Édition du 17 décembre 2024

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Tragédie de Lac-Mégantic

L’État assureur : quand la collectivité se porte au secours du privé

Au printemps dernier, l’IRIS présentait une série de vidéos portant sur le néolibéralisme. Nous y proposions une lecture qui va à l’encontre de l’idée largement répandue selon laquelle le néolibéralisme est synonyme de retrait de l’État ou encore de diminution de sa taille. Nous avons plutôt montré que c’est la nature de son intervention qui se transforme. Trois qualificatifs nous servent à décrire cette nouvelle réalité : l’État est facilitateur, puisqu’il encourage et soutient l’investissement privé. Il est distributeur, en ce sens qu’il a recours, autant que faire se peut, à la sous-traitance. Enfin, il est compétitif, c’est-à-dire qu’il réorganise les services publics de manière à les rendre concurrentiels.

Tiré du site de l’IRIS.

Par ailleurs, nous avons aussi démontré que le régime néolibéral est marqué par une tendance à l’individualisation des risques, c’est-à-dire qu’on assiste à la dégradation de divers filets sociaux sur lesquels les citoyen.ne.s pouvaient compter en cas de besoin (la réduction observée ces dernières années de l’accès à l’assurance-emploi est un exemple de cette logique). Toutefois, nous assumons toujours, collectivement, un ensemble de risques causés par les activités du secteur privé. La crise de 2008 nous offre un bon exemple de cette dynamique : plusieurs institutions financières américaines, faisant face à la faillite en raison de l’aventure risquée des hypothèques subprimes, ont été renflouées ou carrément rachetées grâce à de l’argent public. Au Canada, c’est l’injection de fonds publics dans le système financier qui a permis aux institutions financières de maintenir un niveau normal d’activité, notamment par le rachat via la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), une société d’État, d’hypothèques détenues par les banques canadiennes.

Bref, on a tendance à oublier que dans le régime actuel, l’État joue aussi un rôle d’assureur. Les entreprises comptent souvent sur le fait que les pouvoirs publics devront immanquablement assumer la responsabilité des risques qu’elles ont pourtant pris pour accroître leur rentabilité. La théorie économique décrit cette situation à l’aide du concept de l’aléa moral. L’aléa moral (d’après l’anglais moral hazard) désigne le fait qu’une partie impliquée dans un contrat aura tendance à prendre des risques démesurés parce qu’elle suppose que les autres parties en cause l’endosseront à sa place. Le contexte actuel de dérégulation de l’activité économique est tout à fait propice à ce type de comportement déviant. Par exemple, les entreprises qui extraient du minerai au Québec peuvent « prendre le risque » de polluer les sites qu’elles exploitent, puisque jusqu’à tout récemment, elles n’avaient pas à assumer le coût de la décontamination une fois l’exploitation terminée. Collectivement, à travers l’État, nous assumons donc les frais liés à la restauration de sites qui ont pourtant été exploités pour générer un profit privé – en plus de subir les inestimables conséquences sociales et écologiques de la destruction du territoire qui découlent de ce type d’activité.

La tragédie de Lac-Mégantic est une autre triste démonstration de cette logique. Cette effroyable catastrophe humaine et environnementale est venue nous rappeler ce que nous devons supporter collectivement sous prétexte de laisser les entreprises « créatrices de richesse » s’auto-réguler. Le gouvernement québécois a mis en demeure les entreprises concernées de débourser les frais de nettoyage du lieu de l’accident et pourrait les poursuivre pour qu’elles assument la responsabilité des dégâts environnementaux causés par le déversement de millions de litres de pétrole. Autrement dit, Québec doit prouver que ce sont elles les vraies responsables s’il souhaite se libérer des obligations qui pèsent actuellement sur lui en matière environnementale.

On ne peut plus se leurrer. Les réformes néolibérales de l’État ne visent pas à en réduire la taille. Jusqu’ici, elles ont par contre grandement aidé les entreprises privées à prolonger le processus d’accaparement de la richesse en transférant aux individus et aux collectivités le risque lié à leurs opérations. Il faut dès lors se demander combien la dérégulation (le « moins d’État » réclamé par les disciples du libre marché) coûte, en fin de compte, à l’État ?

Julia Posca

Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS

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