20 mars 2021 | Action boréale
La gestion des forêts du Québec suscite à nouveau des inquiétudes dans la population. L’apparent parti pris du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) en faveur de la vocation industrielle des forêts laisse à penser que les autres dimensions de l’aménagement forestier sont négligées. Pour rétablir la confiance du public, l’établissement d’une contrepartie indépendante du ministère est nécessaire.
L’émission Enquête du 4 mars dernier sur la gestion de la forêt publique au Québec a remis à l’avant-scène de vieux démons qu’on pensait en bonne partie disparus depuis la commission Coulombe (2004) et la promulgation de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (2010). Gouvernance forestière déficiente, perte de confiance des membres de l’Ordre des ingénieurs forestiers envers le ministère des Forêts de la Faune et des Parcs (MFFP), absence d’écoute du MFFP envers les utilisateurs de la forêt autres que ceux de l’industrie à ses propres tables de gestion « intégrée », obstruction à la création d’aires protégées dans la forêt publique commerciale malgré des consensus avec les communautés autochtones et allochtones qui ont abouti à des propositions soutenues par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) : autant de situations qui donnent l’impression au public que rien n’a évolué depuis 20 ans.
Il en découle une perte de confiance dans la capacité d’intendance du MFFP chez diverses parties prenantes de la société civile, mais également chez des lanceurs d’alerte anonymes au sein même du ministère. Pourtant, le régime forestier de la loi de 2010 paraissait prometteur, car il reposait sur l’idée de baser l’aménagement de la forêt sur la connaissance scientifique du fonctionnement des écosystèmes, et il avait développé des mécanismes de participation de l’ensemble des utilisateurs de la forêt. Force est de constater que ce régime forestier n’est pas à la hauteur des espoirs qu’il a suscités.
Avec sa nouvelle Stratégie nationale de production de bois lancée en catimini à la veille de Noël en 2020, le MFFP n’a pas aidé sa cause en annonçant un accroissement du niveau de récolte de la forêt publique basé sur l’hypothèse d’une augmentation future de la production de bois qui résulterait d’interventions sylvicoles.
Pour la communauté scientifique, la Stratégie nationale de production de bois est inquiétante, car elle exprime un retour à une vision de la forêt principalement centrée sur la récolte du bois alors que l’aménagement durable de la forêt impose plutôt de planifier autant la forêt qu’on laisse sur pied que celle que l’on récolte. Cette vision est à contre-courant de l’évolution de l’économie forestière des dernières décennies, où l’industrie et les gouvernements sont incités à mettre en œuvre des approches d’aménagement durable de la forêt qui intègrent le maintien des ressources, des processus écologiques et de la biodiversité.
L’aménagement durable
Nos inquiétudes viennent donc s’ajouter aux critiques de ces derniers mois. Elles convergent vers le constat d’une déficience marquée de la mise en œuvre de l’aménagement durable des forêts. Plusieurs solutions ont été avancées, allant d’une commission parlementaire à une commission d’enquête sur le MFFP, au rapatriement des secteurs « faune et parcs » par le ministère de l’Environnement pour faire contrepoids au secteur « forêts », à la création d’un poste de vérificateur ou d’inspecteur indépendant des forêts. Chose certaine, il apparaît encore difficile pour le MFFP, et cela, près de 20 ans après les mises en garde de la commission Coulombe, de concilier sa vocation de développement économique avec celle de bonne intendance des forêts publiques. Il est important de s’assurer de rétablir la confiance des Québécois.
Toutes les propositions qui circulent font ressortir l’absence d’un espace collectif qui puisse faire contrepartie au MFFP et offrir un accès à l’information sur l’état des forêts et leur gestion basée sur des données probantes. À cette fin, nous proposons la création d’un observatoire national de la forêt indépendant du gouvernement et doté d’une vision large des ressources et des fonctions du territoire forestier. Sans être la solution à tous les problèmes, cet observatoire pourrait être l’un des moyens de nous sortir collectivement de l’impasse en documentant, en mobilisant et en diffusant les connaissances scientifiques sur nos forêts et leur gestion ; en produisant des analyses publiques sur l’efficacité des pratiques et stratégies de gestion ; et en offrant un espace inclusif de débat et de dialogue pour les personnes et les parties intéressées à la forêt.
