Édition du 11 février 2025

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KENYA : La pauvreté et les inégalités en toile de fond des problèmes

Les violences post-électorales qui ont éclaté au Kenya ne sont pas que le fait d’un comptage frauduleux des voix ou des violences entre ethnies. Les causes sous-jacentes de ces manifestations sont la pauvreté, les inégalités et la disparité de la distribution des richesses dans ce pays d’Afrique de l’est.

"Nous devons nous attaquer aux problèmes fondamentaux qui sous-tendent ces troubles — comme parvenir à une distribution équitable des ressources — sinon nous serons de retour et au même point dans trois ou cinq ans", a déclaré dimanche l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, après un entretien avec des survivants et des victimes des troubles qui ont éclaté après les élections de décembre.

A ce jour, ces affrontements — qui ont éclaté dans plusieurs villes de la vallée du Rift, dans l’ouest du Kenya, et ailleurs dans le pays — auraient déjà fait près de 1.000 victimes et provoqué plus de 250.000 déplacés, selon diverses sources. Malgré la médiation de l’ex-secrétaire général de l’ONU et des engagements de la part des deux parties — le camp du président Mwai Kibaki (de l’ethnie Kikuyu) et celui de son opposant Raila Odinga (de l’ethnie Luo) —, l’intensité des affrontements ne semble pas diminuer.

"Décrire la situation comme une inimitié tribale est trop simpliste. L’accès à la terre, l’accès au logement ou à l’eau potable sont autant de problèmes réels qui apparaissent en toile de fond des violences et dont le détonateur aura été la dispute politique", explique un travailleur humanitaire danois, qui préfère garder l’anonymat. "Il y a une dimension de classe indubitable à ces troubles qui secouent la société kenyane", ajoute-t-il.

Millicent Ogutu, qui travaille pour un média installé dans la capitale kenyane Nairobi, constate que depuis plus de quatre semaines, "seule une catégorie de personnes a protesté contre ce scrutin pour dénoncer les fraudes : les plus pauvres parmi les pauvres, ceux qui n’ont pas de travail et ceux qui n’ont pas de terre", dit-il. "On ne voit que les membres d’une seule classe sociale commettre des violences et accumuler de la rancune contre les tricheries de comptage", ajoute-t-il.

Ces dernières semaines, des affrontements ont éclaté dans la capitale, dans les deux principaux bidonvilles de Nairobi : Kibera et Mathare. Dans les autres régions du pays, ce sont aussi des villes pauvres et misérables qui se sont embrasées, comme Kisumu, bastion de l’opposition dans l’ouest, et les villes d’Eldoret, Molo, Nakuru ou Naivasha, dans la Vallée du Rift.

"Avez-vous vu une personne de la classe moyenne ou une tribu crier des slogans contre Odinga ou Kibaki ?", demande Raphaël Karanja, qui est journaliste pour une radio locale. "Il s’agit seulement de gens qui avaient une confiance aveugle dans le pouvoir du scrutin et qui pensaient naïvement que leur vote pourrait apporter un changement de garde et des politiques économiques qui allégeront leurs difficultés de base — comme l’absence de terre, d’habitation ou d’eau potable — qui se sont insurgés", ajoute-t-il.

Dans les bidonvilles de Nairobi ou ailleurs dans le pays, la plupart des manifestants semblent appartenir aux ethnies Luo et Kalenjin, tandis que la majorité des victimes seraient des Kikuyus. Mais derrière cette simplification ethnique des combats, se cache en réalité une division profonde et historique des ressources et des richesses du Kenya.

"Le plus gros problème est la terre", confie un professeur d’économie à l’Université de Nairobi. Il souhaite conserver l’anonymat parce qu’il est employé par le gouvernement. "L’Etat a fait preuve d’une partialité flagrante en faveur d’une tribu lors de l’indépendance, lorsque les terres laissées par les Britanniques ont été distribuées au peuple. Les Kikuyus ont pu acheter la plupart des terres, y compris dans des régions qui n’étaient pas dominées par cette ethnie, parce qu’ils étaient majoritaires dans la première administration du président Jomo Kenyatta et qu’ils ont pu bénéficier de prêts", explique-t-il.

"Ils possèdent donc aujourd’hui de nombreuses terres, y compris dans la fertile Vallée du Rift, une région qui est la proie des violences après chaque scrutin depuis l’instauration du multipartisme en 1992 au Kenya — comme ce fut le cas cette année-là, mais aussi en 1997", constate le professeur.

Les élections du 27 décembre n’étaient pas les premières à être perçues comme truquées. Elles n’étaient pas non plus les premières à avoir conduit à des violences post-électorales. Des irruptions de violences tribales — principalement anti-Kikuyu — avaient éclaté également dans le déroulement des élections de 1992 et, sur une plus grande échelle, pendant et après les scrutins de 1997.

Outre la terre, l’accès au logement et aux ressources en eau sous-tend également ces violences. "Le fossé entre les riches et les pauvres s’est profondément amplifié au cours de la dernière décennie", déclare Ogutu. "La situation fait que même si un Kenyan moyen parvient à économiser pour construire sa maison, il est confronté à une série de tracasseries bureaucratiques et devra trouver toujours plus d’argent pour corrompre les officiels", ajoute-t-il.

Il n’y a pas de classe moyenne à Nairobi mais des bidonvilles, d’un côté, et des quartiers chics et riches, de l’autre. "Les riches sont devenus super riches et ont adopté une culture de consommation, en achetant des voitures de luxe et de grosses villas. Quelques pauvres ont pu s’en sortir, mais la plupart vivent dans un abîme économique et social", explique le professeur d’université.

Les pauvres ont cru que la démocratie et les élections les aideraient à accroître leur influence sur les politiques gouvernementales. A ce titre, Odinga représentait l’espoir parce qu’il se présentait comme le candidat du peuple et le champion des pauvres.


Source : http://ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=3952

NAIROBI, 29 jan (IPS) - © 2008 IPS Inter Press Service


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