Édition du 12 novembre 2024

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Plan de « paix » israélo-palestinien de Trump

Israël-Etats-Unis : Le plan de « paix » israélo-palestinien de Trump viole le droit international

Le tant entendu « accord du siècle » de Donald Trump entre Israël et la Palestine donne, en substance, au gouvernement de coalition d’extrême droite d’Israël tout ce qu’il voulait. Cet accord de « paix » au Moyen-Orient permet à Israël d’annexer de vastes étendues de la Cisjordanie palestinienne (qui est sous occupation militaire israélienne depuis 1967) à Israël, y compris toutes les colonies juives illégales dans les zones colonisées par des colons israéliens ainsi que Jérusalem-Est arabe et la vallée du Jourdain. Les Palestiniens se verraient accorder une autonomie limitée dans une série d’enclaves largement urbaines entourées par les frontières élargies d’Israël, Israël contrôlant toujours les frontières palestiniennes, l’immigration, la sécurité, l’espace aérien, les aquifères et le spectre électromagnétique.

Tiré de À l’encontre.

[Cet article aborde « L’accord du siècle » présenté par Trump dans le contexte de la politique bipartisane étasunienne. Il fait suite, sur ce site, à l’analyse détaillée du document de 181 pages censé en exposer tous les contours et de la prise de position de l’organisation israélienne de défense des droits humains : B’tselem – Réd. A l’Encontre.]

En effet, la proposition de Trump pour Israël et la Palestine ressemble remarquablement au célèbre système de bantoustans de l’Afrique du Sud de l’apartheid.

La Charte des Nations unies et les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations unies – qui, selon les administrations américaines précédentes, devaient constituer la base d’un règlement de paix – interdisent explicitement à toute nation d’étendre son territoire par la force militaire. Mais la proposition de Trump permet à Israël de faire exactement cela.

En outre, la quatrième Convention de Genève [du 12 août 1949 : elle doit assurer la protection des civils, notamment en territoire occupé] interdit à toute puissance occupante de transférer sa population civile sur des territoires saisis par la force militaire. Les résolutions 446, 452, 465, 471 et 2234 du Conseil de sécurité des Nations unies ont explicitement reconnu l’application de la quatrième Convention de Genève aux territoires occupés par Israël, tout comme une décision historique, en 2004, de la Cour internationale de justice [qui siège à La Haye].

Trump insiste maintenant sur le fait que l’occupation illégale de ces territoires par Israël est, en fait, légale.

La proposition a été saluée non seulement par le Premier ministre israélien de droite Benyamin Netanyahou, qui est actuellement inculpé de multiples chefs d’accusation de corruption, mais aussi par son rival supposé plus « modéré », Benny Gantz [de la Coalition Bleu et Blanc], qui a qualifié le plan de Trump de « jalon important et historique » et « immédiatement après les élections [du 2 mars 2020], je m’emploierai à le mettre en œuvre ».

Tous les Israéliens n’ont cependant pas été favorables. Le 28 janvier 2020, Hagai El-Ad, directeur exécutif de l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem, a fait remarquer que l’avenir des Palestiniens dans le cadre du plan « n’implique ni des droits ni un Etat, mais un Etat permanent d’Apartheid. Aucun volume de marketing ne peut effacer cette infamie ou estomper les faits. »

De même, Nimrod Novik [du Israël Policy Forum], ancien assistant du Premier ministre israélien Shimon Peres [1923-2016], qui fut engagé dans des années de « négociations » avec les Palestiniens, a déclaré : « C’est pire que tout ce que nous pouvions prévoir. »

Le plan de Trump donne essentiellement le feu vert à l’annexion unilatérale par Israël de vastes étendues de territoire occupé, ce qui devrait susciter une condamnation mondiale, mais l’administration Trump a promis de mettre son veto à toute initiative aux Nations unies visant à critiquer une violation aussi flagrante de la Charte des Nations unies.

