Édition du 11 février 2025

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Asie/Proche-Orient

Myanmar 4 ans après le putsch : Peur, terreur, colère, résistance

Nyein Chan May est étudiante, cofondatrice et dirigeante de l’association German Solidarity Myanmar (GSM). Avant le coup d’État de février 2021, elle est venue en Allemagne pour étudier les sciences politiques. Elle a été cofondatrice du syndicat étudiant de l’université des langues étrangères de Yangon dans lequel elle a été active de 2012 à 2015. Féministe intersectionnelle, elle est également engagée dans la production de podcasts. Wolfgang Kremer s’est entretenu avec elle à propos de ce que peut apporter la solidarité internationale.

Tiré d’Europe solidaire sans frontière.

Wolfgang Kremer Chan, cela fait maintenant quatre ans que l’armée a effectué un coup d’État au Myanmar. Depuis ton exil, quel regard portes-tu sur la situation dans ton pays ?

Nyein Chan May - Peur, terreur, colère et résilience sont quatre mots qui permettent de décrire la situation. Les chiffres actuels font état de 19 847 morts dues à la violence politique et de plus de 28 000 personnes arrêtées pour des raisons politiques. 127 personnes ont été condamnées à mort. Malgré les succès militaires croissants des forces de résistance, le nombre d’attaques aériennes de la junte militaire contre des cibles civiles augmente.

Selon le Bureau des Nations-Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette situation horrible est le quotidien des habitant.e.s du Myanmar. Et c’est ce quotidien que je partage avec eux depuis l’Allemagne, car la totalité de mes ami.e.s et de ma famille est encore sur place. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’un regard lointain, mais c’est comme si je vivais moi-même ces atrocités.

Et pourtant, les gens au Myanmar résistent depuis quatre ans, et ce sans soutien notable et efficace de la communauté internationale. Cette résilience remarquable me donne de l’espoir et me motive.

Hormis quelques spécialistes et des activistes, les gens en Allemagne et en Europe associent le plus souvent le Myanmar à la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi et à son parti, la LND, ainsi qu’au génocide de la minorité musulmane des Rohingyas en 2017. Quel est le rôle actuel de l’ASSK et de la LND et existe-t-il un espoir pour les Rohingyas de voir les persécutions cesser ?

Le conflit au Myanmar remonte à l’époque coloniale. Il ne s’agit pas d’une simple lutte de pouvoir entre un parti politique, comme la LND, et la junte militaire. Il s’agit plutôt de la résistance d’une population multiethnique qui ne veut pas vivre sous un régime autoritaire.

Aung San Suu Kyi continue de jouir d’un grand respect auprès d’une grande partie de la population, surtout en raison de son image personnelle. Cela ne signifie toutefois pas qu’elle ait une véritable influence sur l’ensemble de la résistance. Depuis le coup d’État, celle-ci est principalement conduite par la jeune génération, qui agit de plus en plus souvent de concert ou en accord ponctuel avec des groupes armés ethniques.

La situation des Rohingyas continue de se dégrader. Des informations nous parviennent selon lesquelles de jeunes hommes rohingyas sont enrôlés de force par l’armée et envoyés dans des affrontements où le risque de perdre la vie est élevé. Malheureusement, des informations font également état de violations des droits de l’homme commises par l’Arakan Army (AA), qui fait partie de l’alliance dite des trois Fraternités de groupes armés ethniques, qui a réalisé l’« opération 1027 » en octobre 2023 et a depuis pris le contrôle de nombreuses régions.

Environ 600 000 Rohingyas vivent au Myanmar dans des conditions que le HCR décrit comme « proches de l’apartheid ». Plus de 140 000 personnes sont enfermées dans des camps dans l’État de Rakhine. Les conditions de vie dans les centres de réfugiés, comme le camp de Cox’s Bazar, sont également extrêmement précaires.

La réconciliation entre les communautés dans l’État Rakhine, des accords pour une coexistence pacifique ainsi que des poursuites judiciaires engagées contre les violations des droits de l’homme sont des conditions essentielles pour assurer un avenir sûr aux Rohingyas. Ces objectifs ne peuvent toutefois être atteints sans mettre fin à la domination des militaires, qui opprime et divise.

La situation humanitaire et économique au Myanmar est catastrophique. Quelles sont les tâches les plus urgentes pour une aide humanitaire efficace ?

Pour faire face à la crise humanitaire au Myanmar et contribuer à la résolution du conflit à long terme, la communauté internationale devrait adopter, en collaboration avec les acteurs régionaux, une stratégie qui combine l’aide transfrontalière et la coopération des organisations locales de la société civile. De telles approches se sont révélées efficaces pour améliorer les soins aux civils et renforcer les forces de résistance.

Étant donné que la junte bloque systématiquement l’aide humanitaire ou la détourne de son objectif, l’aide transfrontalière en provenance de pays voisins comme la Thaïlande, l’Inde et le Bangladesh devient de plus en plus importante. Ce type d’aide pourrait être dirigé de manière ciblée vers des régions particulièrement touchées comme Chin, Kachin et Rakhine, où les organisations ethniques sont actives et ont souvent un lien plus étroit avec la population.

Une telle aide transfrontalière devrait se déployer à plusieurs niveaux :

 Premièrement, en fournissant de la nourriture, des médicaments et des moyens éducatifs via des canaux fiables.

 Deuxièmement, en encourageant la mobilité dans les régions frontalières afin de pouvoir répondre rapidement à des situations d’urgence aiguë, comme les déplacements massifs de population suite à des attaques militaires.

 Troisièmement, en exerçant une pression internationale et en prenant des sanctions contre les États qui soutiennent la junte. Des accords avec les pays voisins devraient viser à mettre en place des corridors humanitaires transfrontaliers et à faciliter l’accès des ONG internationales aux zones frontalières.

