16 nov 2021
portrait Georgia O’Keefe
Introduction
Ce 6 décembre, c’est aussi l’occasion de se souvenir qu’en 1989, 14 jeunes femmes sont décédées parce qu’elles étaient des femmes. Et que d’autres femmes étaient dans la mire du tueur. Ce n’est que récemment (30 ans plus tard) que cet acte a été reconnu comme un féminicide. Et en tant que féminicide collectif, il doit continuer à habiter nos mémoires.
Les féminicides et les autres formes de violence
Au Québec c’est 17 femmes qui ont trouvé la mort aux mains de leur conjoint ou ex conjoint en 2021… jusqu’à maintenant la dix-huitième est en vie.
17 femmes : 17 cas d’alcool, de dépression, de souffrance : 17 drames familiaux ? C’est ce que trop souvent les médias rapportent. Mais justifier l’assassinat de 17 femmes par la dépression et la toxicomanie sert plutôt d’écran de fumée et passe à côté du vrai problème qui est celui du pouvoir sur les femmes.
Pour réellement comprendre le sort que le système réserve aux femmes, il ne faut pas en rester au cas par cas, mettre le focus sur le drame personnel, car c’est gravement sous-estimer le phénomène social. C’est en regardant l’ensemble des violences faites aux femmes et leur généralisation (blagues et harcèlement sexuel, mépris, paroles, contrôle, viol, violence conjugale) que l’on comprend l’ampleur de la domination des hommes sur les femmes, que l’institution du patriarcat prend son sens et que la notion de culture du viol devient évidente.
Les féminicides sont donc la pointe de l’iceberg des violences faites aux femmes. C’est pourquoi il nous faut parler de violences systémiques. Le rôle refusé parce que l’artiste n’a pas voulu coucher avec le producteur, la fellation de fin de mois avec le proprio pour alléger le loyer, la transexuelle trouvée morte sous les piliers de l’autoroute, la jeune fille qui ne peut sortir voir ses amies ou aller travailler au restaurant du coin sans la surveillance de ses frères, les photos de nues faites en toute innocence et diffusées sans consentement sur les réseaux sociaux, le bitchage sur internet, toutes ces formes de violences ne sont pas de la violence conjugale mais c’est bien dans ce contexte social que vivent les femmes au quotidien. Ces formes de violence (dont certaines s’expriment dans les nouvelles technologies) commencent à être reconnues parce que des femmes courageuses ont parlé.
Au cœur de toutes ces violences se trouve le travail gratuit fourni par les femmes dans la société. Le système capitaliste ne pourrait survivre si tout le travail fait par les femmes (travail gratuit à la maison, travail sous-payé au travail, travail précaire et temporaire) était payé à sa juste valeur. Et c’est parce que les violences patriarcales servent à maintenir cet état d’exploitation et de soumission des femmes que le système LES TOLÈRE et que le système de justice en tient peu compte. Tout cet édifice suintant l’oppression affecte aussi les personnes qui veulent se définir comme femmes, les personnes LGBTIQ+ qui veulent vivre autrement leur vie.
La seule manière d’affranchir les femmes du fardeau du travail gratuit à la maison demeure historiquement la socialisation (la prise en charge par l’État) des tâches domestiques : des garderies ouverte 24/24 et contrôlées par les usagères et les usagers ; des cantines et des cafétérias publiques pour préparer et servir les repas ; des buanderies publiques pour laver et sécher les vêtements. Des services publics administrés et contrôlés par les usagers et les usagères avec un salaire convenable, dans le contexte actuel, de 25$ de l’heure. L’épisode éprouvant de la covid a fait amplement la démonstration que les gouvernements peuvent trouver de l’argent quand ils le veulent.
Dans nos sociétés, on construit socialement les hommes pour qu’ils deviennent des êtres dominants et qu’ils se considèrent et se comportent, dans leur très grande majorité, comme supérieurs aux femmes et qu’ils les infériorisent et les possèdent psychologiquement et sexuellement dans la droite ligne historique du patriarcat.
Et la Covid
Et toutes ces formes de violences se sont exacerbées dans le contexte de la Covid. Les femmes se sont trouvées plus isolées, plus restreintes dans leurs déplacements. Et la pauvreté des femmes s’est aggravée ; leur situation ne s’en est que davantage fragilisée.
Mais la Covid a aussi mis en lumière la place qu’occupent les femmes dans le « prendre soin ». Les anges gardiens comme le dit monsieur Legault… on repassera pour la féminisation. Pourtant les femmes ont tenu le système de santé à bout de bras pendant 6 mois jusqu’à ce que le vaccin leur soit offert. Et pas seulement les infirmières. Elles ont vécu : la peur du virus jusqu’au vaccin, le manque de matériel de protection, la surcharge de travail, la détresse psychologique, l’impossible conciliation travail-famille . Tout cela dans un contexte de négociation de convention collective où le gouvernement maintient son objectif du 2% qu’il saupoudre de primes par-ci, par-là. Et surtout, rien pour améliorer les anges gardiennes racisées qui travaillent dans les réseaux privés : pas de nationalisations comme promis de ces établissements privés, pas de salaires égalant celui du réseau public, pas de reconnaissance officielle comme personne immigrante. Et même après la vaccination, la surcharge de travail épuisante pour les travailleuses de la santé a continué en raison de la pénurie de personnel due aux désastreuses coupures des gouvernements depuis 20-25 ans.
