Édition du 17 décembre 2024

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L'accord canado-américain sur la sécurité du périmètre : une menace pour la sécurité des Canadiens

L’accord canado-américain sur la sécurité du périmètre rendu public lors du passage de Stephen Harper à Washington la semaine dernière représente ni plus ni moins que l’intégration du Canada à l’appareil sécuritaire des États-Unis, sans aucune protection pour les canadiens des abus qui pourraient en découler. C’est l’abandon pur et simple des normes canadiennes en matière de protection de la vie privée.

Présentée comme une entente qui vise à éliminer les contraintes frontalières pour les voyageurs entre les deux pays, cette entente est tout le contraire. Ce plan d’action ne fait pas que renforcer les mesures et les contrôles frontaliers actuels (collecte sans précédent et échanges de renseignements personnels, croisement de données...), il crée une deuxième frontière autour du périmètre Canada-États-Unis et instaure un régime continental de contrôle des entrées et des sorties. Le projet donne aux États-Unis un accès à des quantités encore plus grandes de renseignements personnels sur les voyageurs, y compris l’information biométrique et biographique. De plus, l’entente prévoit l’instauration de listes communes, c’est-à-dire étasuniennes : listes d’interdiction de vol, listes anti-terroristes et autres.

Pour statuer sur l’admissibilité de personnes au Canada, le texte de l’accord ne laisse aucun doute - le Canada adoptera les normes, critères, procédures et méthodologies des États-Unis. L’entente va encore plus loin : lorsque des normes, lois ou règlementation canadiennes présente une entrave à la coopération entre les deux pays, le Canada les modifiera pour qu’elles soient conformes aux pratiques américaines. En effet, l’entente parle « [d’] éliminer les entraves à la coopération et ...veiller à ce que les termes des lois, accords et traités applicables assurent le plus haut niveau de coopération possible. » Dans tout le document, pas un mot sur la surveillance et l’imputabilité des agences de sécurité, ni sur les droits de recours et de réparation pour les personnes dont les droits seraient violés.

Le gouvernement Harper nous a donné un avant goût de ce que cela veut dire en amendant, il y a un an, la Loi sur la protection des renseignements personnels afin de permettre aux compagnies aériennes de remettre aux autorités des États-Unis tous les renseignements sur leurs passagers pour les vols qui ne font que survoler les États-Unis. Dorénavant, pour la plupart des vols vers l’étranger en partance du Canada, l’autorisation d’embarquer doit être accordée par Homeland Security des États-Unis et il n’y a aucune protection sur l’usage qui est fait des informations transmises.

Le plan d’action sur la sécurité du périmètre présente un danger réel pour la sécurité des Canadiens et des voyageurs qui risqueront encore plus de se faire ficher par les États-Unis, de voir leur nom ajouter à des listes de surveillance ou simplement interdit de voyager, et cela sans aucun recours.

Une telle intégration des contrôles frontaliers et des opérations policières et de renseignement fait fi des conclusions de la Commission O’Connor (Arar) et anéantit tout espoir de mise en oeuvre du mécanisme de plainte et de surveillance des agences de l’État que recommandait le juge O’Connor. En effet, l’entente va à l’encontre des recommandations de la Commission et vise à « encourager les échanges informels de renseignements », ce qui permet aux agences de sécurité d’échapper à tout mécanisme d’imputabilité.

Les mesures qui accompagneront la préinspection et le prédédouanement des marchandises sont également très inquiétantes. Elles ne feront pas que faciliter le transit des marchandises à la frontière. Pour se qualifier, les entreprises canadiennes devront se soumettre aux normes de sécurité étasuniennes. Surveillance à l’intérieur de l’entreprise, vérification des antécédents des employés - et possiblement l’exclusion d’employés originaires de certains pays, comme ce fut le cas à Bell Helicopter en 2007 pour des contrats militaires. L’accord prévoit même que les pouvoirs des agents d’inspection des États-Unis sur le territoire canadien « seront revus et modifiés » afin qu’ils soient « comparables » à ceux des agents canadiens dans les aéroports.

Nous en appelons au gouvernement du Canada pour qu’il rende compte publiquement des modalités actuelles de partage de données entre le Canada et les États-Unis. Le Commissaire à la protection de la vie privée doit être autorisé à examiner tous les nouveaux accords avec les États-Unis qui affectent le droit à la protection de la vie privée des personnes qui vivent au Canada ; il doit surveiller l’application de ces accords et faire rapport chaque année au Parlement sur les résultats de ces examens et de la surveillance.

En s’appuyant sur les recommandations de la Commission Arar, avant de conclure toute modalité de partage d’informations avec les États-Unis, le gouvernement du Canada devrait prendre l’engagement public d’instaurer une autorité unique pour superviser tous les organismes fédéraux de police et de sécurité impliqués dans le transfert d’informations entre le Canada et d’autres pays.

Enfin, aucune initiative ou recommandation contenue dans le plan d’action frontalier ne devrait être mise en oeuvre ou négociée avec les États-Unis avant la tenue d’un débat public et parlementaire au Canada.

Dominique Peschard, président, Ligue des droits et libertés

Roch Tassé, coordonnateur, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

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