Édition du 17 décembre 2024

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Économie

Journée internationale des luttes paysanne : Face à la guerre et à la crise, ECVC demande des actions en faveur de la souveraineté alimentaire

Cela fait longtemps que les institutions de l’UE ont n’ont pas réussi à relever les défis auxquels l’agriculture européenne est confrontée et les très graves fragilités des systèmes actuels de distribution, de transformation et de production des denrées alimentaires. Au lieu de cela, elles ont continué à insister sur le fait que le système actuel fonctionne, en soutenant les intérêts des grandes entreprises et en optant pour des solutions qui se sont révélées inefficaces, imprévisibles et qui n’offrent pas encore de résultats concrets.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Publié le 15 avril 2022

À :

Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen

Commissaire européen chargé du climat et vice-président exécutif de la Commission chargé du marché vert européen, Frans Timmermans

Commissaire européen au commerce, vice-président exécutif, président du groupe de commissaires pour une économie au service des citoyens, Valdis Dombrovskis

Commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski

Commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire, Stella Kyriakides

Commissaire européen à l’environnement, Virginijus Sinkevičius

Président de la République française, Emmanuel Macron

Ministre français de l’agriculture, Julien De Normandie

Membres du Parlement européen

Président du Conseil européen, Charles Michel

Copie aux citoyen.ne.s européen.ne.s

A l’approche de la Journée internationale des luttes paysannes du 17 avril, ECVC tient à exprimer sa tristesse et sa solidarité envers toutes les victimes de guerre en Ukraine et de conflits armés actuels ou récents, par exemple au Yémen, en Syrie, en Birmanie, en Libye, en Colombie, en Palestine, au Sahara occidental et bien plus encore. Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les paysan.ne.s de ces pays qui, malgré tout, continuent leur travail de production de nourriture pour les populations de leur région.

Ces guerres et conflits armés provoquent de terribles souffrances pour les populations civiles des pays concernés. Elles ont également des répercussions au niveau international, notamment en mettant en évidence les fragilités qui existent au sein des chaînes d’approvisionnement alimentaire et énergétique.

Cela s’ajoute aux crises sociales, environnementales et alimentaires urgentes et préoccupantes qui ont été mises en évidence et exacerbées par la pandémie de la COVID19 au cours des deux dernières années et continuent d’avoir des conséquences sur la sécurité alimentaire [1]. La société européenne a été soumise à des niveaux chroniques de destruction, notamment parce que les institutions internationales et les gouvernements nationaux n’ont pas réussi à résoudre de nombreux problèmes structurels au cours de l’histoire récente. Cela fait trop longtemps que l’on a laissé les intérêts de quelques puissants l’emporter sur les besoins et les priorités des citoyen.ne.s.

C’est pourquoi, dans le cadre de la Journée internationale des luttes paysannes, ECVC s’adresse aux décideurs politiques et aux entités institutionnelles pour exiger que le contrôle de nos systèmes alimentaires et de production soit remis aux mains de la population, sous la forme de la souveraineté alimentaire. Nous nous adressons également aux allié.e.s et aux citoyen.ne.s de l’Union Européenne en leur demandant d’exiger ce changement et une responsabilité pour l’avenir de nos systèmes alimentaires par le biais de politiques publiques.

La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et leur droit de définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les aspirations et les besoins de celles et ceux qui produisent, distribuent et consomment les aliments au cœur des systèmes et des politiques alimentaires, plutôt que les exigences des marchés et des entreprises. De plus, elle offre aux personnes et aux sociétés un contrôle direct et démocratique sur la manière dont elles se nourrissent et s’alimentent, sur la manière d’utiliser et de préserver la terre, l’eau et les autres ressources au profit des générations actuelles et futures, et sur la manière d’interagir avec d’autres groupes, peuples et cultures sur la base de la solidarité internationale. Malgré la tendance de plus en plus fréquente et dangereuse d’autres acteurs à détourner ce terme au profit de leur propre vision politique, la souveraineté alimentaire a été conceptualisée par La Via Campesina en 1996 et définie dans la déclaration Nyéléni [2] (un mouvement mondial composé d’organisations luttant pour la souveraineté alimentaire).