En fait, pour les travailleuses de la santé, la covid a pérennisé l’inégalité de la rémunération des femmes par rapport aux salaires des hommes dans le secteur privé de l’économie tout en mettant à jour le fait qu’elles font des jobs essentielles pour les communautés. Mais des jobs non reconnues et non payées.
Et si on parlait de violence économique ! 14,000 milliards perdus qui moisissent dans les paradis fiscaux, de quoi égaliser les salaires avec les hommes et surtout satisfaire les besoins fondamentaux des femmes partout sur la planète.
Investir dans les services aux femmes violentées pour contrer les féminicides
En amont, il y a urgence quotidienne. On apprenait, cet automne, que 10,000 femmes québécoises faisaient face à des violences physiques et/ou psychologiques (celles-ci souvent susceptibles de dégénérer en violences physiques) et qu’elles se heurtaient au mur glacial du manque de services alors qu’elles appelaient à l’aide. Au moins des 300 millions de dollars sur 5 ans que promettait alors le gouvernement pour venir en aide aux femmes violentées, les intervenantes débordées de travail répondaient : « nettement insuffisant ».
Il aura fallu 17 féminicides et leur vibrante dénonciation par beaucoup de femmes, la proximité de la commémoration du drame de Polytechnique, les odeurs de pré-campagne électorale, pour que le gouvernement Legault finisse par agir pour venir en aide aux femmes violentées. Plus de 400 millions ont été récemment annoncés et une ligne téléphonique (« Rebâtir ») a été mise sur pied pour offrir des conseils juridiques aux victimes de violences conjugales et sexuelles ; 750 dossiers ont été ouverts depuis quelques semaines. C’est une aide importante qui sera disponible pour les femmes violentées. Mais cette somme sera t-elle suffisante pour répondre aux besoins ? La très grande majorité des appels viennent de femmes victimes de violence conjugale. Selon des intervenantes, il y a beaucoup de violence post-séparation et la violence se présente sous plusieurs formes : menaces de mort, harcèlement criminel ; crainte d’être la victime du prochain féminicide ; on entend : « Moi cé pas d’la violence, cé d’la p’tite violence, parce que je n’ai pas de marques, pas de trace ».
Une vaste consultation à la grandeur du Québec auprès des intervenantes de terrain permettrait de connaître le plus exactement possible les besoins en hébergement et en services à procurer aux femmes violentées. Plus de 9000 femmes violentées sont toujours en attente de recevoir de l’aide. S’il faut un milliard, qu’on le débloque et vite. Les féminicides, ça doit cesser. Chaque femme mise en situation de violence doit recevoir de l’aide dans les délais les plus courts possibles. Aucune femme ne doit rester seule face à sa détresse.
Au cours des deux dernières décennies, sous la pression du mouvement féministe pour exiger que l’État assume ses responsabilités et crée de nouveaux cadres juridiques pour faire face aux violences, beaucoup de pays ont introduit lois et politiques publiques pour lutter contre les inégalités et la violence envers les femmes et les féminicides. Cependant, l’action des gouvernements contredisant leurs discours, dans la pratique les mesures n’ont pas été entièrement financées ou mises en œuvre, et encore moins rendues capables d’éradiquer la violence. Au contraire, celle-ci augmente en même temps qu’elle devient visible grâce à l’énergie et la détermination des femmes pour la dénoncer.
Au Québec le gouvernement caquiste vient de déposer une loi créant des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle et conjugale. Les groupes de femmes en violence sont favorables à la création de ces tribunaux mais, comme elles n’ont pas été consultées, elles réservent leur enthousiasme à la mise sur pied concrète de ces structures juridiques. Et leur création ne règlera pas tout. Il y a nécessité de formation pour les juges. Même le ministre Jolin-Barrette reconnaît l’importance de cette mise à jour. Ce dossier demeure donc à suivre.
La famille traditionnelle, le couple hétérosexuel, le mariage
La famille joue un rôle de « régulateur » du marché du travail. En période d’expansion économique, comme cela a été le cas pendant une trentaine d’années, jusqu’au milieu des années 1970, les femmes ont été massivement sollicitées comme main-d’oeuvre bon marché dans toutes une série de branches industrielles comme l’électronique, puis comme salariées dans le secteur tertiaire. Mais en phase de récession économique, comme celle que l’on a connue dans les trente dernières années, les employeurs et l’État n’ont de cesse d’inciter les femmes à se retirer partiellement ou totalement du marché du travail, pour aller se consacrer à « leur » vocation maternelle.
Au fil des ans, depuis plus de 50 ans, les mouvements féministes d’après-guerre ont continué d’approfondir leurs connaissances pour davantage comprendre les rouages de l’oppression des femmes.
