Loin d’être un accident, cet événement inaugure en fait une nouvelle ère de tuerie de masse cautionnée par l’État haïtien. Comme à l’époque des Duvalier, la reproduction du statu quo, du système d’exploitation et d’exclusion du peuple nécessite une répression sauvage qui se traduit par des massacres répétitifs, et aujourd’hui, ce sont particulièrement les quartiers populaires qui en font les frais. Depuis 2018, les quartiers de Bel Air, Tokyo, Cité Soleil, Carrefour, Martissant ont été régulièrement le théâtre à ciel ouvert de massacres de jeunes enfants, de vieillards, de femmes enceintes, etc. Malgré le caractère apparemment arbitraire de ces assassinats, l’objectif consiste à mettre fin à la mobilisation des classes laborieuses et des autres groupes opprimés.
En fait, comme dans tous les pays capitalistes, où les classes dirigeantes entendent conserver leurs privilèges et leur pouvoir de domination par tous les moyens possibles, l’État peut utiliser la violence la plus brutale pour reproduire le statu quo. C’est le cas par exemple de l’État étasunien qui, confronté à une crise sociale majeure, fait montre de plus en plus de violence pour y faire face, violence qui prend la forme non seulement d’une oppression de classe, dans la mesure où, malgré la situation critique sanitaire, les classes dominées sont dépourvues de soins adéquats et sont obligées de faire face au chômage et à la crise du logement, entre autres, mais aussi violence s’exprimant par une oppression de plus en plus accrue des minorités racisées. Le racisme systémique qui toujours a été un élément organique du capitalisme étasunien apparait aujourd’hui au grand jour, prend la forme, comme avant, d’une violente répression policière, violence qui s’exerce quotidiennement et qui montre que, dans ce pays, « la vie des Noirs ne compte pas ».
Ici au Canada, la loi coloniale encore en vigueur définissant le statut de l’ « Indien » relève d’une idéologie racialiste reléguant les peuples des Premières Nations à une catégorie sociale inférieure. Loin d’être accidentel, l’oppression raciale fait partie intégrante de l’ordre social capitaliste.
En Haïti, l’oppression revêt un caractère de classe. Au cours de l’histoire récente du pays, les régimes militaires successifs ont perpétré des massacres autant dans les quartiers précaires des grandes villes que dans la paysannerie. Ils se sont servi à la fois des forces répressives formelles et informelles pour opprimer les masses laborieuses, les paysans et les membres de la petite bourgeoisie qui osent mettre en question l’ordre social.
Toutefois, il importe aussi de mentionner que le courant libéral qui se qualifie de « gauche » et qui par sa rhétorique a fait et continue de faire rêver les masses porte une grande part de responsabilité dans la crise actuelle. Depuis 1994, année de la réinstallation du pouvoir Lavalas par l’armée étatsunienne, les programmes de restructuration économique imposés par le FMI et la Banque mondiale sont devenus une partie intrinsèque de la politique de tous les gouvernements qui depuis se sont succédé au pouvoir. Et cela sans parler de l’utilisation ou l’instrumentalisation des gangs armés pour maintenir la « paix sociale » tout au long de cette période.
Par ailleurs, la commémoration du massacre de La Saline coïncide à de nouvelles mesures d’expropriation et de dépossession des paysans de la région du Nord et du Nord-est du pays. Paysans et paysannes sont manu militari dépossédé.es de leur lopin de terre au profit de compagnies transnationales agroalimentaires. L’État haïtien mobilise tout son appareil répressif pour les chasser de leur terre. Depuis plusieurs mois, les forces de police et le personnel judiciaire ont déjà procédé à une véritable chasse aux sorcières pour mettre fin à la résistance paysanne. Les rapports les plus conservateurs parlent de plusieurs dizaines de morts alors que plusieurs mandats d’amener sont émis contre des leaders paysan.nes.
Il est important de souligner que cette répression, loin d’être l’apanage du pouvoir PHTK, répond plutôt à la mise en œuvre continue de la politique néolibérale, telle qu’elle a été imposée par les puissances impérialistes. Malgré des discours mystificateurs de liberté et de droits humains, la tuerie de masse et l’oppression la plus brutale constitue le moyen par lequel les gouvernements assurent la défense des intérêts des capitalistes locaux et internationaux.
Soulignons également que le débat autour de la question de l’amendement de la Constitution, présenté comme le seul moyen de résoudre la crise actuelle, ne fait que renforcer l’illusion que les maux sociaux peuvent être résolus par une nouvelle jurisprudence. Cette approche, mise de l’avant notamment par la droite démocratique, soutient l’idée que l’État peut être changé de l’intérieur et qu’il suffit de mener la lutte sur le plan juridique. Approche tout à fait mystificatrice, puisque les luttes sociales sont perçues soit comme inutiles, soit comme perturbatrices de l’ordre social.
Pour nous, l’ordre capitaliste et particulièrement le néocolonialisme reposent structurellement sur la violence la plus brutale. Aujourd’hui, il est impératif de construire le parti des travailleur.es avec le support des forces progressistes, les organisations des paysans et paysannes, les résident.es des quartiers populaires, avec un programme clair de renverser l’État capitaliste. Les victimes de La Saline, les paysan.nes exproprié.es, les travailleur.es exploité.es voire surexploité.es en Haïti et ailleurs n’obtiendront justice qu’au prix de ce combat. Il est inutile et même dangereux de croire que l’État capitaliste et néocolonial puisse être réformé. L’avenir de notre pays dépend plus que jamais dans l’organisation des forces progressistes et révolutionnaires.
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