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Europe

L'Espagne ramène la crise en Europe

Le scénario, trop connu depuis le début de la crise de la zone euro, est en train de se remettre en place. Jeudi soir, l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé l’Espagne de deux paliers, pour la deuxième fois depuis de début de l’année. Sur le fond, l’annonce n’a pas surpris : depuis des mois, la communauté financière s’inquiète de l’avenir de l’Espagne. Mais le moment choisi a un peu pris de court les observateurs : ils ne s’attendaient pas si tôt à une nouvelle dégradation.

27 AVRIL 2012 | tiré de mediapart.fr

L’agence de notation, cependant, ne fait que tirer les mêmes conclusions que le monde financier depuis trois semaines : les effets euphorisants de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, distribuant généreusement 1 000 milliards d’euros en trois mois au système financier européen, sont dissipés, sans avoir rien résolu. Les problèmes de décembre réapparaissent identiques en mai.

Les taux des obligations espagnoles à dix ans flirtent à nouveau avec le seuil fatidique des 6 %, au-delà duquel la charge d’emprunt est considérée comme insupportable. La crise est à nouveau aux portes de la zone euro.

Pour Standard & Poor’s, porte-parole du monde financier, l’Espagne est dans une situation inquiétante, et les perspectives lui semblent encore plus sombres, puisqu’elle place le pays sous surveillance négative. « Dans un environnement de contraction économique, et contrairement à nos prévisions précédentes, nous pensons que la trajectoire des finances publiques de l’Espagne va probablement se détériorer », écrit l’agence dans un communiqué, tout en écartant, cependant, un risque de défaut comme en Grèce.

Le gouvernement espagnol, qui a enregistré un déficit budgétaire de 8,5 % du PIB en 2011, s’est engagé à le ramener à 5,3 % en 2012. Pour l’agence de notation, cette prévision est bien trop optimiste : au mieux, le déficit sera ramené à 6,2 %, selon elle. Et encore faut-il que la conjoncture économique ne se dégrade pas plus.

Les derniers chiffres sur le chômage, publiés vendredi, peuvent légitimement alimentés toutes les craintes : au premier trimestre, plus de six millions d’Espagnols sont sans emploi. Le taux de chômage atteint 24 % de la population active, contre 22 %, le trimestre précédent. Plus de 50 % des jeunes ne trouvent pas de travail. Il faut remonter à la Grande dépression américaine des années 1930 pour retrouver de tels niveaux de sans emploi dans une économie occidentale.

Rien ne permet d’espérer une amélioration à court et même à moyen terme. L’économie espagnole est à nouveau en récession, deux ans à peine après en être sortie. Selon les prévisions du ministère de l’économie espagnole, le PIB risque de diminuer de 1,7 % cette année. Plus pessimiste encore, des analystes des caisses d’épargne espagnoles prévoient sept trimestres consécutifs de récession, c’est-à-dire jusqu’au milieu de 2013. Une économie en récession signifie pour le gouvernement, encore plus de chômage, moins de rentrées fiscales, moins de TVA, plus de déficit.

Suicide européen

Depuis des mois, le prix Nobel Joseph Stiglitz ne cesse de répéter que la politique économique européenne est « suicidaire ». Il vient de le redire encore jeudi à Vienne : « Il n’y a aucun exemple de programme d’austérité réussi dans un grand pays. L’austérité combinée avec les contraintes de l’euro sont une association mortelle. Ce que les dirigeants européens ont décidé de faire en décembre dernier, c’est ce qu’il faut faire pour être tout à fait certain que la zone euro meure. »

Ces analyses, partagées par nombre d’économistes hétérodoxes ou atterrés depuis le début de la crise, sont en train de rallier une majorité d’observateurs, beaucoup plus conventionnels. « La situation en Espagne est en train de devenir une situation à la grecque : la récession est tellement profonde que quand vous faites un pas en avant vers l’austérité, cela vous ramène deux pas en arrière », s’alarme le chef économiste d’HSBC, Stephen King, redoutant le « cercle vicieux » de la dépression. « On atteint les limites des politiques d’austérité menées en Europe : l’austérité à tout va, comme on est en train de l’imposer en Espagne, en Italie, en Grèce, au Portugal, se traduit au bout du compte par moins de consommation, donc moins de TVA, plus de chômage, donc moins d’impôt sur le revenu », relève un économiste de Natixis, Jesus Castillo.

Les réformes structurelles, selon l’euphémisme en cours à Bruxelles, en clair les réformes du marché du travail, que veut imposer le gouvernement, sont vivement contestées par les syndicats et les salariés espagnols. D’ailleurs, ni le gel des salaires, ni la mise entre parenthèses des conventions collectives « dans les circonstances exceptionnelles », ni l’allongement des horaires de travail, ni l’instauration d’un contrat de travail unique afin de supprimer la distinction entre les salariés précaires et les salariés protégés, ne sont des facteurs suffisants, selon les économistes, pour endiguer la chute de l’économie. D’après les expériences passées, il est même à craindre qu’ils ne l’aggravent. « Au mieux, les réformes du marché du travail ne porteront leurs fruits que dans cinq ans », estime Exane BNPParibas.

