Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

La Belgique en route vers la grève générale ! Quelles leçons pour le Québec ?

La même journée que les travailleurs-euses du CHUM sont sortis devant l’hôpital St-Luc pour manifester contre l’austérité, le 6 novembre dernier, les travailleurs-euses belges ont pris également d’assaut les rues de Bruxelles pour dénoncer les politiques de leurs gouvernements.

Bruno-Pierre Guillette est délégué syndical au SECHUM-CSN

Élu récemment, le nouveau gouvernement fédéral belge a très tôt annoncé des mesures draconiennes d’austérité pour « assainir les dépenses de l’État » et améliorer « la compétitivité ». Les syndicats n’ont pas été dupes. Cela veut dire, comme ici, une attaque en règle contre les conditions de vie et de travail de la majorité.

Les réformes les plus impopulaires sont la retraite à 67 ans, le gel des salaires et une réduction considérable des dépenses dans le système public. Ces mesures ne sont pas les premières du genre, cela fait des années que les conditions de vie et de travail sont durement attaquées en Belgique. Comme au Québec, les mesures du gouvernement ne s’attaquent plus au « gras », mais vont mordre directement dans l’os.

Les syndicats organisent la riposte !

Les syndicats ont réagi rapidement, un Front commun intersyndical a été mis sur pied entre les trois grandes centrales (FGTB, CSC, CGSLB) [1] et, durant tout le mois d’octobre, des assemblées générales ont eu lieu partout au pays pour présenter les conséquences des mesures gouvernementales sur les travailleurs-euses et élaborer des revendications.

Celles-ci se résument à quatre grands principes :

 La sauvegarde et le renforcement du pouvoir d’achat
 La préservation d’une sécurité sociale forte
 L’investissement dans une relance et des emplois durables
 Une vraie justice fiscale

Ces assemblées ont également eu pour mandat de prendre le pouls des travailleurs-euses et de déterminer jusqu’où ils étaient prêts à aller. Selon Robert Sénéchal, secrétaire des Métallos Wallonie-Bruxelles du Hainaut Occidental, les travailleurs ne voulaient pas participer à une autre manifestation, « mais une marche dans le cadre d’un vrai plan d’action, les gens étaient pour. »

Il en a résulté un plan d’action échelonné sur 2 mois, qui a débuté par une manifestation nationale à Bruxelles le 6 novembre, trois journées de grèves régionales et une journée de grève générale de 24 heures pour le 15 décembre prochain. La lutte risque également de s’accentuer en 2015, si le gouvernement ne bouge pas. Toujours selon Robert Sénéchal : « On évaluera les résultats après le 15 décembre. La FGTB a dit clairement sa volonté d’y aller en crescendo. C’est ce qui se passe avec les grèves provinciales et nationales de 24hrs. Nous sommes prêts à aller au-delà, dans la même dynamique. S’il faut continuer en janvier, on continuera, mais pas question de recommencer par une manifestation Nord-Midi [2] : il faudra aller plus loin. »

« Défendez-vous bec et ongles ! On veut vous dépouiller ! »

Le 6 novembre 2014, c’est plus de 120 000 personnes qui ont manifesté dans les rues de Bruxelles et ainsi donné le coup d’envoi au plan d’action syndical. Ce fut la plus grosse manifestation à avoir lieu en Belgique depuis 28 ans. Malgré cette mobilisation extraordinaire, le gouvernement ne cède pas, les syndicats poursuivent donc leurs moyens de pressions.

Le 24 novembre, c’est le premier grand test, la première grève tournante régionale de 24hrs débute dès l’aube. Les provinces touchées sont le Luxembourg, le Limbourg, le Hainaut et Anvers. À Anvers, le plus important port d’Europe est paralysé. Le 1er décembre, c’est au tour des régions de Namur, Liège, de Flandre Occidentale et de Flandre Orientale à se mobiliser. Le 8 décembre ce fut au tour de Bruxelles et de deux provinces limitrophes : le Brabant Flamand et le Brabant Wallon.

Ces grèves régionales ont porté un dur coup directement dans le porte-feuille des nantis. Le 24 novembre, selon la RTBF, « l’industrie technologique souffrait d’une perte de production importante ». Même son de cloche pour l’ensemble de l’industrie lourde, les transports (trains, autobus, aéroports), les grands commerces de détail, la poste, le services des ordures et le secteur public, qui furent paralysés ou fermés pour la journée.

