Édition du 5 novembre 2024

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Le blogue de Donald Cuccioletta

« La Gauche américaine en 2020 : Stratégies et perspectives » : « La jonction entre le mouvement socialiste et la lutte syndicale »

Au début du mois août, le parti DSA (Democratic Socialists of America) a tenu son congrès annuel à Atlanta. En pleine mobilisation pour les élections présidentielles de 2020, le programme était extrêmement chargé. Beaucoup de débats, de discussions, quelques perturbations, mais dans l’ensemble – selon les analyses – un congrès très positif, les militants et les militantes étant sorti-e-s du congrès bien préparé-e-s pour la campagne électorale.

La question qui a retenu le plus d’attention, et qui était au cœur des discussions pour les militants et militantes, était « Comment le mouvement socialiste doit travailler avec les luttes syndicales » ? Comment introduire l’idée du socialisme dans les luttes syndicales menées par les travailleurs et travailleuses ? C’est une question qui est aussi vieille que le mouvement socialiste et le mouvement syndical eux-mêmes. Même si les syndicats américains représentent présentement une minorité de la classe ouvrière, il faut reconnaître que le mouvement syndical permet d’organiser une masse de travailleurs et de travailleuses dans des structures de lutte et de résistance. Ainsi, pour tous et toutes les socialistes, depuis les débuts de l’industrialisation et le développement du capitalisme, cette question de la jonction entre la lutte syndicale et le mouvement socialiste a toujours été au cœur de la lutte des classes. La situation n’est pas différente pour nos camarades socialistes au sud de la frontière.

Une telle stratégie de jonction entre la lutte syndicale et la lutte de classe, qui est depuis longtemps promue et débattue par les socialistes, est devenue primordiale avec la grève nationale des enseignants et enseignantes dans douze États, qui a galvanisé une ferveur de lutte qui n’avait pas été vue depuis les belles années des luttes syndicales entrent 1880 et 1930. Durant cette récente vague de grèves des enseignants et enseignantes, les socialistes du DSA et d’autres groupes, comme le Parti communiste des États-Unis, ont travaillé de l’extérieur pour aider les grévistes avec des déclarations d’appui et du soutien financier, tout en tenant des lignes de piquetage en solidarité. À travers ces grèves, plusieurs enseignants et enseignantes ont adhéré au DSA. Toutefois, plusieurs questions demeurent : est-ce que la propagande socialiste a joué un rôle dans ces grèves ? Est-ce que les militants et militantes socialistes ont joué un rôle de référence dans la direction des grèves ? Plus largement, est-ce que l’idéologie socialiste a circulé durant les grèves, et est-ce qu’elle a joué un rôle pour élever le niveau de conscience par rapport à la lutte des classes au sein des grévistes ? En somme, l’idéologie et le travail des socialistes ont-ils créé une jonction entre les syndicats en grève et les militants et militantes socialistes ?

Il vaut la peine de souligner les facteurs objectifs qui aident les militants et militantes socialistes aux États-Unis à réfléchir sérieusement à la jonction entre les socialistes et les syndicats. Depuis 1936, la maison de sondage Gallup demande à la population américaine son niveau d’appui aux syndicats. Depuis 1967, l’appui aux syndicats se situe au tour de 60%. Pas mal pour les États-Unis. Dans le dernier sondage de Gallup en 2019, le pourcentage a augmenté à 64%. Ce chiffre est assez uniforme à travers les cinquante états et ne concerne pas uniquement le secteur des services publics, mais aussi le secteur privé.

