Édition du 3 décembre 2024

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Histoire de l'ISQ : Un devoir de mémoire

Si l’histoire de l’étude annuelle sur la rémunération de l’Institut de la statistique du Québec m’était en partie narrée…

Le mot « histoire » a une histoire. Cette phrase vous étonne ? Regardons d’un peu plus près. Hérodote intitule son ouvrage, consacré aux guerres médiques, avec le titre suivant : Istorié. Ce mot signifie, dans l’ancien grec, enquête. Cicéron va forger le mot Historia pour lui donner le sens qu’on lui prête toujours aujourd’hui. Chez cet auteur romain, le mot historia est défini de la manière suivante : « est sesta res ab aetatis nostrae remota » (« le récit des faits véritables, mais éloignés de notre époque »).

Pour être en mesure de comprendre la réalité dans laquelle nous nous trouvons, il est utile d’effectuer, à l’occasion, un certain retour dans le passé. Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, il s’agit d’un retour dans un passé qui compte moins de quarante ans. Notre récit remonte à des événements qui se sont déroulés, pour être plus précis, à partir de 1982-1983. Dans les lignes qui suivent, nous tenterons de répondre à l’énigme suivante : d’où provient cette fameuse étude annuelle de l’Institut de la statistique du Québec qui établit une comparaison de la rémunération globale entre les différents secteurs de l’activité économique ?

Ce sera à travers certaines sources officielles que nous serons à même d’effectuer ce retour (ce retour/détour devons-nous dire pour être plus précis) dans le passé en vue d’établir, à travers des « faits véritables » (selon un critère établi par nul autre que Cicéron), comment et dans quel but la réalité s’est brusquement modifiée, au milieu des années quatre-vingt, pour les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic du Québec.

Flash-back (Retour en arrière)

C’est immédiatement après l’affrontement de 1982-1983 que le gouvernement Lévesque décide de modifier en profondeur le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic. En procédant à l’adoption, en 1985, du projet de loi 37, il établit de nouvelles règles du jeu. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Quels ont été les principaux changements apportés par ce projet de loi et à quoi au juste devaient servir les travaux de l’Institut paritaire sur la rémunération ? Nous tenterons, au cours des prochaines lignes, d’apporter des éléments de réponses à ces questions.

L’annonce de la révision du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic et le Rapport Cadieux-Bernier

Lors du discours inaugural du 23 mars 1983, le premier ministre Lévesque a fait l’annonce que son gouvernement allait entreprendre une révision du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic.

Par ailleurs, le gouvernement employeur et les employés du secteur public doivent à l’évidence mettre au point, en matière de négociations de conventions collectives, de nouvelles règles du jeu qui reposent sur des bases plus solides et plus transparentes. La société québécoise, on l’a dit moult fois, mais il faut que ce soit la dernière fois qu’on ait à le dire, ne peut plus se permettre ces affrontements à répétition, stériles, coûteux et qui, en définitive, n’apportent vraiment rien à personne. L’histoire des négociations du secteur public depuis plus de quinze ans le démontre surabondamment. Pour sortir de ce cercle vicieux, le gouvernement entend proposer, dans les meilleurs délais, la mise sur pied d’un groupe d’enquête, parlementaire ou autre, doté de moyens adéquats et qui, dans un laps de temps raisonnable, rencontrera tous les intéressés et formulera les recommandations susceptibles de renouveler le régime de négociation dans le secteur public[1].

Ainsi donc, sitôt sorti de la crise des relations de travail dans les secteurs public et parapublic en 1982-1983, le gouvernement était fermement décidé à tourner la page sur « quinze ans » de négociation ayant conduit, selon lui, à des « affrontements à répétition, stériles, coûteux et qui en définitive n’apportent vraiment rien à personne ».

Suite au discours inaugural, le gouvernement du Québec forme un comité de recherche (le groupe de recherche Cadieux-Bernier) chargé de préparer un dossier de type descriptif et comparatif des régimes de relations de travail dans les secteurs public et parapublic de certains pays industrialisés en regard de trois aspects : 1) les droits des syndicats du secteur public ; 2) les mécanismes de détermination des conditions de travail ; et 3) les mécanismes de règlement des conflits de travail.

