par Ronald Cameron
En collaboration avec Raphaël Canet
photo et article tiré de : Bulletin spécial no 67- avril 2021 - Vingt ans d’ATTAC-Québec, vingt ans d’altermondialisme
[1]C’est à partir de cet éditorial, signé Ignacio Ramonet, dans le Monde diplomatique, un périodique connu pour sa posture critique, que l’idée de créer l’organisation ATTAC fut lancée en France en juin 1998. Différentes personnalités et une trentaine de collectifs et organisations sociales se sont rassemblés pour mener une Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens, le premier nom d’ATTAC. Ce projet de taxe porte le nom du Prix Nobel d’économie, James Tobin, qui l’avait proposée dès 1972 pour contrer la volatilité des marchés financiers. On connaît le mouvement ATTAC aujourd’hui sous le nom d’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.
Une organisation citoyenne créée par des mouvements sociaux
Il ne s’agissait pas de mettre sur pied une autre coalition de groupes, une pratique courante dans plusieurs pays, y compris en France. La trentaine d’organisations constituantes — des syndicats, la Confédération paysanne, des féministes, des groupes associatifs, citoyens, écologistes, de solidarité internationale et du monde des médias — ainsi qu’une vingtaine de personnalités, dont José Bové, Manu Chao, Susan George, Gisèle Halimi, Bernard Langlois, se sont mises d’accord immédiatement : il fallait créer une véritable organisation indépendante avec sa propre entité légale, ses instances décisionnelles et comités locaux.
Les adhésions individuelles ont immédiatement explosé, ralliant nombre de militantes et militants associatifs de différents horizons et trajectoires politiques. Plusieurs des adhésions provenaient du monde professionnel (éducation, journalisme, techno-scientifique), ce qui lui donnait une dimension originale. Deux ans et demi plus tard, ATTAC était devenue une organisation sociopolitique importante, avec près de 30 000 membres œuvrant dans 180 comités locaux sur tout le territoire français.
Aujourd’hui, malgré un contexte politique différent, l’aventure ATTAC se poursuit avec plusieurs milliers de membres, différents types d’activités éducatives, des séminaires et des universités d’été avec les mouvements sociaux. Des membres d’ATTAC animent des collectifs d’action et de mobilisation thématiques et locaux. Ses campagnes, dont celles contre Amazon, les paradis fiscaux ou les accords de libre-échange, ont un impact médiatique et politique remarqué. Une originalité du fonctionnement d’ATTAC-France est d’intégrer la représentation des mouvements sociaux au sein de l’instance de direction avec des membres individuels élus, dans une proposition de 40-60.
Un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action
Face à la mondialisation néolibérale, l’essor du mouvement ATTAC repose sur la fusion entre la contestation sociale et anti-systémique, et l’affirmation démocratique citoyenne. Le but est à la fois de réaliser une action de résistance face au modèle dominant, mais aussi de mener un travail de sensibilisation plus large de la population aux enjeux socioéconomiques actuels. C’est pourquoi ATTAC répète depuis plus de vingt ans qu’il est un « mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action ».
En plus des activités traditionnelles — séminaires, débats, capsules, essais, dossiers, tracts —, les activités d’éducation populaire intègrent les mobilisations de désobéissance civile, menées dans l’espace public sur une base non violente. Elles permettent non seulement de frapper l’imaginaire populaire, mais aussi d’attirer l’attention des médias pour multiplier la diffusion du message et la sensibilisation de la population.
Un programme réformiste anti-systémique
Trois revendications fondatrices du mouvement ATTAC traduisent bien la logique démocratique et anti-systémique de la démarche : suppression des paradis fiscaux, augmentation de l’imposition des revenus du capital et taxation des transactions financières (taxe Tobin). Toutes ces demandes sont légitimes d’un point de vue démocratique, mais incompatibles avec la logique du capital financier mondialisé. Les trois revendications ne sont pas seulement des guides pour l’action, mais incitent aussi, dans un exercice d’éducation populaire, à comprendre les rouages de la mécanique néolibérale.
L’abolition des paradis fiscaux vise les personnes et les institutions qui préconisent et pratiquent l’évasion fiscale. Celle-ci constitue en fait une forme de détournement légalisé des richesses produites dans un pays par l’établissement de filiales dans des pays qui n’imposent pas les revenus transférés selon une comptabilité transnationale. Ainsi, ces grands « investisseurs » peuvent éviter légalement de payer de l’impôt là où les biens et services sont produits. Il peut paraître évident en démocratie d’empêcher cette pratique de détournement des lois fiscales, mais pour les partisans de la mondialisation néolibérale en revanche, il ne peut exister de contraintes à la mobilité du capital et à la concurrence fiscale entre les États. Selon le rapport 2020 du Tax Justice Network, l’évasion fiscale priverait l’ensemble des États de 427 milliards de dollars d’impôts chaque année.
