Édition du 17 décembre 2024

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Israël - Palestine

Israël interdit Al Jazeera afin de cacher la réalité de plus en plus embarrassante que cette chaîne dévoile

Ovide Bastien, professeur à la retraite, Collège Dawson

Le 5 mai, le gouvernement israélien ferme les bureaux d’Al Jazeera en Israël, confisque son matériel de diffusion, coupe cette chaîne de télévision des compagnies de câble et de satellite et bloque ses sites web.
Le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou justifie ce geste en déclarant qu’Al Jazeera agit comme «  porte-parole du Hamas, incite à la violence contre ses soldats, et porte atteinte à la sécurité d’Israël ».

Le 6 mai, le Hamas étonne le monde en annonçant qu’après de nombreuses semaines de négociations ardues, il accepte finalement une proposition de cessez-le-feu égypto-qatarie pour Gaza. Le lendemain, Nétanyahou annonce que la proposition ne rencontre pas ses exigences et que l’armée israélienne va envahir Rafah «  afin d’éliminer complètement le Hamas ».

Le 8 mai, le secrétaire américain à la défense Lloyd Austin annonce que les Etats-Unis, en désaccord avec la décision d’Israël d’envahir Rafah, suspendent la livraison de milliers de grosses bombes à Israël.
Se pourrait-il que la pression énorme provenant des milliers d’étudiants qui manifestent dans de nombreuses universités aux Etats-Unis, appelant à un cessez-le-feu et au désinvestissement de leurs institutions de toute entreprise livrant des armes à Israël, commence à porter fruit ? Même si ces manifestants sont qualifiés par Nétanyahou « d’antisémites et ennemis d’Israël » et même « de nazis » ?

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Avant le début novembre dernier, j’obtenais mon information au sujet de l’invasion de Gaza par Israël, déclenchée à la suite de l’attaque du Hamas le 7 octobre, uniquement de médias comme le Devoir, Radio-Canada, CBC, le Guardian, El País, et BBC.

C’est grâce à Nadia Kanji, une étudiante du profil Les Études Nord-Sud du Collège Dawson que j’accompagnais lors du stage étudiant au Nicaragua en décembre 2010, que j’ai commencé à suivre aussi la chaîne de télévision Al Jazeera.
J’y suis devenu rapidement accro.

«  Ovide, je réside présentement aux États-Unis et travaille pour l’émission Upfront d’Al Jazeera, » m’écrit-elle octobre dernier. « Voici le lien où tu pourras visionner notre dernier épisode. » 

J’ouvre le lien. La qualité de cet épisode m’impressionne. Le reporter Marc Lamont interroge, pendant une demi-heure et sans annonce aucune, l’auteur d’un livre sur la question palestinienne.

Je décide de consulter le programme régulier d’Al Jazeera.

Je suis étonné de voir la qualité de sa couverture de la guerre à Gaza. Celle-ci dépasse, et de beaucoup, à la fois en profondeur et étendue, celle de toutes les autres sources que je consultais auparavant. En plus, je suis agréablement surpris de voir qu’il est possible de visionner toute la programmation en direct sur Internet, et ce gratuitement et avec fort peu d’annonces.

Je découvre éventuellement qu’Al Jazeera a plusieurs émissions-débats, de qualité similaire à Upfront – The Bottom Line, Inside Story, Listening Post, Witness, etc. – ainsi que plusieurs excellents documentaires. Ces émissions et documentaires portent sur les principaux sujets de l’actualité internationale, mais la question palestinienne, sans doute à cause de la guerre en cours, occupe la place d’honneur.

L’expertise des reporters qui animent ces émissions ainsi que leur maitrise de l’anglais m’étonnent. M’impressionnent aussi la diversité et grande compétence des personnes invitées à participer aux débats. Il n’est pas rare de voir parmi celles-ci des Juifs critiques du sionisme comme les historiens Norman Finkelstein et Ilan Pappé, l’autrice et activiste canadienne Naomi Klein, l’ex-négociateur israélien dans le cadre du processus de paix d’Oslo Daniel Levy, et l’écrivain israélien et membre de la direction du quotidien Haaretz Gideon Levy. Apparaissent aussi régulièrement de hauts placés, actuels ou passés, de divers gouvernements. Des États-Unis, du Royaume-Uni, et de divers pays arabes, mais aussi, assez étonnamment, du gouvernement israélien lui-même et de militaires des forces armées israéliennes.
Bien qu’Israël n’autorise aucun journaliste étranger à entrer dans la bande de Gaza à moins qu’il ne soit intégré à son armée, Al Jazeera a de nombreux reporters palestiniens là. Ces derniers, peu étonnamment, soulignent que leurs reportages proviennent d’un territoire occupé et s’acharnent à documenter méticuleusement la guerre, présentant au monde entier des images de chaque bombardement occasionnant la destruction massive de résidences, d’hôpitaux, d’universités, de mosquées, etc., de chaque carnage (présentement il y a 34 900 morts, 70% femmes et enfants, et 78 200 blessés), d’enfants affamés (31 en sont morts jusqu’à maintenant) par le blocage systématique d’aide humanitaire à Gaza, de fosses communes (celle découverte à l’hôpital Nasser, le principal établissement médical du centre de Gaza, contenait près de 400 cadavres)...

Ces images difficiles à regarder incommodent énormément le gouvernement Nétanyahou. Non seulement sapent-elles sa crédibilité lorsqu’il affirme faire tout ce qui est humainement possible afin de limiter le nombre de victimes civiles, mais elles noircissent aussi substantiellement son image dans l’opinion publique internationale.

Le simple fait que plus de 140 journalistes et employés des médias aient été tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023 démontre le courage impressionnant dont ils font preuve. Mais aussi, malheureusement, la grande détermination du gouvernement israélien à faire taire leurs voix.

Doit-on vraiment s’étonner de voir le gouvernement Nétanyahou procéder à l’interdiction d’Al Jazeera en Israël ?

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