Édition du 17 décembre 2024

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Québec

L'Elysisation de l'industrie de l'aluminium

Quand l’intérêt public disparaît totalement au profit de l’intérêt privé. On parle beaucoup de la technologie Elysis censée révolutionner la production d’aluminium en la rendant pratiquement carboneutre. Fitzgibbon qui aime beaucoup maquiller ses mauvais coups de vertus environnementales en a même fait un barbarisme : « Elysisation". Quand il en parle, il se fait pratiquement poète et on l’imagine presque chassant le faisan à proximité d’une usine d’aluminium affublé de son costume ridicule de chasseur autrichien.

Premier élément, les recherches concernant cette technologie ne sont pas nouvelles, elles ont commencé il y a déjà près de cinq ans en 2018. Au début, on parlait d’une mise en application pour 2023, aujourd’hui on parle de 2030 et certains même de 2035. Ce que l’on entend à propos de cette technologie doit être pris avec des pincettes. Tout se passe dans le secret le plus total. C’est dire, même les travailleurs de la base sont tenus de signer un engagement de confidentialité. Qui sait ? On leur a peut-être déjà demandé de désinstaller Tik Tok sur leur cellulaire.

Ce que l’on entend c’est qu’Elysis est une technologie d’anodes faites de céramique. Elles remplaceraient les anodes de carbone actuellement utilisées et dont la combustion est responsable des émissions de CO2. Il faut rappeler que les alumineries au Québec sont responsables de 17% des émissions de gaz à effet de serre et qu’elles jouissent d’une exonération totale touchant la réglementation de ces gaz. Rien de trop beau pour la classe ouvrière, il semble que les anodes de céramique dégageraient même de l’oxygène.

Elles auraient aussi l’avantage d’être beaucoup plus résistantes que celles au carbone. Plutôt de les remplacer à chaque mois comme c’est le cas actuellement, on aurait besoin de le faire au trente mois. Pas besoin d’être grand clerc pour en comprendre l’avantage concurrentiel. Ça prendrait beaucoup moins de travailleurs pour changer ces anodes. Une étude réalisée en 2020 parle de 30% de moins de travailleurs. Elysis nécessiterait cependant plus d’électricité. Encore là, il faut parler au conditionnel. C’est ce qu’on entendait jusqu’en février avant qu’un dirigeant de Rio Tinto Alcan (RTA) affirme que ce n’était pas le cas. On sait quand même que RTA est actuellement en négociation pour obtenir plus d’électricité… L’important à comprendre de tout ça est qu’Elysis est un gigantesque fantasme qui fait rêver au point où les gouvernements ont investi massivement dans la recherche (120 millions sur les 228 investis). Même Apple est venu y ajouter le prestige de sa marque en y investissant 10 million$.

Il y a le fantasme et il y a la réalité. Les gens du Saguenay lac Saint-Jean se posent de sérieuses questions et ils ont bien raison. Il faut quand même rappeler que lors de la nationalisation de l’électricité au début des années 60, Alcan qui possède ses propres barrages (environ 3 000 mégawatts, près de 10% de la production totale au Québec) à été soustrait de cette nationalisation sous prétexte qu’elle créait des emplois. À l’époque, Alcan employait environ 12 000 travailleurs, aujourd’hui RTA en emploie 3 500... Il faut aussi rappeler qu’en 1984 lors de la signature du bail de Péribonka qui accordait pour plusieurs décennies les droits d’eau à Alcan, cette dernière s’était engagée à construire trois alumineries au cours des 25 années suivantes faute de quoi le gouvernement était en droit de prendre possession des barrages. Aujourd’hui en 2023, près de quarante années plus tard, les gens du Saguenay lac Saint-Jean sont toujours en attente de la construction de la troisième usine… et, est-il besoin de le préciser, RTA possède toujours ses barrages.

En février dernier, les choses se sont précipitées sur fond de tractations entre Rio Tinto et notre cher ami Fitzgibbon. Le 8 février dans La Presse, Francis Vailles sous le titre évocateur « un pavé dans la mare du gouvernement Legault » reprenait une information datant de novembre dernier à l’effet qu’Yvan Vella, directeur de RTA, avait dit que les usines actuelles étaient trop vieilles pour accueillir la technologie Elysis. Rétro pédalage le 18 février alors que le grand patron de la division Atlantique de Rio Tinto se présente au Saguenay lac Saint-Jean pour dire que la compagnie avait bel et bien l’intention d’implanter Elysis dans la région. Il est même allé jusqu’à dire qu’elle va créer des emplois.

Alors création ou perte d’emplois ? On marche sur des œufs. En tout cas une chose est sûre, le ministre Fitzgibbon qui n’a peur de rien ne s’est pas enfargé dans les fleurs du tapis en affirmant lors d’une commission parlementaire le 8 février dernier que « la création d’emploi ne fait plus partie des critères pour attribuer des mégawatts ». Petit détail , il contredisait ainsi son premier ministre pour qui les jobs payantes ont toujours été un leitmotiv. Voilà maintenant où nous en sommes, la création de richesse est maintenant le maître mot à Québec. Qu’on se le tienne pour dit, l’intérêt public se résume à l’intérêt privé. Le pacte social de la fin des années 60 est maintenant révolu.