Au début de l’année 2024, on espérait que la junte pourrait bientôt être renversée. Aujourd’hui, beaucoup craignent une sorte d’impasse militaire et un éclatement en territoires contrôlés par différentes forces. Un avenir fédéral pour le Myanmar est-il encore une option réaliste pour l’avenir ?

Le fédéralisme est un objectif commun à la plupart des forces de résistance, y compris aux groupes armés ethniques. Depuis l’indépendance en 1948, nous n’avons jamais eu l’occasion de réellement chercher à atteindre cet objectif de manière conséquente. La résistance en cours nous donne toutefois l’occasion de commencer à réfléchir au fédéralisme, de formuler des conceptions et de faire de ce rêve une réalité.

Le Myanmar est un pays qui a connu plus de sept décennies de conflits armés et une énorme diversité de protagonistes. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’une unité entre les différents groupes puisse être établie en l’espace de quatre ans. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne nous efforçons pas d’y parvenir. Nous essayons de renforcer et de soutenir le dialogue politique au sein des forces de résistance. La lutte contre la junte et les démarches pour établir une démocratie fédérale doivent se faire en parallèle.

Tu as cofondé l’association German Solidarity Myanmar ( GSM) et tu en es actuellement la secrétaire générale. Quels sont vos projets et prévisions actuels ?

GSM est une jeune organisation militante qui œuvre en faveur du mouvement démocratique du Myanmar en défendant ses positions, en effectuant un travail de relations publiques et en faisant de l’éducation politique. Nous revendiquons une attitude plus déterminée et une politique réactive vis-à-vis du Myanmar de la part de la République fédérale d’Allemagne et de l’Union européenne.

Nous avons récemment publié le document « Asile et intégration des réfugiés birmans en Allemagne ». Ce document décrit non seulement les défis auxquels sont confrontés les réfugié.e.s du Myanmar en Allemagne mais formule également des revendications concrètes et des recommandations d’action en ce qui concerne la politique d’asile.

Dans ce contexte, nous organiserons prochainement des rencontres en ligne avec la diaspora du Myanmar en Allemagne, où il sera possible de discuter ouvertement et en toute sécurité de sujets tels que l’asile, la réinstallation et la vie en Allemagne. En outre, nous prévoyons d’autres discussions avec le ministère des Affaires étrangères, les députés du Bundestag (même après les nouvelles élections) et les représentants de l’Union européenne.

Et bien sûr, à l’occasion de l’anniversaire du coup d’État (le 31 janvier), il y aura une manifestation bruyante et colorée devant l’ambassade à Berlin !

Les implications géostratégiques du conflit sont complexes et la résistance civile et armée dans le pays est politiquement très hétérogène. A ce sujet, vous, l’association GSM, fournissez des données de fond importantes dans le cadre de vos « updates » hebdomadaires.

Le Myanmar n’est pas seulement un pays de conflits et de catastrophes humanitaires, c’est aussi un « point de rencontre » géopolitique stratégique. Nous considérons la lutte pour la démocratie au Myanmar comme faisant partie d’une lutte globale contre le front des autocraties qui se soutiennent mutuellement, comme actuellement la Chine et la Russie qui soutiennent la junte.

Outre les « Updates », nous organisons régulièrement des briefings Indo-Pacific afin de placer le Myanmar dans le contexte plus large de la géopolitique de la région. Ces briefings ont lieu à la fois en ligne et en présentiel.

Et l’importance géostratégique du Myanmar fait toujours l’objet de discussions de plaidoyer et de réunions d’échange avec des acteurs allemands et européens.

Tu te considères comme une féministe intersectionnelle. Dans la situation actuelle et dans une société profondément patriarcale et militarisée, est-ce que toi et tes camarades avez une chance d’être entendus et d’exercer une influence ?

C’est précisément cela - être entendues et avoir de l’influence - qui constitue notre contribution féministe à la résistance. Si nous parlons d’une révolution qui doit changer l’ensemble du système oppressif, nous devons également soulever la question de la lutte contre le patriarcat. Cela signifie que les femmes du Myanmar ne luttent pas seulement contre la junte militaire, mais aussi contre le patriarcat dans la société et au sein de la résistance.

Mes compagnons de lutte et moi-même sommes souvent critiqués pour ces efforts - également par les forces de résistance et parfois même par les femmes, comme si nous affaiblissions la résistance. Non, c’est tout le contraire ! Nous évoquons haut et fort le problème des structures patriarcales, parce que nous voulons élever cette révolution à un niveau supérieur. Car une démocratie qui ne réfléchit pas de manière intersectionnelle à l’égalité des sexes ainsi qu’aux droits des femmes et des groupes marginalisés et qui ne les prend pas en compte est une démocratie aux carences inacceptables. Nous en sommes fermement convaincus.

GSM est une association à but non lucratif, reconnaissante pour tout don et toute collaboration active !

Compte pour les dons :

German Solidarity with Myanmar Democracy e.V., GLS Bank

IBAN : DE18 4306 0967 1277 0150 00

BIC : GENODEM1GLS

https://www.sozonline.de/2025/02/myanmar-3/

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.

Interview publiée dans Sozialistische Zeitung (SOZ 2, Februar 2025 p. 19)

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Nyein Chan May

Nyein Chan May est étudiante, cofondatrice et dirigeante de l’association German Solidarity Myanmar (GSM). Avant le coup d’État de février 2021, elle est venue en Allemagne pour étudier les sciences politiques. Elle a été cofondatrice du syndicat étudiant de l’université des langues étrangères de Yangon dans lequel elle a été active de 2012 à 2015. Féministe intersectionnelle, elle est également engagée dans la production de podcasts.

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