Standard &Poor’s est de cet avis : « Les autorités ont engagé une réforme significative du marché du travail espagnol, qui, nous le croyons, pourrait réduire de façon importante les rigidités structurelles existantes et améliorer la flexibilité salariale. En même temps, nous ne croyons pas que ces réformes créeront un solde net d’emploi. En conséquence, le taux de chômage déjà très élevé, spécialement chez les jeunes, devrait encore s’aggraver jusqu’à ce qu’une reprise réelle s’installe. »

« De notre point de vue, la stratégie pour gérer la crise des dettes souveraines en Europe manque toujours d’efficacité », insiste Standard & Poor’s. Les réductions budgétaires, les coupes claires dans les budgets de la santé et de l’éducation, dépenses jugées improductives (sic), n’apportent, en tout cas, aucune réponse au problème espagnol. Car la cause de l’effondrement espagnol n’est pas liée à un endettement public galopant, comme le laissent croire les dirigeants européens uniquement focalisés sur les dettes publiques – avant la crise, lorsque l’Espagne était présentée comme l’eldorado européen au même titre que l’Irlande d’ailleurs, l’endettement public s’élevait à 38 % du PIB et le budget était excédentaire – , ni même à un dérapage incontrôlé des régions, comme le soutient le gouvernement, au risque de relancer une crise politique et un séparatisme régional, mais à un gigantesque endettement privé, qui a nourri une bulle immobilière sans précédent, jusqu’à ce que cette dernière explose.

Aujourd’hui, près de 1 million de logements sont vides dans tout le pays. Dans les banlieues des grandes villes, des cités bâties dans l’euphorie ne sont plus que des villes fantômes. Le mal s’accentue au fur et à mesure que les saisies s’intensifient, les banques multipliant les expulsions des ménages ne pouvant plus faire face à leur crédit. Les expulsions ont atteint un niveau record de 58 241 en 2011, en hausse de 21,8 % par rapport à 2010. Afin d’éviter que des milliers de familles ne se retrouvent à la rue, le gouvernement a décidé de mettre en place un code de bonne conduite : les familles dont « le logement principal » est menacé, celles « dont tous les membres sont au chômage » et celles dont « les remboursements hypothécaires dépassent les 60 % de leurs ressources » devraient être protégées, selon le gouvernement.

Un système bancaire en faillite

Le deuxième péril de cette déflagration immobilière se trouve dans les bilans des banques. Pendant trois ans, ces dernières ont tenté de temporiser et ont refusé de passer les provisions nécessaires sur leurs créances immobilières, le gouvernement contraignant juste les caisses d’épargne régionales les plus fragiles à se regrouper pour essayer de faire face. Aujourd’hui, il n’est plus possible de différer cette opération vérité sur les banques. Selon les dernières estimations, les banques espagnoles recèlent 143 milliards d’euros de créances douteuses dans leurs comptes.

La défiance à l’égard des banques espagnoles est telle qu’il n’y a plus, depuis l’été dernier, que la Banque centrale européenne pour assurer leur refinancement, toutes les autres banques refusant de leur prêter la moindre somme. Lors de la fameuse distribution de la BCE en décembre et février, les établissements bancaires espagnols ont été parmi les premiers à se présenter au guichet : ils ont emprunté plus de 90 milliards d’euros à 1 % sur trois ans. Une partie de cet argent leur a servi à acheter la dette espagnole : 70 % des émissions obligataires lancées par le gouvernement au début de l’année ont été souscrites par des banques espagnoles. Elles ont gardé le reste pour assurer leur refinancement, mais n’ont en aucun cas financé l’économie réelle.
Mercredi, le Fonds monétaire international a lancé un avertissement à l’Espagne, en lui disant qu’il n’était plus possible de différer le nettoyage bancaire. « Pour préserver la stabilité financière, il est impératif que les banques, spécialement les plus grandes, prennent des mesures radicales pour renforcer leur bilan », souligne son rapport.

Les banques espagnoles estiment qu’elles doivent trouver 50 milliards d’euros pour se recapitaliser. Les observateurs extérieurs chiffrent leur besoin au moins au double voire au triple. Où trouver 100 à 150 milliards d’euros ? Une nouvelle fois, tous les regards se tournent vers l’Etat, pour lui demander soit de prendre à charge les structures de défaisance qui regrouperaient tous les actifs toxiques immobiliers, soit de prêter directement l’argent aux banques. Dans tous les cas, l’argent public est requis.

Pour le gouvernement espagnol, la situation est intenable : comment justifier l’engagement de telles sommes pour sauver le système bancaire, au moment où l’économie est en pleine récession, et alors qu’il veut réduire jusqu’aux dépenses de santé et d’éducation ? Le mécanisme européen de stabilité, la nouvelle structure pare-feu censée préserver la zone euro de toute nouvelle crise, a prévu dans ses statuts de pouvoir prêter aux Etats pour qu’ils puissent aider à la recapitalisation de leur système bancaire en difficulté. Mais si un tel dispositif était mis en œuvre, il ferait mécaniquement exploser l’endettement de l’Espagne, emmenant de nouveaux programmes d’austérité. « Les dirigeants européens n’auront pas le choix », pronostique l’économiste Paul Jorion, « ils vont devoir revenir sur les règles qu’ils ont adoptées. Ils vont devoir accepter que le fonds de stabilité prête directement aux banques. »

La discussion sur le sujet semble déjà avoir commencé en coulisses. Dès vendredi matin, alors que la nouvelle dégradation de l’Espagne était à peine connue, un porte-parole du gouvernement allemand a fait savoir que la chancelière Angela Merkel était opposée à toute modification des règles, permettant un recours direct des banques au fonds européen. « Nous rejetons tout assouplissement du système par étapes qui existe actuellement pour venir en aide aux banques de la zone euro », a-t-il déclaré.

Comme l’an dernier à la même époque, mais il s’agissait alors de sauver la Grèce, l’Allemagne dit non. La suite risque d’être assez prévisible : tensions exacerbées sur les marchés, envolée des taux espagnols, crainte de contagion en Italie voire en France, panique dans la zone euro, nouveaux sommets de crise jusqu’à une énième solution de replâtrage. Oui, vraiment, un scénario qui n’est que trop connu.

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