Le Rapport Cadieux-Bernier est disponible dès décembre 1983. Le document conclut que le système des relations de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec impose de nombreuses contraintes à l’État et accorde de nombreux « avantages » aux syndicats, il est « sans point d’équilibre » et il en résulte constamment des affrontements[2]. Et les auteurs du rapport d’ajouter : « le Québec peut être considéré comme une société particulièrement « généreuse » ou « libérale » quant aux droits qu’il consent aux syndicats de son secteur public ». Société tellement « généreuse » que les auteurs se demandent : « la générosité du régime juridique qui encadre l’activité syndicale dans le secteur public québécois est-elle responsable des difficultés que le Québec a connues régulièrement depuis quinze ans ? »

La recherche d’un « nouvel équilibre » (sic)

Cinq mois après la publication du Rapport Cadieux-Bernier, le gouvernement du Québec fait connaître son analyse du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic dans un document de consultation intitulé : Recherche d’un nouvel équilibre. Réforme du régime des négociations du secteur public. Ce document de consultation de 16 pages contient 27 questions. Il est axé autour de cinq grands thèmes dont « l’égalité des parties négociantes », et « l’affrontement systématique ». Même s’il ne s’agit pas d’un document exprimant la position gouvernementale, on y trouve, sur le mode interrogatif, des pistes de « solutions » à envisager en vue de réformer le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic. Ce document de consultation reprend, en l’amplifiant, la conclusion du Rapport Cadieux-Bernier à l’effet que la crise dans les secteurs public et parapublic au Québec est imputable au régime de négociation. Partant de là, en vue de réduire les tensions dans ces secteurs pris en charge ou financés par l’État, il faut, selon les auteurs du document, ni plus ni moins, remettre en question certaines des dispositions de ce régime. L’avant-propos du document, signé par le ministre délégué à l’Administration et président du Conseil du trésor M. Michel Clair, fournit un bon exemple de l’intention du gouvernement du Québec d’entreprendre une grande réforme du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic pour que le Québec sorte de la voie des « affrontements à répétition » :

certaines sociétés, aussi développées et aussi démocratiques que la nôtre, sont parvenues à établir des régimes de négociations et de discussions des grands enjeux collectifs beaucoup moins générateurs d’antagonismes que le nôtre, et où des intérêts aussi divergents que ceux qui existent ici, parviennent à se faire valoir et respecter avec beaucoup moins de tensions et d’à-coups[3].

Interrogatif, le ministre poursuit dans son avant-propos en se demandant :

Est-il possible, au Québec, de se sortir des ornières des dix ou quinze dernières années pour entrer dans un régime de négociation dans le secteur public et parapublic qui tout en respectant des standards démocratiques internationaux, permette, à la fois à la collectivité de recevoir des services adéquats, compte tenu de sa capacité de payer, aux syndicats de faire valoir les intérêts de leurs membres (…), aux gestionnaires d’administrer efficacement et humainement leurs ressources, au gouvernement de faire des choix pour lesquels il a été élu et tout cela, sans sombrer dans des affrontements répétitifs ?[4]. (Notre souligné)

C’est donc avec un souci évident de mettre un terme à la série d’affrontements qui avait ébranlé les secteurs public et parapublic depuis « dix ou quinze ans » et convaincu que le régime de négociation avait contribué à la genèse de ces affrontements que le ministre, sans attendre le résultat de la consultation, précise :

Le gouvernement est cependant déterminé à agir, à changer ce régime d’affrontements qui ne satisfait personne et il entend donc, dès l’automne 1984, arrêter sa position et proposer les mesures gouvernementales ou législatives nécessaires pour implanter un nouveau régime[5].

La volonté gouvernementale de changer le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic ne peut faire de doute. Mais à quoi correspond son analyse de la crise des relations de travail dans les secteurs public et parapublic et quels changements préconise-t-il à travers son document de consultation ?

Dans l’introduction au document de consultation, on peut lire ce qui suit :

Au Québec, depuis 1964, l’État a privilégié la négociation collective comme instrument de détermination des conditions de travail des salariés du secteur public. Vingt ans plus tard, après plusieurs rondes de négociation, de nombreuses modifications et d’importants soubresauts, force est de constater que le régime actuel de négociation comporte des défaillances structurelles majeures, favorise la confusion quant au rôle de l’État, conduit régulièrement à des affrontements et n’a pas la souplesse nécessaire pour s’adapter aux profonds changements que vit actuellement notre société. Bref, nous sommes captifs d’un régime de négociation qui n’a pas d’équilibre interne et qui n’engendre pas de solutions à ses problèmes[6].

