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Planète

Jour du dépassement : Ou comment se protéger de l’illusion de l’action individuelle

Ce mercredi 2 août 2017, nous avons atteint le jour du dépassement, c’est-à-dire la date à laquelle l’humanité a consommé les ressources que la Terre peut produire en une année. Au-delà de cette date, nous allons donc puiser de manière irréversible dans les réserves naturelles de la Terre. |1|

4 août par Olivier Bonfond

Au-delà de la méthode utilisée pour arriver à ce résultat et de sa validité, une chose frappe nos esprits : selon la plupart des médias, mais aussi beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux, nous serions toutes et tous responsables de cette catastrophe écologique. Il reviendrait donc à chacun-e de nous, individuellement, de faire des efforts pour diminuer l’empreinte écologique de l’humanité. Et c’est bien ici que le bât blesse …

Bien sûr, des efforts importants peuvent et doivent être faits au niveau individuel pour participer à la lutte contre la destruction de l’environnement et le changement climatique : consommer moins et consommer équitable, trier ses déchets, prendre le train plutôt que la voiture, etc. Ces actions sont utiles et nécessaires, et il faut tout faire pour qu’elles se généralisent. Cependant, réduire l’écologie à une question de pratiques individuelles constitue une grave erreur. Les changements de comportements individuels, aussi important soient-ils, ne seront pas capables d’inverser les tendances actuelles, pour plusieurs raisons.

Premièrement, les principaux responsables de la destruction de l’environnement, ce ne sont pas les individus mais bien les grandes entreprises capitalistes, via leurs modes de production, mais aussi via les contraintes qu’elles nous imposent en matière de consommation |2|. Selon un rapport de l’ONU de 2011, trois mille entreprises provoquent pour plus de 2.000 milliards USD de dégâts environnementaux chaque année, soit le tiers de la totalité des « coûts environnementaux » annuels. Autre chiffre frappant : nonante entreprises sont responsables à elles seules de plus de 63 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1850 |3|.

Deuxièmement, tous les êtres humains ne consomment et ne polluent pas de la même manière. La majorité des individus de cette planète ne détruit pas les forêts, n’anéantit pas les espèces animales en danger, ne pollue pas les rivières et les océans et, pour l’essentiel, n’émet pas de gaz à effet de serre. Les trois milliards de personnes « pauvres » ont un mode de vie globalement soutenable. Elles peuvent parfois avoir tendance à détruire leur environnement et surexploiter les ressources, mais en général, elles le font parce qu’elles y sont poussées par un contexte économique qui les met dans une situation de précarité extrême ou tout simplement de survie. Par contre, les 10 % les plus riches de la planète sont responsables de la moitié des émissions de CO2, et une personne faisant partie des 1 % les plus riches du monde génère 175 fois plus de CO2 qu’une personne située dans les 10 % les plus pauvres |4|. De la même manière, une étude réalisée par deux économistes français, Lucas Chancel et Thomas Piketty, a montré qu’en moyenne, un Nord-Américain émet 22,5 tonnes d’équivalent CO2 par an, tandis qu’un Africain en émet 2,2 tonnes, soit environ dix fois moins. Mais un Américain du Nord aisé émet dans sa vie mille fois plus de gaz à effet de serre qu’un Africain pauvre |5| ... Il est donc absurde et indécent de prôner la décroissance de manière identique pour toutes les populations.

Troisièmement, l’empreinte écologique d’une société n’est pas qu’une question de choix individuels. La manière dont s’organise la redistribution des richesses produites, les contraintes en matière de processus de production, mais aussi le niveau de revenus, l’accès à un logement de qualité, l’existence de transports publics accessibles et efficaces, de systèmes collectifs de tri et recyclage des déchets, de réseaux de circuits courts distribuant de la nourriture locale et biologique, sont autant de facteurs qui vont influencer fortement les structures de consommation et l’empreinte écologique d’une société.

Conclusion

Cette date a le mérite de mettre en évidence le caractère clairement insoutenable du modèle capitaliste occidental. En effet, généraliser les modes de production et de consommation de l’Union européenne à l’ensemble de la planète nécessiterait en termes de ressources environ cinq planètes Terre.

Il s’agit cependant de dénoncer le discours qui individualise - et donc dépolitise - la question écologique, c’est-à-dire qui se contente de culpabiliser les individus sans remettre en question les mécanismes économiques qui sont à l’origine de la destruction de l’environnement.

Certes, des milliers de personnes et collectivités prennent conscience de l’importance de la question écologique et développent plein d’idées et d’initiatives géniales pour diminuer leur empreinte écologique, et il est fondamental de les rendre visibles, de les soutenir et de les renforcer. Mais cela ne peut nous dispenser de réfléchir à des alternatives politiques, impliquant une redistribution radicale des richesses et des changements profonds dans nos modes de production, de distribution et de consommation.

Olivier Bonfond |6|

Notes

|1| Cette analyse s’insprire largement du livre IL FAUT TUER TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Editions du Cerisier, 2017) (proposition 130 : se protéger de l’illusion de l’action individuelle) voir : www.ilfauttuertina.net/livre/

|2| Lire VIVAS Esther, « Nous mangeons ce que les grandes entreprises agroalimentaires nous imposent », CADTM, 24 septembre 2011.

|3| BONNEUIL Christophe, « Tous responsables ? », Le Monde diplomatique, novembre 2015.

|4| « Inégalités extrêmes et émissions de CO2 », Oxfam, 2 décembre 2015.

|5| VALO Martine, « Les plus pauvres émettent deux mille fois moins de gaz à effet de serre que les plus riches », Le Monde, 3 novembre 2015.

|6| Economiste ; conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot) ; membre du CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission internationale pour la Vérité sur la dette publique grecque. Militant altermondialiste ; Auteur du livre IL FAUT TUER TINA (Editions du Cerisier, 2017) et de Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012). Il est également coordinateur du site www.bonnes-nouvelles.be

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