Dans sa chronique hebdomadaire parue dans l’édition du Devoir des 23 et 24 mars, Jean-François Lisée commet un article polémique. En effet, il s’en prend à la caricature de Serge Chapleau parue dans l’édition de mercredi le 20 mars, laquelle vise assez cruellement l’actuel premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Lisée pointe l’utilisation par le caricaturiste d’un vampire inspiré d’une illustration du film "Nosferatu" (1922) en soulignant que "les nazis avaient utilisé la même imagerie dans leurs campagnes antisémites." Il continue en affirmant qu’"il existe un champ lexical et iconographique entourant la Shoah, qui est radioactif." Il termine sa chronique en admettant que "même si le peuple juif n’a pas le monopole de la souffrance, comme le disait Yves Michaud, la Shoah occupe une place à part dans l’échelle historique de la barbarie."
Il se déclare contre la censure et en faveur de la liberté d’expression qui "ne doit pas se heurter à un inexistant droit de ne pas être offensé." Il continue en affirmant que : "Parmi les gens sensés-et dans les grands quotidiens-, l’antisémitisme, comme toute expression de racisme, dépasse les bornes."
La position assez alambiquée de Lisée me semble résumer celle des bien-pensants occidentaux au sujet d’Israël. Il se déclare contre la censure mais avec des réserves, surtout en ce qui concerne les Juifs. Ils ont tellement souffert dans le passé, n’est-ce pas, que ce serait de la diffamation à leur endroit de la part d’un caricaturiste, par exemple, d’utiliser, pour stigmatiser la politique brutale et sanguinaire de Netanyahou et consorts à Gaza, l’illustration d’un film plus tard instrumentalisée par les nazis. Admettons que le choix de Chapleau n’était pas de très bon goût. Et pourtant... Même s’ils on atteint des sommets inégalés dans l’horreur, les nazis ne sont pas les premiers ni les derniers salauds à avoir existé. Ils ont disparu depuis 1945, à quelques nazillons près, peut-être. D’autres saligauds sont encore dangereusement vivants.
Réglons dès le départ une question centrale : les Juifs ne forment pas une "race", mais les adhérents et adhérentes à une religion. On compte même des juifs éthiopiens. On peut donc légitimement poser la question suivante : si les nazis, au lieu d’exterminer six millions de Juifs européens, avaient éliminé autant de Juifs noirs en Afrique, la réaction des Occidentaux aurait-elle été la même ? Gît là une dimension du problème toujours ignorée. Il vaudrait mieux parler d’antijudaïsme que d’antisémitisme.
Mais continuons tout de même sur la lancé e du racisme. Les Palestiniens et leurs combattants (ceux-ci toujours qualifiés de "terroristes") ont longtemps été dénigrés par les classes politiques occidentales. Lisée, à la suite des responsables israéliens, accuse les maquisards du Hamas de se servir des civils comme boucliers humains pour se mettre à l’abri des bombardements aériens israéliens. C’est la guérilla, l’arme du faible contre le fort. Durant la Seconde guerre mondiale, durant l’Occupation, est-ce que les maquisards français affrontaient la Wehrmacht en rase campagne ? Donner priorité à l’anéantissement du Hamas au détriment de la vie des civils Gazaouis constitue en soi un crime de guerre. Si les guérilleros du Hamas avaient massacré trente mille citoyens israéliens, on hurlerait à une nouvelle Shoah.
Au lieu de quoi, les classes politiques occidentales dans leur ensemble, et en particulier l’américaine, se contentent de réactions assez faibles, exhortant Netanyahou à la modération et d’exhortations à ne pas lancer un assaut final contre Gaza City ; elles essaient tout, sauf les seules mesures susceptibles de faire entendre raison au cabinet israélien : la menace de mesures de rétorsion économiques et militaires, ce qui serait considéré comme un sacrilège par les gouvernements alliés d’Israël. Et tant pis pour les multiples victimes gazaouies.
Pour résumer beaucoup, depuis le début formel du conflit israélo-palestinien, des dizaines de milliers de Palestiniens et de Palestiniennes ont été tués par l’armée de Tel-Aviv, sans que cela n’incite les responsables occidentaux à faire efficacement pression sur leur protégé afin qu’il négocie de bonne foi avec les représentants du peuple opprimé. Il y a une bonne raison à cela : le racisme anti-arabe en général et anti-palestinien en particulier de la part des "élites" politiques occidentales dans l’ensemble.
Il existe une forme de censure plus insidieuse et plus efficace que le dénigrement ouvert : celle du silence. Je fais référence ici au cinéma hollywoodien. Jamais un film sorti de "l’usine à rêves d’Hollywood" n’a dénoncé la tragédie subie par le peuple palestinien. Bien au contraire, quelques films ("Victoire à Entebbe", "Raid sur Entebbe", "Munich") présentaient les résistants palestiniens comme des "terroristes", autrement dit les criminalisaient. Aucun film hollywoodien n’a jamais été produit sur les massacres de Sabra et Chatila. Qu’en sera-t-il de l’actuel conflit israélo-gazaoui ? Si le passé est garant de l’avenir...
Qu’est-ce qui est le plus odieux ? Une caricature sortie dans un journal ou l’utilisation sans vergogne par les sionistes de la mémoire des innombrables victimes de l’Holocauste pour légitimer l’État hébreu et ses tueries de Palestiniens et de Palestiniennes au nom du droit à l’autodéfense ? Le vrai scandale est là, d’autant plus que le peuple palestinien n’a rien eu à voir avec l’antijudaïsme occidental, qui a connu l’aboutissement que l’on sait. Jean-François Lisée ne paraît non plus pas très choqué que des ministres israéliens souhaitent ouvertement la disparition des Palestiniens.
On ne peut être en même temps pour et contre la censure : en faveur (du moins dans une certaine mesure) au nom du respect du à la mémoire des victimes de l’Holocauste et contre au nom du libéralisme Lisée aurait-il dénoncé une caricature du défunt Yasser Arafat le dépeignant comme un odieux terroriste ?
Jean-François Delisle
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