C’est donc en se fondant sur ce diagnostic, où le régime de négociation est vu comme le facteur responsable des affrontements dans les secteurs public et parapublic, que le gouvernement envisage un changement. Le document de consultation précise que :

Le changement, dans un domaine aussi névralgique et sensible, pour qu’il ait des effets durables, doit s’effectuer graduellement et porter autant sur les fondements du régime que sur ses structures et sur le développement d’instruments et de situations favorisant le changement des mentalités[7].

Les changements doivent porter autant sur les « fondements », les « structures » et les « instruments » à créer en vue de changer les mentalités. Pour atteindre ces trois objectifs, le gouvernement envisage une modification au sujet de « l’égalité des parties négociantes » (sic).

Selon le document de consultation :

L’analyse des négociations depuis 1972 démontre l’existence d’un immense malentendu né de la confusion entre le rôle de l’État gouvernement et le rôle de l’État employeur. Il est essentiel que ces deux rôles de l’État soient démarqués ne serait-ce que pour que les « règles du jeu » soient connues à l’avance[8].

Dans un nouveau régime de négociation, la délimitation des frontières entre l’État gouvernement et l’État employeur « devrait permettre d’exclure du rapport de forces, et peut-être même du champ de la négociation traditionnelle, les questions qui relèvent ultimement de la responsabilité exclusive du gouvernement et auxquelles il ne saurait se dérober[9] ».

Pour « rééquilibrer » le rôle des parties négociantes, le gouvernement n’écarte donc pas la possibilité de soustraire du champ du négociable la masse salariale. Dans ce cadre de négociation où la rémunération serait, à toutes fins utiles, décrétées à la suite « (d’)une consultation formelle auprès des divers agents sociaux-économiques », le rôle de l’État législateur devrait consister à s’assurer du maintien d’un équilibre entre le marché du travail du secteur public et celui du secteur privé. (…) Cet équilibre nous apparaît devoir se concrétiser par l’acceptation du principe de l’alignement par comparaison de la rémunération globale du secteur public sur celle du secteur privé[10].

Le nouveau régime de négociation envisagé du point de vue du gouvernement du Québec doit, au sujet de la rémunération, permettre à l’État « (d’exercer) ses responsabilités ». Le respect de cet objectif semble possible, aux yeux du gouvernement, pourvu que la rémunération des salariés syndiqués des secteurs public et parapublic ne soit plus le résultat d’une négociation autorisant l’exercice d’un rapport de force syndical, mais qu’elle soit établie en tenant compte seulement du « principe général de parité de la rémunération globale entre le secteur public et le secteur privé » (notre souligné).

Le régime de négociation est directement identifié comme le responsable des « crises politiques et sociales majeures » qu’a connues le Québec. Plus précis que le rapport Cadieux-Bernier, le document de consultation du ministre Michel Clair mentionne :

Il apparaît qu’un des grands défauts du système actuel est son fonctionnement par à-coups. En effet, à tous les trois ou quatre ans, les parties se préparent pour un grand « happening » qui se transforme inévitablement en un rapport de forces où il y a, fatalement, des « gagnants » et des « perdants »[11].

La solution à ce régime de négociation, qui apparaît aux yeux du gouvernement comme « vicié » à sa base, réside, selon lui, dans la réponse qui sera apportée à la question suivante : « Ne serait-il pas plus facile d’ajuster continuellement les conditions de travail à l’évolution de la conjoncture et aux besoins de l’heure ? » Concrètement, le gouvernement, dans le cadre de sa consultation, invite les personnes intéressées à formuler des propositions sur la « périodicité des négociations », la « fréquence ou la forme » des négociations, « la durée séparant deux rondes de négociation », la « possibilité d’ajustements annuels (…) sur la rémunération », etc.