Au Québec, nous disposons d’une expertise en sciences forestières qui peut contribuer à cet observatoire. Cette expertise est réunie au sein du Centre d’étude de la forêt (CEF), qui regroupe plus d’une centaine de chercheurs de 11 universités québécoises, de même qu’une imposante relève scientifique (plus de 450 étudiants et plus de 50 chercheurs postdoctoraux). Le CEF réunit des spécialistes de divers champs disciplinaires, ce qui favorise une vision d’ensemble permettant la conception de solutions innovatrices en matière d’aménagement durable des forêts. Le CEF pourrait par conséquent jouer un rôle stratégique important dans la création d’un observatoire national de la forêt.
* Cette lettre est signée par :
Pierre Drapeau, Département des sciences biologiques (UQAM) et directeur du CEF
Tanya Handa, Département des sciences biologiques, UQAM
Dan Kneeshaw, Département des Sciences biologiques, UQAM
Alain Leduc, Département des Sciences biologiques, UQAM
Alain Paquette, Département des Sciences biologiques, UQAM
Timothy Work, Département des sciences biologiques, UQAM
Étienne Boucher, Département de géographie, UQAM
Michelle Garneau, Département de géographie, UQAM
Éric Pineault, Institut des sciences de l’environnement, UQAM
Marie Saint-Arnaud, Institut des sciences de l’environnement, UQAM
Mark Purdon, École des sciences de la gestion, Institut des sciences de l’environnement UQAM
Nicolas Bélanger, Université TÉLUQ
Élise Filotas, Université TÉLUQ
Hugo Asselin, École d’Études Autochtones, UQAT
Yves Bergeron, Institut de recherche sur les forêts, UQAT - Département des sciences biologiques, UQAM
Xavier Cavard, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Annie DesRochers, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Nicole Fenton, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Benoit Lafleur, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Fabio Gennaretti, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Miguel Montoro Girona, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Osvaldo Valeria, Institut de recherche sur les forêts, UQAT
Guy Chiasson, Département des sciences sociales, UQO
Mario Gauthier, Département des sciences sociales, UQO
Sylvain Delagrange, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
Jérôme Dupras, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
Angélique Dupuch, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
François Lorenzetti, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
Audrey Maheu, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
Christian Messier, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO - Département des sciences biologiques, UQAM
Philippe Nolet, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
David Rivest, Institut des sciences de la forêt tempérée, UQO
Annie Deslauriers, Département des sciences fondamentales, UQAC
Cornelia Krause, Département des sciences fondamentales, UQAC
Hubert Morin, Département des Sciences fondamentales, UQAC
Olivier Riffon, Département des sciences fondamentales, UQAC
Sergio Rossi, Département des sciences fondamentales, UQAC
Martin Béland, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Louis Bernier, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Jean-Michel Beaudoin, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Jérôme Cimon-Morin, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Sylvain Jutras, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Marc J. Mazerolle, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Alison Munson, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Jean-Claude Ruel, Département des sciences du bois et de la forêt, Université Laval
Daniel Fortin, Département de biologie, Université Laval
Line Lapointe, Département de biologie, Université Laval
Jean-Pierre Tremblay, Département de biologie, Université Laval
Jean-François Bissonnette, Département de géographie, Université Laval
Martin Simard, Département de géographie, Université Laval
François L’Italien, Département de sociologie, Université Laval
Dominique Arseneault, Département de biologie, chimie et géographie, UQAR
Guillaume de Lafontaine, Département de biologie, chimie et géographie, UQAR
Martin-Hugues St-Laurent, Département de biologie, chimie et géographie, UQAR
Robert Schneider, Département de biologie, chimie et géographie, UQAR
Luc Sirois, Département de biologie, chimie et géographie, UQAR
François Girard, Département de géographie, Université de Montréal
Olivier Blarquez, Département de géographie, Université de Montréal
Alain Cogliastro, Institut de recherche en biologie végétale, Université de Montréal
Michel Labrecque, Institut de recherche en biologie végétale, Université de Montréal
Étienne Laliberté, Institut de recherche en biologie végétale, Université de Montréal
Audrey Smargiassi, École de santé publique, Université de Montréal
Sara Teitlebaum, Département de sociologie, Université de Montréal
Emma Despland, Department of Biology, Concordia University
Jeanine-Marie St-Jacques, Department of Geography, Planning and Environment, Concordia University
Marc Bélisle, Université de Sherbrooke
Richard Fournier, Université de Sherbrooke
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