Les peines encourues par le porte-parole de la CLASSE sont d’un an de prison au maximum et/ou de 50 000 $ d’amende au maximum. Après une première audience tenue le 29 mai, le procès devrait avoir lieu les 27 et 28 septembre.
Selon La Presse (1), « la poursuite entend demander une peine de prison de « quelques mois » », et Monsieur Morasse aurait affirmé qu’« une peine de prison serait « méritée » ».
Rappelons que Loi 78 avait suspendu les injonctions obtenues par des requérants pour obtenir la reprise de leurs cours, et que c’est la clause 32 de cette loi très controversée, appelée aussi “Clause Nadeau-Dubois”, qui autorise cette poursuite judiciaire contre le représentant de la CLASSE.
Or, selon Radio-Canada (2), Monsieur Morasse aurait appelé les citoyens à manifester contre la Loi 78, et ceci en ces termes : « J’invite les gens à manifester verts comme rouges. On a encore le droit à nos opinions ». C’est pourtant ce droit qu’il dénie à Monsieur Nadeau-Dubois, alors qu’il utilise la Loi 78 contre lui !
En toute cohérence, si Monsieur Morasse est véritablement contre la Loi 78, il doit mettre fin à sa poursuite contre Monsieur Nadeau-Dubois, à défaut de quoi on peut légitimement s’interroger sur les motifs de l’étrange croisade qu’il a entreprise.
Comme le faisait valoir Monsieur Nadeau-Dubois (3), il est « particulièrement regrettable qu’on soit rendu dans une situation aussi tendue qu’un étudiant veuille en mettre un autre en prison », et on peut avec lui se poser cette question à propos de la poursuite judiciaire dont il est l’objet : « Est-ce de la justice ou de la revanche ? »
S’il parvient à ses fins, c’est-à-dire l’obtention de lourdes sanctions financières et/ou carcérales à l’endroit de Monsieur Nadeau-Dubois, Monsieur Morasse va acquérir une célébrité dont il n’a peut être pas envisagé tous les aspects, mais qu’il devra assumer, y compris en ce qui concerne la brèche introduite par de telles procédures dans les droits et libertés de l’ensemble des citoyens.
En effet, les responsabilités de Monsieur Morasse dépassent largement le cadre de sa poursuite, car s’employer en tant qu’individu, à criminaliser l’expression d’un point de vue, c’est aussi entraîner la société toute entière dans une dangereuse dynamique de répression des idées, y compris les siennes …, lorsqu’il appelle à manifester contre la Loi 78 !
Dans la perspective d’une bonne administration du système judiciaire, le recours aux tribunaux doit se faire avec sagesse et discernement, à défaut de quoi on pourrait nuire à la cause que l’on prétend défendre, en l’occurrence la primauté des “droits individuels” sur les droits collectifs.
Lorsque Monsieur Morasse affirme être contre la Loi 78, a-t-il compris que cette loi a pour effet d’anéantir la démocratie étudiante ? On peut encore une fois s’interroger sur la cohérence de sa démarche, alors que, selon Le Soleil (4), dans une assemblée étudiante de la Faculté des Arts visuels de l’Université Laval, « M. Morasse a quitté l’assemblée avant même de passer au vote ».
Pourtant, Monsieur Morasse reconnaît que son injonction a été respectée : « J’ai eu mes cours, ça, il n’y a pas eu de problème » (5). Quels sont donc les motifs de cette croisade de Monsieur Morasse contre Monsieur Nadeau-Dubois ?
Les contradictions de la poursuite
Selon le quotidien 24 Heures (6), Monsieur Morasse effectue sa poursuite pour « simplement faire respecter la loi et l’injonction rendue en sa faveur ». Or il a pu suivre ses cours, et il ajoute ne pas être motivé par un « quelconque militantisme politique ». Cependant, La Presse (7) nous apprend que son avocat, Me Maxime Roy-Martel, a effectué des contributions financières au bénéfice du Parti libéral du Québec.
Selon La Presse (7) Me Maxime Roy-Martel, « souhaite une peine plus sévère » que « des travaux communautaires ou encore à une amende » contre Monsieur Nadeau-Dubois : « S’il y a culpabilité, j’entends demander l’emprisonnement » !