Il faut aussi garder à l’esprit que les salaires stagnent pour la classe ouvrière depuis les années 1970, tandis que le coût de la vie continue d’augmenter, que les conditions de travail se détériorent et que les profits des capitalistes augmentent sans cesse, en dépit des soubresauts de la bourse de New York. L’autre facteur qui n’est pas à négliger est le discours favorable aux syndicats et à leurs luttes porté par Bernie Sanders. Dans sa plateforme du « Green New Deal », il place les syndicats au centre de la lutte non seulement contre les changements climatiques, mais aussi de la lutte pour changer le système. Les syndicats très puissants des infirmières ont appuyé Sanders en 2016 et continuent à l’appuyer pour l’adoption d’un programme de santé universel aux États-Unis. On recommence à parler de syndicalisme au sud de notre frontière.

Certes, nous pouvons admettre que cette remontée de l’engouement pour les syndicats demeure fragile et qu’avec une contre-attaque des forces de droite, et surtout de l’extrême droite, tout peut « revenir à la normale ». Il faut néanmoins reconnaître que la fenêtre d’opportunité est ouverte pour la gauche américaine, en dépit du fait que la popularité des syndicats baisse dans le monde.

Évidemment, la gauche américaine voit très bien le rôle néfaste de la bureaucratie syndicale, qui vote pour le parti démocrate et mène une lutte contre tout mouvement émanant de la base (rank and file) pour transformer le syndicalisme corporatiste en faveur d’un syndicalisme de combat. La bataille pour le socialisme doit être menée non seulement à l’intérieur du mouvement syndical, mais aussi à l’intérieur de chaque lieu de travail. L’idée de l’implantation dans les milieux de travail est revenue au sein de la gauche radicale (socialiste) américaine.

Cette idée circule un peu partout dans les regroupements du DSA depuis le dernier congrès. Certains auteur-e-s de la gauche radicale, comme Eric Blanc et Jane McAlevey, poussent l’idée et leurs voix se font entendre à travers le pays. Nous avons été témoins dans les années 1970 de certaines tentatives menées par la gauche radicale américaine pour « s’implanter » dans certains lieux de travail, avec peu de succès. Entendre parler d’implantation aujourd’hui soulève pour moi beaucoup de souvenirs et d’expériences (bonnes et mauvaises) comme implanté pendant plusieurs années en usine.

Même si l’idée d’implantation prend de l’ampleur dans les discussions, il faut sérieusement se demander si cette idée est révolue et appartient à une autre période de la lutte des classes. Il y a bien un renouveau du syndicalisme, particulièrement dans le secteur des services (hôpitaux et écoles), mais pas dans le privé, où la présence syndicale a baissé à 12% et où l’on prévoit une baisse continuelle. La robotisation, l’intelligence artificielle et la numérisation sont des transformations qui affectent l’emploi dans le secteur privé. Nous assistons déjà à l’utilisation de robots comme expérience dans les hôpitaux, qui remplacent les infirmières et les infirmiers.

La classe ouvrière traditionnelle, qui travaillait dans des usines, n’est plus au cœur même de l’activité économique comme autrefois en Amérique du Nord et en Europe. Bernard Stiegler, philosophe et sociologue français, prédit que d’ici vingt ans nous perdrons de manière définitive 50% des emplois qui existent présentement. Ainsi les usines, qui étaient traditionnellement les lieux de la production capitaliste, ne le sont plus aujourd’hui et le seront encore moins dans l’avenir.

Si la stratégie mise de l’avant dans les discussions de la gauche radicale américaine est de revenir à ce qu’ils appellent une « embedded strategy », ils et elles font fausse route. Il faudrait plutôt regarder du côté de la société civile, qui cherche des alternatives pour une meilleure société. La nouvelle conscience qui s’éveille sur l’écologie permet à la gauche radicale de parler d’écosocialisme, tout en s’organisant face à la déroute de la démocratie, la montée du fascisme et la renaissance du nucléaire.

Oui la lutte syndicale continuera, oui la classe ouvrière et sa nouvelle définition contemporaine sont pertinentes, mais les efforts pour faire avancer l’idéologie du socialisme doivent aussi prendre en compte l’évolution de la société. La gauche américaine a beaucoup de travail devant elle, comme nous aussi au Québec.

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