Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud et Caraïbes

L’Amérique latine en bascule

Le cycle de gouvernements progressistes qui ont dirigé l’Amérique latine depuis le début du xxie siècle appartient aujourd’hui au passé. Dans certains cas, à travers des élections démocratiques, comme en Argentine, au Chili et au Pérou,dans d’autres, comme au Honduras, au Paraguay ou au Brésil, c’est par la voie d’un coup d’État parlementaire que la droite est revenue au gouvernement. Désormais, la dynamique politique s’est renversée.

En Argentine, un libéral, Mauricio Macri, fait face à une crise
économique majeure, où les plans du FMI, outre une aggravation des
conditions de vie des classes populaires, ne sont pas en mesure de
rétablir les équilibres. Au Brésil, un homme à la rhétorique fascisante,
Jair Bolsonaro, est parvenu au pouvoir, n’hésitant pas à utiliser comme
repoussoir l’expérience vénézuélienne, et multiplie les provocations
misogynes, homophobes, racistes, tout en menant une réforme de la
sécurité sociale défavorable à la population. Dans les rares pays où il n’y a
pas eu d’alternance, le panorama n’est pas plus réjouissant. En Équateur,
un candidat de centre-gauche, Lenin Moreno, a été élu en 2017 contre
un banquier de l’Opus Dei, mais s’aligne désormais sur les positions
de ses homologues de droite, que ce soit en termes diplomatiques
ou économiques, et subit les critiques de l’ancien président qui avait
parrainé sa campagne. En Bolivie, l’un des rares États où le dirigeant qui
a incarné le « virage à gauche » est toujours au pouvoir, où la population
bénéficie toujours des bénéfices de la redistribution, Evo Morales fait
face à une élection présidentielle à haut risque après avoir perdu en
2016 un référendum qui devrait l’empêcher de se représenter. Enfin, au
Nicaragua et au Venezuela, les processus de changement sont devenus
des caricatures de moins en moins défendables. Au Venezuela, Nicolás
Maduro se maintient au pouvoir au prix d’une répression croissante
malgré sa mise en minorité électorale et fait face à un effondrement
économique sans précédent, avec des conséquences dramatiques
pour les habitants, qui s’exilent massivement dans les pays voisins,
une crise liée à la gabegie gouvernementale, à l’incurie de la gestion
pétrolière, et aggravée par les sanctions de l’administration Trump.
Au Nicaragua, le gouvernement Ortega est dans une fuite en avant
autoritaire et népotique qui n’a plus grand-chose à voir avec les
espérances soulevées par la révolution sandiniste dans les années
quatre-vingt.

Les chancelleries occidentales poussent des cris d’orfraie sur
l’éviction de plusieurs opposants majeurs du scrutin présidentiel
vénézuélien considérée comme une mesure effectivement
antidémocratique, mais que dire de l’inéligibilité de Lula
prononcée par Sergio Moro, futur ministre de la Justice de son
opposant Bolsonaro et répondant à des critères plus politiques
que juridiques, comme l’ont confirmé depuis plusieurs enquêtes
journalistiques. Plus globalement, on parle de lawfare pour désigner
l’instrumentalisation et le détournement du système judiciaire
aux fins d’éviction d’opposants politiques, souvent dans le cadre
d’une médiatisation destinée à délégitimer la personnalité visée.
Ces pratiques sont également visibles au Pérou, au Guatemala, en
Équateur et témoignent d’un réel recul de la démocratie.
La plupart des conquêtes sociales des années progressistes,
celles du « virage à gauche » et de la référence à un « socialisme du
xxie siècle », ont été rognées voire laminées par les effets conjoints
de la crise économique et du retour de coalitions conservatrices
au pouvoir. Au Venezuela, face au cycle d’hyperinflation, le
gouvernement concentre son budget social sur l’octroi de paniers
d’alimentation basique à la population, une aide bien insuffisante
pour subsister dans cette crise. Au Brésil, les augmentations de
salaires des années Lula sont ruinées par les effets de la morosité
économique. Les mécanismes de démocratie participative ont
perdu de leur vitalité. Les institutions ayant conquis une autonomie
diplomatique à l’égard des États-Unis (UNASUR, CELAC)
sont vidées de leur substance par l’arrivée au pouvoir d’exécutifs
conservateurs. L’offensive diplomatique du président Trump et les
basculements de majorité ont réussi aujourd’hui à isoler ces régimes
qui avaient, il y a une dizaine d’années, fait l’inverse en isolant les
États-Unis en Amérique latine.

L’offensive du gouvernement Trump a évidemment des
répercussions dans l’aire latino-américaine. Même si ses menaces
militaires à l’égard du Venezuela sont peu crédibles, les sanctions
économiques sont réelles et ont un effet dramatique sur la
population. Le blocus contre Cuba se poursuit et est même renforcé
par l’activation du titre III de la loi Helms-Burton, qui stipule
que quiconque utilise les biens nationalisés en 1959 au moment
de la révolution cubaine serait passible de poursuites devant les
tribunaux états-uniens. Ces mesures anachroniques, qui visent
désormais les capitaux canadiens, mexicains ou européens investis
dans l’île, servent à mobiliser la bourgeoisie cubaine expropriée au
début des années soixante, vivant à Miami, pour emporter l’État
de Floride dans le cadre de l’élection présidentielle, fidèle à sa
stratégie d’agréger les secteurs les plus réactionnaires de la société
états-unienne. Les effets de la politique états-unienne sont visibles
aussi dans le chantage réalisé à l’encontre d’un des rares pays à
avoir basculé récemment à gauche, à contre-courant du reste du
sous-continent, le Mexique. Ce dernier devient le sous-traitant
du contrôle xénophobe des migrants centre-américains sous la
menace de droits de douane exorbitants. Le modèle de Donald
Trump est résolument une référence pour le président brésilien,
Jair Bolsonaro, insultant pour les classes populaires, les minorités
ethniques, les femmes, à rebours des aspirations d’émancipation
d’une large partie des peuples latino-américains.

Pour comprendre cet enlisement politique, il faut revenir aux
racines économiques du problème. Les gouvernements progressistes
ont capitalisé au maximum le boom des matières premières, ce
qui leur a permis de redistribuer des richesses aux plus modestes
sans s’en prendre aux possédants. Cet équilibre a été possible en
reprimarisant l’économie et en la rendant ainsi plus vulnérable aux
fluctuations des prix fixés sur le marché mondial. Ce modèle de
développement dit extractiviste, c’est-à-dire basé sur l’extraction de
matières premières, a des conséquences lourdes pour les conditions
de travail des salariés, les communautés indigènes qui vivent sur
place et l’environnement. Depuis 2014, avec la décrue des cours, la
crise économique frappe l’ensemble des États latino-américains avec
des amplitudes différentes et avec des conséquences dramatiques
pour les populations.

On aurait cependant tort de croire à une nouvelle hégémonie
des droites latino-américaines. Mauricio Macri fait face cet
automne à une élection présidentielle où il n’est pas le favori. Jair
Bolsonaro connaît des niveaux d’impopularité records face à ses
coupes budgétaires à l’université et à l’ensemble de ses frasques.
Des mouvements féministes massifs se développent dans le cône
Sud. Partout, des résistances s’organisent contre ces nouvelles
politiques. Espérons qu’elles soient en mesure d’infliger des défaites
aux nouveaux gouvernements de droite.
Thomas Posado, Michel Rogalski, Pierre Salama

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