Dans le document de consultation, il était précisé ce qui suit :

le gouvernement doit répondre de ses actes devant l’ensemble du corps électoral. Il lui appartient donc de faire les choix budgétaires fondamentaux qui reflètent ses politiques économiques et sociales. Le lieu pour discuter des choix qui concernent l’ensemble de la société ne saurait donc être celui de la négociation dans les secteurs public et parapublic, qui ne touche que 15% des salariés du Québec. Le gouvernement doit agir pour l’ensemble de la collectivité. Dans cette foulée, il semblerait opportun que le gouvernement fasse connaître ses priorités en matière de développement social et économique, les limites de sa capacité de payer, le niveau des services et les conséquences qui en découlent sur l’environnement budgétaire d’une négociation qui concerne près de la moitié du budget. Cette annonce devrait être précédée d’une consultation formelle auprès des divers agents sociaux-économiques[12]. (Notre souligné).

À cette étape du processus de révision du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic, le gouvernement du Québec envisageait la possibilité de retirer la rémunération du champ de la négociation.

L’avant-projet de loi 37

Dans l’avant-projet de loi 37 déposé le 20 décembre 1984, le ministre Michel Clair précise le nouveau mode de détermination que le gouvernement du Québec semble disposé à mettre en place. Il suggère de retirer de la négociation la question de la rémunération et de la fixer à partir de travaux qui seraient réalisés par l’Institut paritaire de recherche sur la rémunération. Cet Institut serait appelé à publier chaque année un rapport (fin novembre) sur l’état et l’évolution de la rémunération des employés du secteur public par rapport à d’autres salariés québécois. Après la publication de ce rapport de l’Institut et après « négociation » avec les organisations syndicales (sans que les membres de ces organisations puissent recourir à la grève), le gouvernement devra déposer devant l’Assemblée nationale, pour la mi-avril, un projet de règlement fixant la rémunération des salariées et salariés des secteurs public et parapublic. Cet avant-projet de loi réduit de beaucoup le pouvoir de négociation des organisations syndicales ainsi que la portée et l’étendue du droit de grève.

Du projet de loi 37 à la Loi

Lors de la présentation de son projet de loi 37 à l’Assemblée nationale du Québec (le 2 mai 1985), le ministre a fait une présentation très descriptive et somme toute assez technique des principales dispositions contenues dans la réforme qu’il entend mettre en place. Au sujet de la négociation des salaires, élément important d’un régime de liberté syndicale, il a déclaré :

En ce qui concerne les salaires et les échelles de salaires des employés des secteurs public et parapublic, les stipulations des conventions collectives applicables pour la première année seront négociées et agréées comme les autres stipulations qui sont l’objet de négociations. Pour chacune des deux années subséquentes de la convention, la détermination sera faite selon les modalités suivantes. Après la publication par l’Institut de son rapport annuel sur la rémunération, les parties tenteront de s’entendre sur les salaires et échelles de salaires pour l’année subséquente. A la suite de cette négociation, un projet de règlement sera élaboré et, au cours du mois d’avril, proposé à l’approbation du gouvernement après avoir été soumis à l’examen d’une commission parlementaire. Une fois fixées ainsi par règlement, les stipulations sur les salaires sont intégrées pour l’année en cours à la convention collective[13].

Sur le sens et la portée du nouvel Institut de recherche sur la rémunération que le projet de loi met en place, le ministre précise,

Je crois que le projet de loi garantit aux employés du secteur public les mécanismes leur permettant de négocier une rémunération équitable et garantit aux québécois la diminution des tensions lors des négociations. Nous avons tenté de redonner un certain équilibre au régime de négociation et j’espère que les syndicats du secteur public accepteront de travailler rapidement au sein de l’Institut de recherche sur la rémunération. Ce serait le signe d’une volonté de diminuer les affrontements stériles, d’un désir de solutionner les problèmes sur la base d’une compréhension partagée de la réalité plutôt que sur le rapport de force traditionnel[14].

Pour l’essentiel, la réforme proposée par le ministre Michel Clair vise la mise en place d’un régime qui visait à « pacifier » les relations de travail dans les secteurs public et parapublic.