Pendant ce temps, les démocrates américains sont divisés. Le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, Eliot Engel (démocrate, New York), a commenté positivement la proposition [de Trump et Jared Kushner]. La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (démocrate, Californie), a déclaré qu’il y avait « quelques points de consensus » dans le plan de Donald Trump, ajoutant : « S’il y a une possibilité de paix, nous voulons lui donner une chance. »

En revanche, la sénatrice Elizabeth Warren (démocrate, Massachusetts) a condamné cette initiative sur Twitter :

« Le “plan de paix” de Trump entérine l’annexion et n’offre aucune chance pour un véritable Etat palestinien. Publier un plan sans négocier avec les Palestiniens n’est pas de la diplomatie, c’est une imposture. Je m’opposerai à l’annexion unilatérale sous quelque forme que ce soit – et je renverserai [elle est candidate à l’élection présidentielle parmi les démocrates] toute politique qui la soutiendrait.

De même, le sénateur Bernie Sanders (indépendant, Vermont), candidat à la présidence, a fait remarquer que :

« Tout accord de paix acceptable doit être conforme au droit international et aux multiples résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Il doit mettre fin à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 et permettre l’autodétermination des Palestiniens dans un Etat indépendant, démocratique et économiquement viable qui leur est propre, aux côtés d’un Israël sécurisé. Le prétendu “accord de paix” de Trump est loin d’être satisfaisant et ne fera que perpétuer le conflit. Il est inacceptable. »

Ces critiques constituent un changement par rapport aux précédents candidats démocrates à la présidence. La candidate démocrate de 2016, Hillary Clinton, a fait référence à plusieurs reprises à des parties de la Cisjordanie occupée comme étant « Israël ». Elle s’est livrée à des séances de photos dans les colonies israéliennes. Elle a attaqué la Cour internationale de justice pour sa décision quasi unanime (à l’exception du juge nommé par les Etats-Unis) selon laquelle l’annexion de facto de la Cisjordanie par Israël pour y incorporer des colonies illégales était une violation de la quatrième Convention de Genève. De même, le candidat démocrate de 2004 et ancien secrétaire d’Etat John Kerry a insisté pour que les questions concernant les violations israéliennes du droit humanitaire international en Cisjordanie occupée soient traitées par les tribunaux nationaux israéliens, reconnaissant ainsi, effectivement, la souveraineté israélienne.

La plate-forme démocrate de 2016 ne critiquait ni ne mentionnait même l’occupation israélienne et les colonies illégales. En fait, la plate-forme évaluait les mises en question lancées par les Nations unies et d’autres organisations de l’occupation et aux colonies comme des efforts visant à « délégitimer Israël ».

La plate-forme déclarait que Jérusalem « devrait rester la capitale d’Israël », sans rien dire des aspirations des Palestiniens à ce que la ville serve également de capitale à leur pays. La plate-forme a également fait l’éloge de la supposée « démocratie, égalité, tolérance et pluralisme » d’Israël – ce qui constituerait une nouvelle pour les Palestiniens de Cisjordanie occupée qui sont contraints de vivre dans des enclaves surpeuplées entourées de colonies israéliennes et de campements militaires, et dont les maisons ainsi que les terres agricoles sont, à maintes reprises, rasées et détériorées. Ces Palestiniens qui sont terrorisés par des milices armées de colons et qui sont mis dans l’incapacité de se déplacer de ville en ville sans passer par les points de contrôle israéliens, sur des routes séparées.

Les derniers efforts sérieux pour freiner l’expansion des colonies de peuplement et l’annexion rampante d’Israël ont été déployés sous le président George H.W. Bush en 1991, mais l’opposition des principales figures du Parti démocrate – dont le candidat démocrate à la présidence de 1992, Bill Clinton – a conduit l’administration Bush à renoncer pour l’essentiel à ses efforts. Sous le président Clinton, les Etats-Unis ont commencé à subventionner indirectement les colonies israéliennes. Lors du sommet de juillet 2000 à Camp David, il a poussé, sans succès, les Palestiniens à accepter l’annexion par Israël de la majorité des « blocs de colonies » [formulation élaborée par le pouvoir israélien, renvoyant à une zone de colonisation intensive].

