloche outre-Rhin, où la presse économique préfère dénoncer « un refus puéril de reconnaître la réalité » plutôt que d’admettre elle-même la réalité de la crise sociale provoquée par les mesures d’austérité
Deuxièmement, la faillite de Monti n’est pas seulement celle d’un gouvernement libéral mais aussi celle du « trait d’union » entre les classes dirigeantes européennes. Comme nous l’expliquions en juin dernier, Monti « a proposé ses services pour coaliser les ‘bonnes volontés’ pour que l’Europe mette au point des mesures favorisant une croissance ‘compatible’ avec les engagements de rigueur budgétaire chers à l’Allemagne. Il endosserait alors le rôle du négociateur susceptible de faire émerger parmi les bourgeoisies nationales un consensus pour retoucher le TSCG à la marge ». Mais le TSCG n’a pas été retouché, pas même marginalement. Et en guise de croissance, l’Europe connait la récession. L’échec de Mario Monti est aussi celui de François Hollande.
Philippe Légé