Les piquets de grèves bloquent l’accès direct à une entreprise, mais lorsqu’il y a une grande concentration d’industries ou de commerces, les travailleurs-euses organisent des piquets intersyndicaux et bloquent l’ensemble des routes du quartier.

Il est presque impossible d’énumérer ici l’ensemble des actions qui ont eu lieu, tous les salariés de tous les secteurs ont participé au mouvement. L’ampleur de ces grèves régionales nous laisse croire que la grève du 15 décembre sera une retentissante réussite et ce mouvement nous offre des enseignements précieux pour la lutte que nous menons ici.

Que pouvons-nous apprendre des syndicats belges ?

Premièrement, les syndicats ont des revendications concrètes !

Au Québec, les manifestations du 31 octobre et du 29 novembre furent des succès en terme de mobilisation, mais aucunes revendications concrètes et claires n’ont été avancées. S’opposer à l’austérité, ce n’est pas une revendication. Il y a une différence entre être contre tout et réclamer quelque chose de juste. Chaque secteur de l’opposition a évidemment des revendications spécifiques, mais rien de fédérateur. Nous pourrions avancer des revendications concernant l’ajustement des salaires au coût de la vie, la création d’emplois durables et de qualité, le droit à une retraite décente pour tous et toutes. Bref, les revendications ne manquent pas, il faut tout simplement s’entendre de façon démocratique sur quelles priorités nous voulons mettre de l’avant.

Deuxièmement, l’avant-garde du mouvement, c’est le secteur privé.

En Belgique, l’industrie lourde et les commerces de détail cessent leurs activités. C’est le secteur névralgique à convaincre si nous voulons vraiment faire mal aux classes dirigeantes. Nous ne pourrons pas vaincre sans mobiliser ces secteurs.

Troisièmement, le mouvement syndical belge est le représentant de tous les salariés, pas uniquement de ses membres.

Le Front commun intersyndical est construit avec toutes les centrales, qui ne se regroupent pas uniquement autour de certaines fédérations d’un secteur précis (système public, employés municipaux). Les mesures d’austérité concernent tout le monde, donc les syndicats belges mobilisent tout le monde. En Belgique, même les travailleurs non-syndiqués peuvent se mettre en grève sur une base individuelle et recevoir des indemnités ! Sur le site de la FGTB, il est mentionné que : « Si vous n’avez pas de délégation syndicale dans votre entreprise, vous prévenez votre employeur que vous êtes en grève et avec votre fiche de paie (laquelle renseignera le jour de grève) vous vous rendez dans votre centrale professionnelle qui paiera l’indemnité [3]. » C’est pas plus compliqué que ça ! 

Finalement, ils ont une stratégie à long terme !

Les syndicats belges font ce que le mouvement syndical québécois a oublié de faire depuis des décennies, c’est-à-dire réfléchir à une stratégie. Trop souvent, nous nous contentons d’un plan d’action qui ne va pas jusqu’au bout ou d’une grosse manif et c’est tout.

En Belgique, les syndicats ont une réelle volonté de construire un rapport de force et une perspective à long terme. Les assemblées générales évaluent la lutte à chaque étape et chaque action prépare la suivante. Pourquoi ne pas faire la même chose ?


Le 17 décembre prochain, Étudiant-e-s socialiste UQAM organise une conférence sur la question. Événement Facebook : Grève générale en Belgique : Quelles leçons pour le Québec ? https://www.facebook.com/events/1517711305166897/?fref=ts


[1CSC : Confédération des syndicats chrétiens (1 700 000 membres), FGTB : Fédération générale du travail de Belgique (1 500 000 membres), CGSLB : Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (260 000 membres).

[2Florent Gallois, Entrevue avec Robert Sénéchal : « Nous voulons une autre politique », http://www.lcr-lagauche.org/robert-senechal-nous-voulons-une-autre-politique/ Une manifestation « Nord-Midi » en référence aux deux gares du centre-ville de Bruxelles, entre lesquelles ont lieu les manifestations syndicales traditionnellement.

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