Francine Sporenda, responsable rédactionnelle du site « Révolution féministe » en donne un exemple d’une actualité saisissante. Les civilisations actuelles sont fondées sur l’assujettissement des femmes par l’institution du couple hétérosexuel ; c’est une institution qui permet l’extorsion du travail des femmes. Jusqu’ici on relève peu qu’il est aussi pour elles le lieu par excellence de l’extorsion de relations sexuelles contraintes. La fréquence du viol conjugal commence à être reconnu : 31% des viols sont des viols conjugaux. Le couple est pour les femmes le lieu par excellence de relations sexuelles consenties mais non-désirées. Pratiquement toutes les femmes en couple ont dû consentir à des relations sexuelles non-désirées, occasionnellement ou régulièrement. C’est une pratique qui est inhérente à l’institution du couple hétérosexuel (mariage ou concubinage) et indispensable à son existence même. D’autres sociétés non-basées sur le mariage monogame semblent mettre en évidence que les violences intra-maritales y sont rares.
Suite à ces réflexions, le couple hétérosexuel (à fortiori le mariage : la moitié des mariages se terminent par un divorce) n’apparaît pas comme l’institution la plus à même de permettre le développement de relations harmonieuses entre les hommes et les femmes, et par extension... le couple lui-même. C’est une structure de vie qui à l’évidence n’est pas à l’avantage des femmes et qui est grandement susceptible de leur porter préjudice.
La droite conservatrice réactionnaire et surtout l’extrême-droite en progression partout dans le monde (y compris au Québec) qui défendent becs et ongles la famille traditionnelle servent bien les intérêts du capitalisme qui doit contrôler, dominer, exploiter les femmes pour continuer à fonctionner. Une puissante grève mondiale des femmes aurait certainement le potentiel (ne serait-ce que quelques jours) de secouer sérieusement les fondations de ce système mortifère qui les exploite.
Faut-il aussi se surprendre que les grands médias de masse au service des élites nous présentent le couple homme-femme comme le modèle idéal à suivre, la recette ultime du bonheur ? À cet égard, grâce aux luttes menées depuis des décennies, des avancées réelles ont été obtenues (bien que toujours fragiles), mais les images positives des LGBTIQ+ demeurent somme toute assez marginales et toujours contestées par plusieurs.
Serait-il enfin temps, au XXIe siècle, de commencer à débattre des mesures à prendre pour soigner cette plaie béante sur le corps de nos sociétés que représente la misère sexuelle (un des plus puissants piliers idéologiques des rapports aliénés entre les êtres humains) qui nous empêche d’avancer ? Pour l’instant, la sexualité librement consentie semble un objectif difficile à atteindre pour qu’on puisse s’épanouir pleinement.
Solidarité des femmes
Les femmes forment la moitié de l’humanité mais représentent 70% des pauvres dans le monde. 243 millions de femmes entre 15 et 49 ans ont subi des violences sexuelles et ou physiques de la part de leur partenaire avant la pandémie et ONU Femmes reconnaît que la pandémie a aggravé la situation. ONU femmes nous informe qu’à travers le monde au moins 1 femme sur 3 va subir un épisode de violence à caractère physique ou sexuel et que moins de 40% vont demander de l’aide et que seulement 10% vont recevoir une aide adéquate. L’ONU reconnaît aussi que plus de la moitié des 87,000 femmes assassinées dans le monde en 2017 l’ont été par un proche. De plus, ce sont les femmes et les enfants qui sont les premières victimes de guerre et des famines, ces dernières allant en s’accentuant en raison de la très grave crise écologique mondiale.
Depuis 2 à 3 décennies, on assiste à une escalade des crimes sexistes encore aggravée par la crise de 2008 avec la destruction des services publics et de la protection sociale, l’augmentation des responsabilités et des tâches de soins, la réduction des possibilités d’échapper à la violence, tandis que les politiques d’austérité réduisent le financement des centres et des refuges pour les femmes victimes de violence.
Les violences faites aux femmes sont présentes partout dans le monde. Capitalisme et patriarcat font bon ménage.
C’est en brisant le silence que les femmes révéleront à la face du monde à quel point le capitalisme et le patriarcat maintiennent leur domination sur le dos des femmes et à quel point ils les surexploitent.
C’est en se mobilisant que le mouvement des femmes réussira à affaiblir ces dominations.
L’initiative de la Grève internationale des Femmes en 2017 a donné lieu à une nouvelle proposition d’articulation internationale, qui s’est concrétisée par la grève massive de 6 millions de personnes en 2018 dans l’État espagnol, les grèves en Italie, en Belgique et en Suisse organisées par le mouvement des femmes avec les syndicats, suite aux grèves de 2016 en Argentine contre la violence sexiste et en Pologne sur le droit à l’avortement.
La Marche Mondiale des Femmes a bien résumé la vision de l’avenir « Nous marcherons tant que toutes les femmes ne seront pas libres ».
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