Édition du 17 décembre 2024

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International

Quelques réflexions pertinentes

L’escalade de la guerre en Afghanistan

La décision du président Obama d’augmenter les troupes américaines dans la guerre en Afghanistan soulève un tollé de réactions dont un fort courant de réprobation. Cette opposition traverse les familles politiques et rejoint la base même de son électorat, soit les jeunes. Ils et elles ne lui retirent pas leur appui global mais rejettent l’escalade de la guerre.

Parmi tous ces points de vue, j’ai sélectionné une entrevue d’un journaliste indépendant diffusée sur democracynow.org le 2 décembre dernier, le lendemain de l’allocution du président. La décision de l’escalade était toutefois connue depuis quelques temps déjà. Les explications et analyses données ici m’ont paru offrir un angle un peu différent et un éclairage plus large et donc plus intéressant.

Je vous offre donc la traduction de ses points de vue. Les questions posées sont raccourcies pour aider à la compréhension du texte. Elles sont de Aimy Goodman journaliste responsable de democracynow.org

(Organisation et traduction du texte par Alexandra Cyr)

Nir Rosen est donc un journaliste indépendant, Fellow du Center on Law and Security de l’Université de New-York. Il a été reporter en Irak et en Afghanistan depuis 2003. Ces derniers reportages portent sur l’état de l’occupation américaine dans ces deux pays. On peut les retrouver dans la Boston Review.

Q. (…) Que pensez-vous du discours du Président (…) et de sa décision d’augmenter le nombre de soldatEs à 30,000 ? Même si ce ne sont pas les 40,000 que le Général McCrystal réclamait. Il compte toutefois sur les alliés pour en fournir environ 5,000 de plus. Bien sûr tout ça ne parle pas des entreprises privées qui accompagneront les troupes.

N .R. : En réalité il n’y a rien de surprenant dans tout ça. Même si Obama n’avait pas voulu augmenter les troupes, il est soumis à de telles pressions politiques qu’il aurait dû le faire. Mais j’aurais bien voulu entendre les mots Palestine et Cachemire. Nous serions en Afghanistan pour répondre au danger largement surévalué que poserait Al Qaïda. Au moins intéressons-nous à leurs motivations qui sont l’occupation du Cachemire par l’Inde et celle de la Palestine par Israël soutenue par les États-Unis. Et si nous voulons les affaiblir commençons par comprendre cela et à nous arrêter sur leurs griefs. Ce ne sont pas que de vilains James Bond qui veulent attaquer les États-Unis sans raisons. Les revendications qu’ils ont sont les mêmes que celles qui ont agité le monde depuis des décennies. Elles ont déjà été accrochées à des analyses laïques marxistes et nationalistes. Aujourd’hui, c’est un discours plus religieux qui sert d’appui. Mais ce sont toujours les mêmes revendications.

Alors, si notre but est d’affaiblir Al Qaïda, pourquoi combattons-nous les Talibans ? Le mouvement taliban est très local et basé sur une idéologie peu élaborée, très limitée. Al Qaïda est surtout présente au Pakistan où nous n’y avons pas de troupes à ce que je sache. [1] Donc, pourquoi nous appesantir sur l’Afghanistan si l’ennemi visé ne s’y trouve pas ou si peu ? Au Pakistan nous avons quelques succès. Nous n’avons subit aucune attaque et nous n’avons pas utilisé de tels moyens. Merci aux services de renseignements, (…) et à l’augmentation de la sécurité. Al Qaïda n’est pas vraiment un danger. Ils ne sont plus que quelques centaines de combattants un peu frustes. Ils ont utilisé leurs meilleurs effectifs dans la tragique attaque du 11 septembre qui n’était pas si significative et qui n’a pas eu d’effets considérables sur les États-Unis. Ce qui a affecté le pays, c’est la réponse américaine, ici et à l’étranger. Al Qaïda n’est pas si dangereux mais, si vous pensez que c’est un danger majeur qui mérite qu’on y autant attache autant de ressources, prenez au moins la peine de tenter de comprendre leurs revendications et d’y donner une réponse. Le retrait du Cachemire et de Palestine aurait diminué significativement le nombre de gens qui appuient cette organisation et qui veulent la rejoindre. Mais nous occupons un pays musulman !

