Édition du 24 septembre 2024

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Guantanamo

L'ancien procureur en chef à Guantanamo demande au président Obama de fermer cettte prison

Entrevue exclusive sur Democracynow.org

Introduction de la traductrice : Dans cette émission, d’autres intervenants sont interviewés et les sujets sont divers. J’ai conservé les éléments pertinents au dossier sur Guantanamo et sur les enjeux directs impliqués, notamment juridique. a.c.

10 Janvier 2012,
Traduction, Alexandra Cyr,

Amy Goodman : Pour ce dixième anniversaire de l’ouverture de la prison de Guantanamo, nous recevons plusieurs invités (…) premièrement le Colonel d’Aviation Morris Davis, ex-procureur militaire dans cette prison. Il a démissionné en 2007 devant ce qu’il a nommé l’interférence de la politique dans la marche des commissions militaires chargées de juger les prisonniers, (…).
Morris Davis, (…) vous vous opposez maintenant aux commissions militaires alors que vous y étiez procureur en chef. Pourquoi ce changement ?

Morris Davis : Il y a maintenant dix ans que le président Bush a autorisé les commissions militaires. Au cours de ces dix années nous avons conduit un grand total de six procès ce qui n’est pas tout-à-fait à la gloire de ce processus. (…) La procédure s’est retrouvée devant la Cour Suprême qui l’a jugée totalement inacceptable. En 2006, le Congrès a adopté une autre version que le Président Obama a jugée déficiente. Une nouvelle a été adoptée en 2009. Donc nous répétons au monde entier, de fois en fois : « celle-ci est la bonne ». Je pense qu’après tout ça, il est temps d’en finir avec cette organisation de la justice.

A.G. (… le porte parole de la Maison Blanche) soulève des questions de sécurité nationale. Comment la définiriez-vous ? Selon vous, que devrait-il advenir de Guantanamo ?

M.D. Je pense que nous devons fermer cette prison. Elle est devenue un tel symbole négatif, comme Abu Ghraïb. Le seul terme de « Guantanamo » transporte spontanément autour du monde un message à propos des Etats-Unis et sur ce que nous sommes. Il était intéressant, hier (9-01-12) d’entendre la porte parole du Département d’État parler d’Amir Hekmati, cet Américain condamné par une cour iranienne. C’est bien dommage, mais elle critiquait leur procédure, disant qu’il avait été détenu dans des circonstances suspectes, qu’il avait été jugé en secret et sur la base d’aveux obtenus avec des méthodes d’interrogatoires agressives. Je me disais : « voilà qui ressemble à Guantanamo ». Nous avons perdu notre sens moral et du même coup notre capacité à critiquer les autres quand ils font la même chose que nous. Ce n’est pas dans notre intérêt de maintenir cette image dans le monde.

A.G. Quelle est votre opinion à propos de la loi que le Président vient tout juste de signer ?

M.D. Je pense que c’est tout simplement de la lâcheté de sa part. Comme je l’ai déjà dit, je pense que depuis le jour de son investiture, quelque part entre le Capitole et la Maison Blanche, ce président a perdu ses couilles. Il a dit tout ce qu’il fallait dire, fait les bonnes promesses et totalement manqué de leadership pour les appliquer. Il avait menacé de poser son véto à ce projet de loi. Ça s’est avéré une fausse menace. Ce qu’il a signé la veille du Jour de l’An n’est pas en contradiction avec les politiques existantes depuis quelques années, mais maintenant elles sont coulées dans la loi. Il semble bien que Guantanamo soit ainsi rendu permanent et les militaires vont devenir les administrateurs de la prison pour suspects de terrorisme. Ce n’est pas ce que veut l’armée. Vous savez, en cette année électorale de 2012, aucunE candidatE ne se fera élire en déclarant : « Je défends les droits des détenus de Guantanamo ». Surtout à l’extrême droite, il semble qu’il n’y aura personne suffisamment interpelé ou suffisamment haineux pour faire compagne à propos de ces droits.

A.G. Michel Ratner, (président émérite du lawsuit Center for Constitutional Rignts) Pouvez-vous nous parler de la poursuite que vous venez tout juste de déposer ?