Plus important encore, le président George W. Bush, ainsi qu’une large majorité bipartite du Congrès – comprenant Kerry, Clinton, Joe Biden et les dirigeants démocrates Nancy Pelosi et Chuck Schumer – ont publiquement soutenu le plan de convergence de 2004 du Premier ministre israélien de droite, Ariel Sharon, qui est très proche de la proposition de Trump.

Même sous l’administration Obama – qui a officiellement reconnu la nécessité pour Israël de cesser d’étendre ses colonies et de permettre la création d’un Etat palestinien viable aux côtés d’Israël avec des frontières se rapprochant de celles d’avant la conquête israélienne de 1967 – la politique étasunienne consistait à ce qu’aucune pression ne soit exercée sur Israël en vue d’un changement de politique. A donc été exclu le conditionnement des milliards de dollars annuels de subventions des contribuables des Etats-Unis au gouvernement israélien. En effet, l’aide étasunienne a atteint des niveaux record alors que l’expansion des colonies s’amplifiait. Les Etats-Unis ont abusé de leur pouvoir de veto pour empêcher les Nations unies de faire pression sur Israël pour qu’il respecte ses obligations juridiques internationales de mettre fin à l’occupation et à la colonisation des territoires occupés.

Les Etats-Unis ont fait pression sur les gouvernements étrangers et les agences de l’ONU, y compris en refusant une aide économique étasunienne, pour qu’ils ne reconnaissent pas le statut d’Etat palestinien. Et il y a eu une opposition active aux initiatives de la société civile contre l’occupation telles que les campagnes de Boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS).

La politique étasunienne, sous l’égide des deux partis (démocrate et républicain), a été que tout règlement de paix est subordonné à l’accord volontaire du gouvernement de droite d’Israël. Depuis longtemps, ce dernier a clairement fait savoir qu’il n’était pas disposé à se retirer de la plupart des territoires occupés ou à arrêter l’expansion spectaculaire des colonies. Il y a un consensus bipartisan qui ignore le fait que, même si l’on supposait que les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens ont des droits égaux à la paix, à la sécurité et à un Etat viable, existait une asymétrie flagrante de pouvoir entre la puissance occupante et les personnes sous occupation. De même s’affirmait une contradiction inhérente entre le fait que les Etats-Unis servent de médiateur en chef dans le « processus de paix » et qu’ils soient le principal soutien militaire, économique et diplomatique de l’occupant.

Par conséquent, bien que le soutien de l’administration Trump à l’occupation israélienne officielle soit sans précédent et dangereux, il ne changera probablement pas grand-chose sur le terrain. Quiconque a voyagé en Cisjordanie depuis Israël note qu’Israël traite effectivement les colonies et les terres environnantes comme faisant partie du pays de toute façon. Il devient de plus en plus évident que les enclaves contrôlées par l’Autorité palestinienne ne pourront jamais former la base d’un Etat-nation viable. Comme l’a noté Hagaï El-Ad : « Demain, il y aura encore 14 millions de personnes vivant entre le Jourdain et la Méditerranée, dont cinq millions de sujets palestiniens qui n’ont aucun droit politique » sous le règne d’un « gouvernement qui travaille sans relâche à faire progresser la suprématie d’un peuple aux dépens de l’autre, tout en foulant continuellement aux pieds ses droits ».

Ce sont les politiques des administrations étasuniennes précédentes – menées par les républicains et les démocrates – qui ont contribué à créer cette situation de type apartheid. Aujourd’hui, Trump essaie de rendre cela officiel.

Article publié sur le site Truthout en date du 29 janvier 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre.

Stephen Zunes est professeur de science politique à l’Université de San Francisco et coordinateur des Middle East Studies.

Stephen Zunes

Stephen Zunes est professeur de science politique à l’Université de San Francisco et coordinateur des Middle East Studies.

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