L’imposition des revenus du capital aussi peut paraître acceptable dans une perspective d’équilibre entre le capital et le travail. Or, du point de vue néolibéral, une suppression des impôts des plus fortunés et du capital est nécessaire pour stimuler l’investissement et éviter de voir fuir les fortunes vers des juridictions plus généreuses. Ainsi, avec la complicité des États nationaux, la mondialisation néolibérale a généralisé la tendance à réduire les charges fiscales pour les grandes fortunes et les grands investisseurs.
Enfin, la taxe sur les transactions financières vise à réduire la spéculation et la mobilité des capitaux, source d’enrichissement indépendante des activités économiques productrices de biens et services au bénéfice du bien commun, ce qui semble une demande démocratique élémentaire. Or, le capital mondialisé ne peut tolérer d’être limité par une taxation sur ses opérations transnationales qui constitue une entrave à sa mobilité.
Ces trois mesures fondamentales ont pour objectif de récupérer une partie de la richesse accaparée par les plus nantis pour la redistribuer afin de satisfaire les besoins sociaux, répondre aux exigences du combat environnemental et bâtir un monde alternatif à la dictature des marchés. Mais cela demande une forte mobilisation, car ce qui semble simplement relever de la justice la plus élémentaire, est jugé inacceptable par les partisan-es du libre marché.
Composante du mouvement altermondialiste
Depuis vingt-deux ans, ATTAC partage toujours l’objectif de combattre la mondialisation néolibérale, dans une perspective internationaliste et en convergence avec les autres mouvements sociaux.
« Un enjeu essentiel de la période consiste à porter une autre vision de la mondialisation, face au néolibéralisme d’E. Macron, A. Merkel, J. Trudeau et consorts d’un côté, et de l’autre la xénophobie de D. Trump et de chefs de gouvernement de plus en plus nombreux (…). Dans ce contexte, l’altermondialisme n’a jamais été autant nécessaire (… qui) est elle aussi en transformation et Attac peut contribuer à la redéfinition des processus de convergence et d’alliances de nos mouvements à l’international. » ATTAC-France, Le rapport d’orientation, juillet 2019
Dès sa fondation, ATTAC-France s’est insérée dans les réseaux internationaux. Parallèlement, des groupes ATTAC se sont constitués dès l’an 2000 dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne qui compte aujourd’hui le plus grand nombre de membres du réseau international, soit 29 000. C’est aussi en 2000 que l’association ATTAC-Québec fut créée et s’est inscrite dans la mobilisation pour le Sommet des peuples de Québec en avril 2001. Présent à Seattle en 1999 pour mettre en échec la réunion de l’OMC, le mouvement international ATTAC fut une composante centrale dans la naissance du FSM en 2001. Aujourd’hui, le mouvement ATTAC-international représente environ 90 000 membres et a des groupes dans plus d’une trentaine de pays.
L’enjeu de la planète
ATTAC, en éveillant les consciences, se présente comme le grain de sable dans l’engrenage de la mondialisation néolibérale. La crise financière de 2008, les politiques d’austérité, l’endettement privé et public croissant, la valorisation boursière des entreprises les plus riches à la faveur de la pandémie ou les réponses à apporter aux crises sanitaire, économique et environnementale exigent la poursuite de son combat.
Enfin, si les enjeux du réchauffement climatique étaient déjà présents il y a plus de vingt ans, ils traversent aujourd’hui toutes les luttes altermondialistes, dont le mouvement ATTAC. Le dérèglement de la nature a un lien évident avec la dérèglementation de l’économie. Lui mettre un frein et faire obstacle à la spéculation financière sont parties prenantes du combat contre la marchandisation du vivant et de la nature.
Nous sommes de ceux et de celles qui pensons que s’impose une transformation radicale de notre manière de vivre, de produire, d’échanger, de commercer, de voyager, de se nourrir, de partager, de prendre soin les uns des autres, bref de vivre ensemble, dans le respect de la nature et du vivant.
ATTAC-Québec, mai 2020, Appel pour un autre monde
Notes
[1] Le présent article est un chapitre d’un livre à paraître à l’automne 2021 sur l’altermondialisme, aux Presses de l’Université d’Ottawa, sous la signature conjointe de Pierre Beaudet, Ronald Cameron, Raphael Canet et Nathalie Guay.
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