Le droit à la souveraineté alimentaire est reconnu par l’article 15 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales [3] (UNDROP) et l’UE doit faire davantage pour soutenir l’application de ce droit. En tant qu’organisation représentant les petit.e.s et moyen.ne.s agriculteur.trice.s à travers l’Europe, la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) saisit cette occasion pour aborder certaines des causes systémiques des problèmes agricoles sur lesquelles les institutions européennes doivent agir et sur lesquelles les citoyen .ne.s européen.ne.s doivent se mobiliser pour assurer la responsabilité et le changement. En tant que voix des petit.e.s agriculteur.trice.s, ECVC expose dans cette lettre sa vision de la production alimentaire durable pour l’avenir, et réaffirme que pour réaliser cette vision, nous devons reconstruire la souveraineté alimentaire en Europe à travers à l’agroécologie, en assurant des revenus équitables pour les agriculteur.trice.s et travailleur.euse.s agricoles et garantir un accès à la terre, au marché et aux ressources pour les petit.e.s et moyen.ne.s agriculteur.trice.s.

Souveraineté alimentaire : une réponse de solidarité internationale à la crise multidimensionnelle actuelle

La croyance que le commerce international peut assurer la sécurité alimentaire a longtemps été le mantra de l’Union Européenne et a façonné sa politique agricole. En tant qu’ECVC, nous avons constamment dénoncé cette idée fausse et exigé, dans le cadre d’une évolution globale vers la souveraineté alimentaire, la relocalisation des systèmes alimentaires par des mesures qui soutiennent les petit.e.s paysan.ne.s au lieu de les mettre en concurrence avec la production industrielle importée et bon marché à l’échelle mondiale.

Les politiques néolibérales internationales ont poussé tous les pays à se spécialiser dans la production de ce qu’ils peuvent le mieux exporter, au lieu de garantir une base stable de production alimentaire pour nourrir leur propre population. Plus de 50 pays dépendent désormais fortement des importations de blé et de céréales et risquent de souffrir d’insécurité alimentaire à cause d’une forte vulnérabilité à l’inflation des prix alimentaires. Nous considérons que l’UE est la principale responsable de cette situation car elle n’a cessé de faire pression au sein de l’OMC par le biais d’accords bilatéraux de libre-échange, pour donner un meilleur accès au marché aux entreprises agroalimentaires européennes, pour démanteler les stocks alimentaires publics et pour réduire la réglementation du marché qui pourrait garantir des prix équitables pour les petit.e.s agriculteur.trice.s.

Cela se traduit par des mécanismes de spéculation et des stocks alimentaires privés qui entraînent une volatilité des prix sur les marchés internationaux et remettent en question l’avenir des approvisionnements alimentaires. Même dans cette situation de guerre, les stocks mondiaux de blé et de céréales ne justifient pas une augmentation aussi rapide des prix.

ECVC défend un commerce qui respecte et protège les moyens de subsistance des agriculteur.trice.s dans chaque pays et/ou territoire comme un pilier pour assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire des communautés, des pays et des unions de pays ainsi qu’au niveau mondial.

La souveraineté alimentaire : La meilleure manière d’avancer au sein de l’Union Européenne

La souveraineté alimentaire n’est pas seulement une réponse solide et prouvée à la crise que connaissent les pays à faible revenu en ce moment. C’est aussi l’action la plus adéquate pour les agriculteur.trice.s, les travailleur.euse.s agricoles et non agricoles, les citoyen.ne.s, les consommateur.trice.s et l’environnement au sein de l’Europe.

En appliquant la souveraineté alimentaire, l’UE peut garantir un engagement continu en faveur de la résolution des crises environnementales et sociales actuelles auxquelles elle est confrontée. Une véritable transition agroécologique offre une énorme opportunité de réduire les émissions de gaz à effet de serre [4], d’augmenter les revenus des agriculteur.trice.s et des populations rurales qui se trouvent sous le seuil de pauvreté et de garantir la sécurité alimentaire au sein de l’UE. Toutefois, cela nécessite un changement systémique et de paradigme, et non la promotion de pratiques agroécologiques isolées à mettre en œuvre au sein de systèmes qui ne sont pas viables sur le plan social et environnemental.