Obama a parlé de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, de la présence d’Al Qaïda mais rien sur l’occupation américaine du pays. Quel résultat peut-on attendre de la politique de contre insurrection américaine qui fera encore des morts innocentes aujourd’hui ? Encore plus de tensions inter ethniques. Il va se développer une guerre civile entre les Takjiks et les Pachetounes. Nous n’en sommes pas loin.

Q. Que pensez-vous de la décision annoncée par le président de former l’armée afghane et d’augmenter ses effectifs de façon à ce que nos troupes puissent quitter en juillet 2011 ?

N.R. : Toute personne qui connait les forces de sécurité afghanes sait très bien que c’est impossible. J’ai séjourné dans leurs rangs et je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Le Général McKristal lui-même dans son rapport souligne que la police afghane est un véritable problème. Alors pourquoi en doubler le nombre ? La police afghane est un agent recruteur pour les Talibans. Ses membres oppriment la population. La plupart sont drogués et incompétents [2] . Certains sont courageux et braves mais ils se font tuer par milliers. Et vous allez doubler leurs effectifs ? Vous doublez ainsi la corruption et l’oppression de la population. Ce n’est pas la façon de vous en attirer la sympathie.
Quant à l’armée, pour laquelle nous avons dépensé des milliards, c’est un échec.
On en a eu une preuve quand l’opération militaire a été déclenchée dans la province d’Helmand en juillet dernier. Pas de militaires afghans ; ils ne se sont pas montrés ! J’y étais et j’ai entendu les Américains et les Britanniques s’étonner et déplorer que cette armée ne se sente pas partie prenante de l’action. L’armée afghane se sent concernée par des menaces qui peuvent venir de l’extérieur du pays, pas par ce qui se passe à l’intérieur. Donc c’est peine perdue. Et en plus, ils n’ont pas les compétences nécessaires. Elle est également. Pourquoi avons-nous des bases militaires partout dans le monde si nous ne sommes pas un empire qui cherche à dominer la majorité de la planète et la contrôler. Aujourd’hui évidemment les empires fonctionnent différemment. Il n’est peut-être plus nécessaire d’exercer un contrôle physique de chaque lieu. Mais il faut encore que vous ayez la force matérielle et puissiez exercer la menace de la violence. Je suis d’accord qu’actuellement nous sommes en train de rater notre coup impérial.
Nous sommes en train de contribuer à la réhabilitation des Talibans. Nous avons renversé le régime le plus détesté au monde, nous l’avons démantelé en quelques semaines et voilà qu’ils sont plus populaires que jamais. Ils sont plus forts que jamais.

Q. Où ?

N.R. Dans les populations pakistanaises et afghanes et chez au moins une bonne partie des Pachtounes. Quand j’étais en Afghanistan, j’ai souvent entendu des non Pachtounes exprimer de l’hostilité envers les AméricainEs. J’ai entendu beaucoup de Tadjiks dire : « Amreeka Dushman Islam ». « L’Amérique est l’ennemi de l’Islam ». Personne ne veut vraiment de nous là-bas.

(…)

Q. Si vous aviez fait le discours d’hier à West-Point, qu’auriez-vous dit ?

N.R. J’aurais mentionné la Palestine et le Cachemire. J’aurais parlé de l’histoire américaine d’appui aux dictatures dans le Moyen Orient et le monde arabe, dont celle à l’Arabie saoudite qui sont à la source de la création d’Al Qaïda et du ressentiment anti américain dans cette région.
(…) Mais c’est être très naïf (de penser que le président peut parler ainsi). Cela exigerait une telle révolution dans la façon de faire des affaires aux État Unis…Mais cessons de soutenir les dictatures en Égypte, en Arabie saoudite, au Maroc, et ailleurs. Cessons de soutenir la dictature, ou la quasi dictature au Pakistan, cessons de soutenir Israël et l’occupation de la Palestine et nous finirons par être perçus comme un partenaire juste et honnête au Moyen Orient et dans le monde arabe. Cessons de tuer des musulmanEs et ils ne nous voudront plus nous tuer. C’est vraiment facile.


[1Ce point de vue est contredit par d’autres intervenants. Il est connu que les Américains mènent déjà une guerre non déclarée au Pakistan au moyen de drones et des troupes spéciales de la CIA et de collaborateurs privés y seraient à l’œuvre. N.d.t.

[2À ce sujet, c.f. un reportage récent de J.F. Bélanger de la télévision de Radio-Canada. Le nouveau chef de la police de Kandahar songeait sérieusement à démissionner devant l’incompétence et la corruption des effectifs qu’il devait diriger. N.d.t.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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