Les dispositions de la Loi concernant le mode de négociation des salaires et les sanctions en cas de non-respect des services essentiels

La Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic a été adoptée et sanctionnée le 19 juin 1985. Cette loi est toujours en vigueur, et comme on pourra le constater un peu plus loin, certaines de ses dispositions n’ont jamais été appliquées. C’est le cas du mode de négociation des salaires. La Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic statue que les augmentations salariales ne sont déterminées qu’une année à la fois. La première année peut faire l’objet d’une négociation (avec droit de grève pour les salariées et salariés syndiqués des secteurs public et parapublic), les deux suivantes sont déterminées dans le cadre d’un règlement.

Un nouveau régime de négociation et une nouvelle loi sur les services essentiels

La Loi issue du projet de loi 37 confirme le rôle du Conseil du trésor lors des négociations entre l’État et les salariés des secteurs public et parapublic. Lui seul est en mesure d’autoriser les mandats de négociation des comités patronaux. La répartition des matières négociables entre le niveau provincial et les autres (régional et local) est indiquée dans la loi. Les matières négociables au niveau provincial sont substantiellement réduites.

La Loi issue du projet de loi 37 modifie le Code du travail en matière de services essentiels. Elle précise le pourcentage de salariés à maintenir par quart de travail (ce pourcentage varie de 55 à 90% selon les services des établissements hospitaliers, de santé et de services sociaux[15]). Les décisions du Conseil des services essentiels sont impératives. Le Conseil peut ordonner de faire ou interdire de faire quelque chose à toute personne. Aucune grève n’est possible dans les établissements où il n’existe pas de listes approuvées par le Conseil des services essentiels. Le droit de grève s’obtient vingt jours après le dépôt du rapport du médiateur et il est interdit sur les matières négociées et conclues aux niveaux local et régional. Pour ce qui est des salaires, le droit de grève est possible pour la première année de la convention collective seulement[16]. L’exercice du droit de grève dans les secteurs concernés par les services essentiels est réduit à une manifestation symbolique et, enfin, les pouvoirs du Conseil des services essentiels sont accrus.

Pour accompagner ce nouveau régime de négociation, le gouvernement du Québec adopte, lors de la ronde de négociation de 1986, le projet de loi 160 ou "Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux"[17]. Cette dernière vise à encadrer de façon très stricte l’exercice de la grève dans les secteurs mentionnés dans le titre de la loi. Tout en prévoyant que les salariés doivent assurer une prestation de service sans arrêt, ralentissement ou altération de leurs activités normales à compter du 12 novembre 1986 (sans préciser la date de son abrogation), la loi interdit aux associations de salariés ainsi qu’aux salariés de faire une grève qui ne respecte pas les dispositions de la loi concernant les services essentiels ou d’entraver par une action concertée l’accès à quiconque (utilisatrices et utilisateurs des services ou salariés) aux établissements de santé et de services sociaux. Les associations de salariés et groupements d’associations doivent prendre les moyens appropriés pour que leurs membres respectent les dispositions de la loi. Advenant une grève illégale, le gouvernement se réserve le droit de remplacer, modifier ou supprimer par décret les dispositions de la convention collective en matière d’embauche de nouveaux salariés et toute matière se rapportant à celle-ci, en plus d’exclure ceux-ci de l’application des dispositions de la convention collective en matière de sécurité d’emploi. Par un décret, le pouvoir exécutif s’autorise à rétablir la pratique du recours à des briseurs de grève.

Mises à part les lourdes amendes qui accompagnent habituellement les lois spéciales du genre, le gouvernement a prévu, pour les associations qui oseraient ne pas se conformer à la loi, la suspension de la retenue à la source de la cotisation syndicale (douze semaines par jour ou partie de jour pendant lequel dure la grève). Pour les salariés qui seraient enclins à contrevenir aux dispositions de la loi, il est prévu une réduction automatique d’un montant égal au traitement qu’ils auraient reçu pour chaque période d’absence et une perte d’un an d’ancienneté par jour de grève.

Par cette loi spéciale, le gouvernement modifie un élément important des règles du jeu à observer lors de l’exercice des moyens de pression. Il rétrécit l’espace dans lequel se dérouleront les grèves dites légales dans les affaires sociales et précise les sanctions qui seront appliquées aux salariés en cas de non-respect des services essentiels.

Conclusion

Et c’est ainsi que les organisations syndicales se sont retrouvées, lors de la période prévue pour la négociation et le renouvellement de leurs conventions collectives dans les secteurs public et parapublic au Québec, avec une insupportable chape de plomb.