Pour réaliser ces changements, tant au sein de l’UE qu’au niveau international, ECVC suggère que les mesures suivantes soient prises :

Garantir des prix qui couvrent les coûts de production et qui assurent un revenu équitable aux agriculteur.trice.s et aux travailleur.euse.s agricoles : Un revenu équitable doit être assuré par des mesures de régulation du marché. Les agriculteur.trice.s doivent se voir garantir des prix qui couvrent les coûts d’une production saine et durable, y compris la garantie de salaires et de conditions de travail équitables pour les travailleur.euse.s agricoles employé.e.s dans les exploitations. Il devrait être interdit d’acheter aux agriculteur.trice.s des produits en dessous des coûts de production. Pour cela, nous encourageons les États membres de l’UE à poursuivre leur travail sur la traduction nationale de la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales. La loi adoptée en Espagne [5] en janvier 2022 en est un exemple positif. En attendant, les subventions de la PAC devraient être distribuées sur la base du travail réel des agriculteur.trice.s au lieu d’utiliser le système actuel basé sur les hectares et conformément au principe de conditionnalité sociale, respectant les droits sociaux et du travail des travailleur.euse.s agricoles.

Assurer un cadre politique solide pour faire face et être mieux préparé en cas de crise alimentaire. ECVC se félicite de la création du mécanisme européen de préparation et de réponse aux crises de sécurité alimentaire (EFSCM). Face à une crise multidimensionnelle, il est crucial que l’UE valorise davantage le rôle clé des 10 millions de petit.e.s paysan.ne.s européen.ne.s pour assurer la souveraineté et la sécurité alimentaires et l’unité des sociétés européennes. ECVC soutient la création de stocks alimentaires publics stratégiques au niveau national dans chaque État membre de l’UE ainsi que d’un mécanisme de coordination européen.

Reconsidérer l’effet des positions de l’UE dans les négociations commerciales internationales et opérer un changement radical vers la souveraineté alimentaire. L’UE devrait évaluer de toute urgence le rôle terrifiant que joue la spéculation dans l’augmentation des prix alimentaires et prendre des mesures courageuses pour empêcher la spéculation sur les matières premières agricoles. L’UE devrait mener des négociations au sein du Comité des problèmes de marchandises de la FAO avec les pays à faible revenu qui sont dépendants des importations afin de garantir que la production céréalière européenne parvienne à ces pays à un prix équitable.

Retirer l’agriculture des ALE et de l’OMC, faisant de la souveraineté alimentaire la priorité de l’alimentation, l’agriculture et les politiques commerciales internationales Européenne : ECVC souligne que la nourriture, en tant que droit humain fondamental, ne peut être traitée comme une marchandise. L’agriculture doit donc être retirée des ALE et nous devons reconnaître que l’OMC n’est pas l’espace approprié pour parler des problèmes d’alimentation et d’agriculture. Nous demandons aussi à l’UE d’accorder une plus grande priorité aux espaces multilatéraux et démocratiques de l’ONU, tels que le Comité de la sécurité alimentaire et la FAO, afin de construire une coopération et une solidarité internationales en faveur de la souveraineté alimentaire.

Garantir un accès à la terre : ECVC rejette avec véhémence la spéculation sur les terres et les ressources agricoles et demande que des législations soient mises en place au niveau européen pour y mettre fin. ECVC travaille elle-même sur une proposition de directive sur la manière de régir le régime foncier au niveau européen afin de garantir le respect des droits des paysan.ne.s et des communautés rurales, conformément à l’UNDROP.

Mettre en place des politiques publiques pour faciliter une transition vers l’agroécologie paysanne et une autonomie accrue dans les processus agricoles : Malheureusement, la crise du climat et de la biodiversité n’a pas soudainement disparu avec la guerre en Ukraine. Face aux conséquences mondiales de notre dépendance à l’égard de la politique d’exportation et d’importation de produits alimentaires, dans la conjoncture politique actuelle, nous dépendons des engrais synthétiques de Russie et des cultures céréalières importées de Russie et d’Ukraine. L’Europe doit soutenir des modèles de production basés sur une plus grande autonomie. L’agriculture diversifiée combinant l’élevage et les cultures mixtes est la meilleure option tant en termes d’autonomie que pour l’environnement. C’est pourquoi, plus que jamais, ECVC appelle l’UE à progresser dans la mise en œuvre des objectifs de la stratégie « de la ferme à la table » (réduction de l’utilisation des pesticides, des engrais chimiques, des antibiotiques, etc.)