Les gens du Saguenay lac Saint-Jean sont inquiets et ils ont bien raison. Question de baisser un peu la pression, RTA pourrait annoncer prochainement la construction de 96 cuves AP 60 qui s’ajouteront aux 38 en opération sur son site d’Arvida. Avec cette construction, on serait à mi-chemin d’une usine de 450 000 tonnes tel que le prévoit le bail de Péribonka .

Devant cette situation, Martine Ouellet, cheffe de Climat-Québec et ex-ministre des Richesses Naturelles n’y va pas avec le dos de la cuillère : « On est en train de dilapider notre trésor public à des intérêts financiers. Exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire. » Pour sa part, Jean-Marc Crevier, ex-président (93 à 99) du syndicat de l’usine d’Arvida qui a dirigé une grève de onze jours en 95 et maintenant conseiller municipal à Ville Saguenay depuis cinq ans, est complètement scandalisé par les propos de Fitzgibbon mettant de côté la création d’emplois, propos qui, tient-il à souligner « n’ont même pas été contredits par Legault".

Martine Ouellet était gestionnaire à Hydro-Québec en 2007 au moment de la vente d’Alcan à Rio Tinto et à ce titre faisait affaire régulièrement avec les deux : « Du jour au lendemain, les choses ont changé. Autant, ça avançait rondement avec les dirigeants d’Alcan basés au Saguenay, autant ça s’est mis à coincer avec les dirigeants de Rio Tinto basés à Londres. Quand on leur parlait d’investissements pour les usines du Québec en priorité, on se faisait répondre qu’on verrait et que tout dépendrait des priorités fixées par la grande direction de Rio Tinto. » Même son de cloche du côté de Jean-Marc Crevier pour qui « il ne fait pas de doute que l’intérêt premier de Rio Tinto était la possession des barrages d’Alcan". Il en veut pour preuve un tableau tiré du rapport annuel de Rio Tinto de 2019 et détaillant les investissements : « il y a plein d’investissements prévus dans les autres secteurs d’activité. Pour ce qui est de l’aluminium, le seul investissement est à Kelowna en Colombie-Britannique. Or Kelowna est le barrage hydroélectrique alimentant l’usine de Kitimat… »

Autant Mme Ouellet que M. Crevier sont favorables à la technologie Elysis. Les deux considèrent cependant qu’il est impératif de développer la transformation pour compenser les pertes d’emploi. Cette préoccupation n’est pas nouvelle, on en parle depuis plusieurs décennies au Saguenay lac Saint-Jean. Martine Ouellet parle de Novelis , une usine de laminage employant 150 personnes qui a été délocalisée aux USA en 2012. Jean-Marc Crevier lui, parle de certains équipements liés à la technologie AP 60 qui sont fabriqués en Chine ce qu’il considère comme inacceptable. À propos d’Elysis, M. Crevier exprime un bémol qui renvoie à la déclaration d’Yvan Vella disant que la technologie Elysis ne peut être implantée dans les vieilles alumineries : « le pire est qu’il dit est la vérité. Imaginez la perte de revenus engendrée par les nombreux mois reliés à la rénovation d’une vieille usine".

Alors, compte tenu du nombre d’emplois qui se réduisent en peau de chagrin, le privilège détenu par RTA est-il toujours justifié ? Pour Martine Ouellet, aucune hésitation « le pacte initial n’a pas été respecté par Alcan/Rio Tinto. C’est maintenant un privilège indu. Rio Tinto vend même une partie de son électricité avec grand profit à Hydro-Québec. Il faut reprendre ces mégawatts, dans un contexte de transition énergétique inévitable, la production d’électricité est trop stratégique pour la laisser entre les mains de grosses compagnies qui l’utilisent en fonction leur propre intérêt. » Jean-Marc Crevier est beaucoup plus réservé : « On a quatre alumineries dans la région, imagine ce que ça serait s’ils n’avaient pas cet avantage. » Pour Martine Ouellet, « les quatre alumineries continueraient d’être profitables pour Rio Tinto même en achetant leur électricité tout comme les alumineries d’Alcoa et d’Alouette qui sont tout à fait rentables. »

Pendant ce temps, RTA a un surplus d’énergie et le vend à Hydro-Québec. Un document interne provenant de la division électrique de RTA montre un coût de 0,5631 cent le kilowattheure en 2016. Jean-Marc Crevier lui, utilise une image concrète lorsqu’il s’adresse aux travailleurs : « Pour chauffer à l’électricité un bungalow moyen au Québec, ça coûte 2000$ par année, si on payait le même prix que RTA, ça en coûterait 400 ». Selon d’anciens cadres de Rio Tinto, RTA a déjà un surplus de 120 mégawatts. La fermeture des vieilles cuves à anodes précuites à Arvida d’ici 2025 permettrait de l’augmenter à 500 mégawatts. Pendant que RTA pète de la broue et que les politiciens carburent au fantasme, l’argent rentre.

(Encadré) On s’paie un peu la tête de Fitzgibbon ?

Avoir un nom prédestiné, ça ne s’invente pas, on l’a ou on l’a pas, on naît avec. En allemand, le verbe donner se dit geben (prononcer i pour le premier e). J’aime bien dire Fricgibbon, je trouve que c’est plutôt approprié pour le personnage. Si bien qu’on peut traduire Fricgibbon comme « donneur d’argent" d’autant plus qu’en allemand, le verbe est à la fin. Il y a les donneurs d’emploi et les donneurs d’argent. Pierre Fitzgibbon est assurément dans la deuxième catégorie.

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