M.R. Malheureusement je ne le peux pas. (…) Mais j’aimerais ajouter quelques éléments à la discussion et qui n’ont pas encore été soulevés. Rétrospectivement, on peut voir deux aspects qui n’apparaissaient pas lors de la signature du décret de fermeture du Président Obama il y a un an. Premièrement, il est tout de suite revenu sur cette signature et deuxièmement, il n’a jamais eu l’intention de fermer tous les Guantanamo autour du monde. Il a vraiment voulu se débarrasser du symbole en transférant les détenus sur le sol américain. Mais comme cela apparait dans la nouvelle loi, le président a toujours le pouvoir d’autoriser la capture et la détention de gens, partout dans le monde, et il l’exerce. Quand nous disons : « Fermez Guantanamo ! » nous ne demandons pas seulement le démantèlement des lieux de vie des 171 personnes qui y sont enfermés. Que ce soit barbare et enrageant est clair, mais ce qu’il faut c’est en finir avec ce pouvoir barbare du gouvernement des Etats-Unis qui met des gens sous les verrous partout dans le monde.

(…)

A.G. (…) Colonel Morris, pouvez-vous nous parler de ces commissions que vous avez présidées (…) ?

M.D. …D’abord, Guantanamo a été choisie parce des membres de l’administration Bush pensaient qu’ainsi les lois ne s’y appliqueraient pas. Pour ce qui est du choix des Commissions militaires, le modèle a été copié sur celles qui ont opéré en 1942 contre les saboteurs nazis. Entre le moment de leur capture, celui de l’examen par la Cour Suprême, leur exécution et leur incinération, il s’est écoulé 43 jours. La commission militaire de l’époque s’est tenue en secret. Ils ont pensé que c’était un modèle à suivre. Ce ne fut pas le cas de toute évidence ; nous sommes là encore en train d’en parler dix ans plus tard. Je me dis que nous sommes la terre de la liberté et des braves. Nous sommes devenus peureux et lâches ces dernières dix années. Je voudrais bien nous voir revenir aux principes sur lesquels ce pays a été fondé où notre force était le respect de la loi, pas la course pour y échapper.

(… À propos des conditions de détention des prisonniers de Guantanamo, antérieurement décrits par l’ancien Secrétaire à la défense D. Rumsfeld et le Président Bush, comme humains, conformes aux Conventions de Genève sur les droits des prisonniers de guerre),

A.G. qu’en dites-vous Colonel Morris ?

M.D. Eh ! bien je vais vous donner un seul exemple. Mme Susan Crawford, qui a travaillé avec le vice-président Cheney au Département de la défense, a été désignée responsable des commissions militaires durant l’administration Bush. En janvier 2009, dans une entrevue avec Bob Woodward publiée dans le Washington Post, tout juste une semaine avant le départ de M. Bush de la présidence, elle a dit qu’elle n’avait pas présenté le cas de Mohammed al-Qahtani devant une commission parce, ce sont ses propres mots : « Nous avons torturé al-Qahtani ». Alors, cette idée que les prisonniers sont bien traités, de manière humaine, est démentie ici sans équivoques, et par une personne désignée par le pouvoir républicain.

A.G. Et la poursuite introduite par le Center for Constitutionnel Rignts vise à rendre publics les vidéos des interrogatoires de M. al-Qahtani, ce citoyen saoudien, que ses avocats ne peuvent utiliser parce qu’ils ont été classifiés secrets. (M. al-Qahtani) demeure toujours à Guantanamo. Je voudrais qu’Omar Deghayes (ex-prisonnier de Guantanamo) nous parle de ses réactions à ces controverses.

O.D. (…) Je pense qu’ils devraient se poser des questions sur l’utilité de garder ces gens dans cette prison depuis dix ans. Quel genre de renseignements pouvez-vous obtenir de personnes contre lesquelles vous n’avez trouvé aucune preuve, que vous ne pouvez même pas accuser de quelque crime que ce soit ? Je pense que la seule raison pour laquelle on les maintient dans cette prison comme dans beaucoup d’autres prisons secrètes, repose sur la politique, pas sur la justice. C’est très clair, tristement clair : les politiciens se transforment en juges, condamnent des gens et les maintiennent dans cette situation. C’est terriblement triste de voir que des politiciens se permettent de jouer aux juges, sans suivre les procédures légales et sans avoir la formation pour le faire.

