Tiré de regards.fr
Patrick Zylberman est professeur émérite d’histoire de la santé à l’École des Hautes Études en Santé publique.
Regards. Comment trouvez-vous la gestion de la crise du coronavirus par les autorités chinoises ?
Patrick Zylberman. On a pour point de comparaison le Sras de 2003 où les autorités chinoises avaient tenté pendant un peu plus de trois mois de dissimuler l’épidémie, notamment à l’OMS. Une vaste tricherie, si vous voulez. Aujourd’hui, on n’est pas dans ce cas de figure, mais le comportement de la Chine en 2003 a laissé des traces, certains de ses voisins restent très méfiants. On a bien vu que la direction chinoise a un tout petit peu tardé à démarrer. Le premier cas a été diagnostiqué en novembre et l’épidémie a été déclarée à l’OMS à la toute fin du mois de décembre. Il a encore fallu 20 jours pour que Pékin admette que l’épidémie était une infection contagieuse, ce qui change énormément de choses !
On regarde avec admiration cette Chine qui construit un hôpital en quelques jours. Mais n’oublie-t-on pas le fait que ça n’est possible que parce qu’il s’agit d’une dictature ?
Déjà, ça n’est pas un hôpital, mais des baraquements à l’intérieur desquels on peut prendre en charge des malades. Mais, précisément parce que la Chine est une dictature, elle n’agit pas aussi vite qu’on le dit. Elle retient les informations à destination de sa population et des États étrangers. En réalité, l’administration chinoise complique les choses. Il y avait au moins deux étages avant que les informations puissent circuler : d’abord celui des administrations provinciales – qui devaient faire valider leurs informations par Pékin. C’est ce qu’on appelle l’autoritarisme tronqué : le niveau local est toujours sous surveillance du niveau central. Ce système a été supprimé il y a quelques jours, les administrations provinciales peuvent désormais donner directement au public leurs estimations et leurs informations. Mais on peut s’attendre à ce qu’il y ait un "petit ménage" à la fin de l’épidémie.
Pourquoi met-on autant de temps à rapatrier les Français présents dans la région ?
On parle de centaines de personnes, on ne les ramène pas si facilement, c’est toute une logistique à mettre en place. D’autre part, c’est un problème diplomatique extrêmement délicat. C’est une sorte d’ingérence de la France en Chine. Et puis, on va exfiltrer des cadres de grandes entreprises et laisser les employés sur place ?
« Le sida ou la grippe font beaucoup plus de victimes, mais la gravité d’une épidémie ne se mesure pas seulement au nombre de cas et de décès, elle se mesure aussi par les effets indirects sur l’économie, la politique, la géopolitique, etc. Là, on a affaire à un événement d’une très grande gravité. »
Est-ce une bonne idée de laisser sur place ceux qui présentent un risque et de mettre en quarantaine ceux qui arriveraient sur le sol français ?
Je ne pense pas qu’on laisse des personnes infectés sur place. Ce seront des transports solitaires. Quant à la mise en quarantaine, c’est une mesure de santé publique, le bon sens même. On ne sait pas si les gens qu’on ramène sont infectés ou pas. Pour l’instant, on ne sait pas si, pendant la période d’incubation, on est contagieux – on peut le supposer. On manque de données qui complique les opérations, il est donc très sage de mettre les gens en quarantaine pendant 14 jours (la durée maximum d’incubation).
On compte cinq personnes contaminées en France, soit autant qu’aux États-Unis. C’est beaucoup ?
Non, ces cinq cas sont tous liés à la Chine, il n’y a pas de contamination sur le sol français et il y a des cas de la même famille. C’est simplement le fait que la France est une destination assez prisée par les Chinois.
Cette crise sanitaire est-elle si grave que cela ?
Oui, elle est grave, c’est quand même une épidémie de grande ampleur. Elle est grave aussi par ses effets indirects, notamment économiques. En 2003, au moment du Sras, la Chine pesait pour 4% de l’économie mondial. Aujourd’hui, elle pèse 16% de l’économie mondiale. Tout ce qui arrive en Chine a des répercussions sur le reste du monde. Le sida ou la grippe font beaucoup plus de victimes, mais la gravité d’une épidémie ne se mesure pas seulement au nombre de cas et de décès, elle se mesure aussi par les effets indirects sur l’économie, la politique, la géopolitique, etc. Là, on a affaire à un événement d’une très grande gravité, bien qu’on ne sache pas encore mesurer la gravité sur le plan épidémiologique puisqu’on ne connaît pas la létalité du coronavirus.
Propos recueillis par Loïc Le Clerc
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