Un engagement continu pour faire véritablement face à la crise environnementale : Une véritable transition agroécologique offre une énorme opportunité de réduire les émissions de gaz à effet de serre : plusieurs études [6] montrent que l’absorption des gaz à effet de serre par le sol est beaucoup plus efficace lorsqu’il est travaillé selon les principes de l’agroécologie. Cependant, l’UE ne peut se contenter de promouvoir des pratiques agroécologiques isolées en les cochant dans une liste (comme c’est le cas dans le dossier de l’agriculture carbone, par exemple) sans garantir le changement systémique et contextuel nécessaire pour les rendre efficaces.

Cela fait longtemps que les institutions de l’UE ont n’ont pas réussi à relever les défis auxquels l’agriculture européenne est confrontée et les très graves fragilités des systèmes actuels de distribution, de transformation et de production des denrées alimentaires. Au lieu de cela, elles ont continué à insister sur le fait que le système actuel fonctionne, en soutenant les intérêts des grandes entreprises et en optant pour des solutions qui se sont révélées inefficaces, imprévisibles et qui n’offrent pas encore de résultats concrets.

À ce dangereux carrefour de l’histoire européenne, cette approche devient de plus en plus irresponsable et irrévocable. Les défis environnementaux, sociaux et économiques en Europe ne se sont pas améliorés mais ont plutôt empiré et nous ne pouvons plus faire confiance à de fausses solutions à court terme.

Face à la preuve évidente des énormes failles du système actuel, encore révélées par la guerre en Ukraine et par la pandémie de la COVID19, il est temps d’agir.

ECVC exhorte les décideurs politiques à agir pour assurer l’application de cette vision systémique de la souveraineté alimentaire et demande aux allié.e.s et aux citoyen.ne.s de l’Union européenne d’exiger le changement et une responsabilité pour l’avenir de nos systèmes alimentaires par le biais de politiques publiques. C’est une question de droits humains, de droits des paysan.ne.s et de droits des citoyen.ne.s qui ne peut plus être ignorée.

[1] Voix des Communautés : de la COVID-19 à la transformation radicale de nos systèmes alimentaires https://www.csm4cfs.org/fr/csm-global-synthesis-report-covid-19/

[2] Déclaration du Forum sur la Souveraineté Alimentaire, Nyéléni 2007, https://nyeleni.org/spip.php?rubrique1

[3] Déclaration des Nation Unies sur les Droits des paysan·ne·s et Autres Personnes Travaillant dans les Zones Rurales https://viacampesina.org/wp-content/uploads/2020/04/UNDROP-Book-of-Illustrations-l-FR-l-Web.pdf

[4] Agroécologie et neutralité carbone en Europe à l’horizon 2050 : quels enjeux ? https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/etude/agroecologie-et-neutralite-carbone-en-europe-lhorizon-2050-quels

[5] Communiqué de presse de La Coordinadora de Organizaciones de Agricultores y Ganaderos (COAG), http://coag.chil.me/post/tras-la-aprobacion-definitiva-de-la-ley-de-cadena-alimentaria-en-el-congreso-coa-371449

[6] Agroécologie et neutralité carbone en Europe à l’horizon 2050 : quels enjeux ? https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/etude/agroecologie-et-neutralite-carbone-en-europe-lhorizon-2050-quels

La Journée internationale des luttes paysannes est célébrée le 17 avril, pour commémorer le massacre de paysans et paysannes sans terre en 1996 à Eldorado dos Carajás, au Brésil, qui luttaient pour une réforme agraire complète. C’est un exemple tragique des innombrables luttes paysannes du monde entier qui se battent chaque jour pour continuer à nourrir la planète.

https://viacampesina.org/fr/17-avril-2022-face-a-la-guerre-et-a-la-crise-ecvc-demande-des-actions-en-faveur-de-la-souverainete-alimentaire/

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