Le représentant le plus associé au système économique, le partisan de la flexibilité du travail, le défenseur de la finance contre les travailleuses et les travailleurs, le plus féroce promoteur de l’ordo-libéralisme a obtenu le plus de suffrages. Personne n’est davantage l’enfant chéri du système que ce chouchou des médias, dont plusieurs commentateurs affichaient sans gêne, dès l’annonce des résultats, leur ravissement de le voir élu.
La grande gagnante de cette élection est la mouvance de droite, car si on additionne les votes d’En Marche, du Front National, des Républicains et de Dupont-Aignant, on obtient 70 %, ce qui est profondément désolant. Et si Brézet, l’éditorialiste du Figaro, parle aujourd’hui de « gâchis », c’est qu’il n’a pas compris (ou peut-être trop bien compris) que les partis de droite aristocratiques ont perdu l’appui d’une partie des masses droitières. Ces dernières s’engouffrent avec ferveur dans le sillage du petit caporal de la finance, lequel s’apprête à instaurer son empire.
Il a donc parfaitement raison de dire que les valeurs de la droite « n’ont jamais été aussi majoritaires dans les profondeurs du pays », tant il est vrai que l’idéologie n’est pas ce que l’on pense, mais ce qui pense pour nous. J’en veux pour preuve la réplique du futur nouveau Prince de l’Élysée au journaliste Ruffin dans un débat : « Je suis aussi libre que vous [...] Je ne sers personne. » Cette illusion de liberté, soigneusement entretenue par le consumérisme entre autres, surtout par l’arrivisme chez les plus fortunés, est typique de quiconque a adopté la voix du capital. On n’a pas besoin de servir quelqu’un en particulier quand on sert l’ordo-libéralisme.
Quant à la gauche, elle ne récolte en tout et pour tout qu’un peu moins de 28 %, et encore, il faut se demander ce que l’on peut compter de solide dans les voix du malheureux Parti Socialiste atteint de Blairisme avancé et dont nous assistons peut-être aux dernières convulsions.
Une autre preuve que le nouvel élu providentiel était le meilleur candidat du système est donnée par les réactions enthousiastes des diverses chancelleries à commencer par l’allemande qui se félicite de son nouveau toutou affectueux. De leur côté, les médias économiques n’en finissent plus de célébrer.
Ce triomphe est aussi le résultat du marketing efficace qui a été assuré dans la campagne du joli garçon aux phrases creuses, un phénomène que nous connaissons bien de ce côté-ci de l’Atlantique. Parler longtemps pour ne rien dire, faire de belles photos, se prononcer le moins possible, mais en définitive, quand il faut vraiment choisir, affirmer comme une évidence que c’est le capital qui prime sur les gens, mais pas en ces termes, car ils sont trop crus. Il suffit de « faire prévaloir l’économie », « favoriser la croissance », « renouveler les rapports sociaux », « rendre le travail plus souple et plus efficace », toutes charmantes expressions qui signifient la bastonnade pour les travailleuses et les travailleurs, et la pommade pour les capitalistes.
Et dans cette folle et joyeuse aventure du progrès d’En Marche vers le précipice, la novlangue fut d’un grand secours. Ne s’est-on pas d’abord prétendu socialiste le temps de faire voter une loi qui fragilise les protections des travailleuses et travailleurs, puis centriste, l’expression favorite des gens qui veulent faire semblant de ne pas être à droite, aidé en cela par un parti socialiste désorienté, et par des commentateurs qui parlent d’extrême-gauche quand il s’agit de désigner un mouvement à la défense des valeurs de gauche comme la justice sociale, le respect des êtres humains et de la nature qui nous fait vivre.
On a aussi prétendu que le pape des marcheurs était le seul rempart contre le fascisme marinien alors qu’il était clair d’après tous les sondages que n’importe qui face à Le Pen l’emporterait au deuxième tour. Et de s’autoproclamer anti-système quand on est la mascotte des grands groupes de presse comme des financiers, si ce n’est pas le championnat de la novlangue !
Le véritable gâchis est que la droite domine tout et que les électeurs ont désormais le choix entre Le Pen maintenant ou Le Pen dans cinq ans puisqu’il n’est pas douteux que le changement annoncé par le prince-président consistera à donner encore quelques tours de vis aux mesures néolibérales pratiquées par les deux précédents quinquennats de droite, notamment en faisant bar ouvert pour la grande entreprise, et à finir le boulot qui consiste à faire s’effondrer le socle des quelques mesures de solidarité sociale qui restent.
LAGACÉ, Francis
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