Alors, tentons d’apporter des éléments de réponses à nos questions initiales. Pourquoi le gouvernement du Québec a-t-il modifié le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic ? Parce qu’il disait vouloir « pacifier » ce champ de la pratique sociale. Quels ont été les principaux changements apportés par ce projet de loi ? Les changements les plus importants concernaient le mode de détermination des salaires et les services essentiels à maintenir en cas d’arrêt de travail dans les secteurs public et parapublic. À quoi au juste devaient servir les travaux de l’Institut paritaire sur la rémunération ? Entre autres choses, à assurer ou à garantir aux salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic que leur rémunération serait établie en tenant compte seulement du « principe général de parité de la rémunération globale entre le secteur public et le secteur privé » (notre souligné). Ce qui nous est rappelé, année après année, comme un véritable supplice de la goutte d’eau, n’est pas le cas…

Qu’on nous permette de citer Aldous Huxley qui a écrit jadis : « Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l’histoire est la leçon la plus importante que l’histoire nous enseigne. »

J’ai écrit ce court texte pour que le processus qui a abouti à l’adoption du nouveau régime de négociation dans les secteurs public et parapublic ne sombre pas dans l’oubli. Cet exercice comportait une promesse que la rémunération dans le secteur public est « paritaire ». Trente-cinq ans après l’adoption du régime de négociation issu du projet de loi 37, les salariées syndiquéEs des secteurs public et parapublic sont encore loin de compte. L’étude de l’Institut de la statistique du Québec le mentionne : « Si l’on s’intéresse seulement au salaire, l’administration québécoise présente un salaire moyen inférieur à celui de l’ensemble des autres salariés québécois (-13,2%) et à celui des salariés du secteur privé (-10,2%) ».

Le mot « histoire » a une histoire. Cette histoire est aussi un devoir de mémoire.

Yvan Perrier

Notes

[1] Gouvernement du Québec, Journal des débats, Assemblée nationale, Quatrième session, Trente-deuxième Législature, Vol. 27, No 1, le mercredi 23 mars 1983, page 16.

[2] « Le régime des relations de travail dans le secteur public québécois ne comporte pas de tels mécanismes de régulation et de contre-poids. Il conjugue tout simplement le maximum de droits syndicaux à un mécanisme de négociation permettant aux pressions syndicales d’avoir le maximum d’impact. Dans un tel contexte, le gouvernement a le choix de faire les concessions qu’impose la situation ou de suspendre le fonctionnement du régime même. Le point d’équilibre des forces en présence se situe à l’extérieur du système des relations de travail. Ce n’est pas un hasard en effet si au Québec, depuis une vingtaine d’années et sous quatre gouvernements différents, les conflits de travail ont dégénéré en conflits sociaux et ont abouti ultimement devant l’Assemblée nationale pour trouver leur dénouement à l’extérieur des règles du jeu convenues au départ. Notre système de relations de travail dans le secteur public n’a pas trouvé son point d’équilibre. » Gouvernement du Québec, Rapport Cadieux-Bernier. Régime de relations de travail dans le secteur public de certains pays industrialisés. Direction générale des publications gouvernementales, ministère des Communications, Québec, 1985, page 46.

[3] Gouvernement du Québec, Recherche d’un nouvel équilibre. Réforme du régime des négociations du secteur public. Document de consultation, Québec, Éditeur officiel, 1984, pages 3 et 4.

[4] Ibid, page 4.

[5] Ibid.

[6] Ibid, page 5.

[7] Bid.

[8] Ibid, page 6.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid, page 6.

[13] Ibid, page 3368.

[14] Gouvernement du Québec, Communiqué no. 3. Création d’un institut de recherche sur la rémunération, Québec, 2 mai 1985, page 3.

[15] Pierre Verge, Le droit de grève, fondements et limites, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1985, page 154.

[16] Fernand Morin, "Rapports collectifs du travail dans les secteurs public québécois ou le nouvel équilibre selon la loi du 19 juin 1985", Relations industrielles, vol. 40, no 3, 1985, pages 629 à 645.

[17] Gouvernement du Québec, Projet de loi 160. Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux, Québec, 1986, 10 pages.

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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