Édition du 17 décembre 2024

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Europe

L’ascension (ir)résistible de Matteo Renzi en Italie

Le jeune maire de Florence, Matteo Renzi, s’est installé à la tête du gouvernement italien et a formé son gouvernement de « changement ». Nous publions ci-dessous quelques extraits du bilan de Franco Turigliatto publié par « Sinistra anticapitalista » le 17 février dernier (SP).

Le jeune Renzi brûle les étapes ; comme dans toutes les conjurations de palais, reniant ses déclarations, il poignarde dans le dos le collègue auquel il avait assuré son appui, il poursuit son chemin sans se préoccuper des règles écrites et non écrites pour arriver à l’objectif tant espéré de son ambition, la direction d’un gouvernement, de son gouvernement.

Il peut le faire parce qu’il s’est assuré l’appui de son ami et concurrent Berlusconi, parce que le gouvernement Letta après à peine un an est complètement épuisé, parce que dans son parti il n’y a aucune solution de rechange, parce que les médias le soutiennent ; parce que le mouvement syndical est le complice des politiques patronales et qu’il vient de signer un accord avec la Confindustria pour bloquer les luttes contre les politiques d’austérité ; parce que cette dernière a trouvé en lui un homme de confiance tout comme la finance ? ; parce que la démoralisation et le désespoir serpentent dans toute la société italienne et que beaucoup cherchent un espoir à la misère actuelle, prêts à confier leur sort à un quelconque démiurge ou apparaissant comme tel dans les médias.

Programme, vous avez dit programme ?

Pour Renzi, le programme est tout à fait secondaire ; son action consiste à apparaître comme celui qui change, qui casse les règles, qui agit, qui fait tomber les anciennes nomenklaturas, qui ne regarde personne en face, qui propose tout de suite l’espoir. C’est pour cela que le temps ne joue pas en sa faveur ; il devait encaisser tout de suite les dividendes de sa victoire aux primaires du Parti démocrate, il devait démontrer que lui ne s’arrête pas, que son action était efficace et qu’il ne se laissait pas emprisonner dans les vieilles tracasseries parlementaires et de parti. Comme il ne pouvait compter sur des élections immédiates, il a choisi de forcer les temps et de tenter de diriger tout de suite un gouvernement de coalition ; il a aussi fait ce choix parce que nous sommes à la veille du semestre italien à la tête de l’Europe, une vitrine et un rôle qu’il savait ne pouvoir laisser à personne sans courir le risque de reculer.

De toute façon, le programme c’est celui de la Confindustria, c’est celui que les patrons continuent à demander, mâtins affamés qui en veulent toujours plus. Le programme n’est rien d’autre qu’une nouvelle accélération des contre-réformes déjà réalisées par le passé. A commencer par de nouvelles réductions d’impôts pour les entreprises, de nouvelles libéralisations du travail et de la flexibilité, de mirobolantes promesses sur les postes de recherches et de leurs miraculeux effets sur l’emploi des jeunes. Et, évidemment, le programme est aussi la confirmation de nouvelles et vigoureuses coupes dans la dépense publique, grâce à la spending review [processus d’examen des dépenses, réd.]. La seule chose qui est vigoureusement niée, et n’est même pas évoquée, c’est la nécessaire intervention de l’Etat dans l’économie pour créer de l’emploi. En effet, aucun autre cadeau aux patrons ne relancera l’économie dans cette phase d’accumulation du capitalisme. Mais il y a une autre raison de fond pour laquelle le chômage continuera à être très haut : la formation d’une grande armée de réserve industrielle de chômeurs et de chômeuses n’est pas seulement un effet de cette phase de crise du capitalisme, mais aussi un choix politique stratégique des classes dominantes européennes pour faire du chantage aux sa­larié·e·s et redessiner le visage social du continent.

Instabilité gouvernementale et crise de direction

Face à la crise économique, la bourgeoisie a des difficultés à se doter de gouvernements stables qui puissent jouir d’un large consensus populaire. Dans le rôle de garant de la stabilité bourgeoise, Napolitano [président de la République, réd.] avait garanti en automne 2010 la continuité du gouvernement Berlusconi, puis en 2011, la défenestration de Berlusconi et l’arrivée du gouvernement « sauveur » de Monti-Fornero. Aujourd’hui, il semble devoir donner à contrecœur les clés du Palais Chigi [siège du gouvernement, réd.] à Renzi, ce qui du haut de son expérience et de son parcours historique ne peut tout à fait le rassurer. Les difficultés à se donner une direction politique stable sont un problème qui touche à des degrés divers tous les pays du continent. Il n’est pas facile de mener des politiques économiques et sociales qui détruisent les conditions mêmes du travail, des services sociaux et de l’emploi, instaurées à la fin de la Seconde Guerre mondiale ? ; de paupériser des millions de personnes, de compter plus de 25 millions de chômeurs et chômeuses, de consumer rapidement les espoirs de changements de ceux et celles qui avaient voté à peine quelques mois auparavant et en même temps de garder le soutien de larges secteurs de la société. Le gouvernement de François Hollande a amplement démontré cette difficulté.

On ne sait pas combien de temps et comment fonctionnera l’expérience Renzi. Les embûches ne manqueront pas ni les difficultés qui, on l’espère, pourront également provenir des mobilisations des travailleurs et travailleuses. En outre, des élections anticipées pourraient avoir lieu avant la fin de la législature en 2018 ; Berlusconi les évoque déjà. Il est vrai que Renzi vise à conquérir directement, avec sa politique, des secteurs de la droite, mais le caïman a déjà démontré, encore récemment, qu’il avait plusieurs vies. Nous verrons.

* Version française de « solidaritéS » (Suisse) n 244 (27/02/2014) p. 6.

Article paru sur « Sinistra anticapitalista », (http://anticapitalista.org/2014/02/17/ la-resistibile-ascesa-di-matteo-renzi-2).

* Traduction, titre, coupures et adaptation de la rédaction de « solidaritéS ».

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