(…) La vaste majorité de ceux qui ont pu sortir de Guantanamo, leur vaste majorité, 90% d’entre eux, ont été libérés sans bénéficier d’une décision légale, prononcée par une cour. Ce fut le résultat d’un processus politiques entre des gouvernements et des groupes de défense des détenus.
Je pense que plus un détenu était supporté à l’extérieur plus il devenait embarrassant pour le gouvernement qui décidait de sa libération. Je pense que la plupart de ceux qui sont encore à Guantanamo ne sont une menace pour personne. La seule raison pour laquelle ils moisissent là c’est qu’il n’y a pas suffisamment de bataille à l’extérieur pour les en faire sortir. Il y a des Yéménites dont les parents n’ont probablement pas assez de pouvoir pour alerter les médias internationaux ou bien ils ne savent pas comment on mène ce genre de campagne. Et ainsi de suite.

Donc, je pense que la majorité de ces gens y sont encore pour des raisons politiques bien plus que pour quelque crime qu’ils aient pu commettre. Ils y sont aussi pour ce qu’ils ont fait dans cette prison bien plus que pour ce qu’ils ont fait avant d’y arriver. Je veux dire qu’ils se rebellent devant les mauvais traitements, les abus sexuels, aussi parce qu’on leur reproche d’avoir aidé des codétenus en faisant de la traduction et sont devenus populaires. C’est bien plus pour ça que leur détention se continue que pour des crimes antérieurs. Garder en isolement et incarcérer des gens pour ces raisons pendant dix ans est éminemment triste. (…) Je pense que c’est mal politiquement, légalement et moralement à sa face même.

(…)

A.G. Morris Davis, (…) Que pensez-vous de ce que vous venez d’entendre ?

M.D. (Cela) renforce mon idée que ce fut une décennie malheureuse et regrettable dans l’histoire de notre pays. Nous avons tourné le dos à ce qui nous a fait un grand pays : le respect de la loi. Et les gens se sont mis à avoir peur d’être éluEs, pour quelque raison politique que ce soit, peur d’avoir à exercer solidement le pouvoir, quelles que soient leurs motivations. Nous avons vécu une décennie de peur nous sommes devenus timides et lâches. Je voudrais nous voir comme la terre des braves à nouveau, revenir aux valeurs américaines et mettre cet épisode derrière nous.

A.G. En 2005, Colonel, vous avez déclaré dans vos fonctions de chef procureur, que vous ne permettriez pas l’utilisation d’aveux obtenus par la torture…

M.D. Exactement ! Tout comme ce qu’a dit la porte parole du Département d’État hier au sujet de cet Américain condamné par une cour iranienne. Ces aveux ont été obtenus grâce à la torture et ne doivent pas être utilisés contre le prévenu. C’est cette philosophie que j’utilisais à Guantanamo : aucune preuve obtenue de cette manière n’a sa place dans une cour américaine. Mais le gouvernement n’appelle pas ça « torture » ; il appelle ça des « interrogatoires musclés ». Dans beaucoup de cas nous avions assez de preuves obtenues tout autrement pour établir la culpabilité. Torturer pour obtenir des informations, se retourner pour les utiliser comme preuves dans une cour américaine est contraire aux principes américains.

A.G. Diriez-vous catégoriquement que … des prisonniers ont été torturés à Guantanamo ?

M.D. Je pense qu’il n’y a aucun doute à ce sujet. (…) oui je dirais qu’il y a eu de la torture à Guantanamo. Encore une fois, Susan Crawford, une protégée de Dick Cheney a dit qu’il y en avait. Jonh McCain a dit que les simulations de noyades (waterboarding) étaient de la torture, et nous avons admis que cela y était pratiqué. Il y a eu au moins cinq juges des cours fédérales et militaires qui ont dit que les détenus avaient été torturés. Et c’est très regrettable que l’administration Obama manque autant de leadership à ce sujet. Nous sommes signataires de la Convention de Genève contre la torture qui dit qu’il n’y a aucune justification pour son usage. Il y a un devoir d’enquête, de poursuite et d’obligation de donner une orientation civile en guise de conclusion. L’administration ignore complètement ses responsabilités en la matière. (…) J’étais très optimiste quand le Président Obama est entré en fonction. Il allait remplir ses promesses. Je croyais dans l’espoir et le changement. Quand il a commencé à reculer, j’ai écrit une lettre au Wall Street Journal qui accusait l’administration de maintenir un double standard. J’ai reçu ma lettre de congédiement le lendemain. (…)

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