Or, dans une intervention récente (8) à propos du Projet de loi C-10, « La sévérité est-elle l’apanage de la dissuasion ? », Me Maxime Roy-Martel plaidait justement contre la sévérité, et en particulier contre l’emprisonnment et ses effets contre-productifs. Il est utile ici de citer quelques passages de la prise de position de cet avocat, contre « l’idéologie » de la sévérité, et contre « la prémisse que la sévérité des peines tend à diminuer la criminalité » :
« (…) certaines études démontrent plutôt que le recours à l’emprisonnement ne réduit pas la criminalité ni la récidive. »
« (…) une augmentation, même modeste, de l’emprisonnement drainera des ressources financières importantes au détriment d’autres secteurs publics comme la santé et l’éducation. »
« S’appuyant sur les enseignements de juges et auteurs renommés, la Cour d’appel du Québec rappelle que la sévérité d’une peine n’a qu’un effet marginal. »
« Le droit pénal, lequel est surdimensionné par les émotions populaires, et sans cesse sous le feu de la mise en tension médiatique, est un domaine particulièrement sensible et propice à l’instant présent ainsi qu’à cette tyrannie de l’urgence. Toutefois, il ne faudrait pas perdre de vue que la justice n’a pas pour objectif d’être à la mode, de plaire ou de satisfaire l’opinion publique en se fondant aux rythmes électoralistes et médiatiques. »
L’attitude de Me Maxime Roy-Martel dans sa poursuite contre Monsieur Nadeau-Dubois semble être en totale contradiction avec le point de vue qu’il exprimait récemment à propos de la sévérité des peines et de leur exploitation électoraliste. En conséquence, peut-on exclure tout aspect politique dans la démarche judiciaire entreprise à l’encontre du représentant de la CLASSE ?
Conclusion
De la même manière que la Loi 78 a transformé les corps policiers en milices politiques aux ordres du pouvoir, est-il permis de penser que le système judiciaire, dans cette cause en particulier, est à risque de détournement et d’instrumentalisation politiques ?
Même si elle est prévisible de par la médiatisation de sa cause, Monsieur Morasse ne mérite pas l’opprobre qui pourrait résulter de cette poursuite contre Monsieur Nadeau-Dubois, car c’est bien la stratégie du gouvernement Charest qui a favorisé la judiciarisation du conflit étudiant, avec une répression policière massive, mais aussi une répression judiciaire dont on commence à peine à saisir l’ampleur et l’iniquité.
Yves Claudé
(1) : « Outrage : Gabriel Nadeau-Dubois plaide non coupable », Paul Journet, La Presse, Montréal, 29-5-2012.
http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-divers/201205/29/01-4529649-outrage-gabriel-nadeau-dubois-plaide-non-coupable.php
(2) « Jour 1 de la loi spéciale : les manifestations se poursuivent à Québec », Radio-canada.ca, 19 mai 2012.
http://www.radio-canada.ca/regions/Quebec/2012/05/19/003-jour1loi-manifestations-etudiantes.shtml
(3) « Gabriel Nadeau-Dubois - Procès en septembre », Marianne White, Journal de Québec, Québec, 29-5-2012
http://www.journaldemontreal.com/2012/05/29/proces-en-septembre-pour-nadeau-dubois
(4) « Université Laval : trois autres associations disent non à l’entente », Marie-Pier Duplessis, Le Soleil, Québec, 9 mai 2012.
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201205/08/01-4523363-universite-laval-trois-autres-associations-disent-non-a-lentente.php
(5) « Requête en outrage au tribunal contre Gabriel Nadeau-Dubois », Radio-canada.ca, 16 mai 2012.
http://www.radio-canada.ca/regions/Quebec/2012/05/15/008-morasse-requete-outrage.shtml
(6) « Outrage au tribunal - Gabriel Nadeau-Dubois a plaidé non coupable », Marianne White, 24 Heures, Montréal, 29 mai 2012.
http://www.24hmontreal.canoe.ca/24hmontreal/actualites/archives/2012/05/20120529-120925.html
(7) « La poursuite réclame la prison contre Gabriel Nadeau-Dubois », Paul Journet, La Presse, Montréal, 29 mai 2012.
http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-divers/201205/28/01-4529462-la-poursuite-reclame-la-prison-contre-gabriel-nadeau-dubois.php
(8) « Projet de loi C-10 : La sévérité est-elle l’apanage de la dissuasion ? », Me Maxime Roy, Le Soleil (Opinions), Québec, 25 février 2012.
http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201202/24/01-4499465-projet-de-loi-c-10-la-severite-est-elle-lapanage-de-la-dissuasion.php
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