Édition du 17 décembre 2024

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Solidarité avec la Grèce

Grèce. Syriza au milieu du gué

suivi de l’intervention d’Antonis Ntavanellos

Publié par Alencontre le 29 - juillet - 2015

Le lundi 27 juillet 2015 s’est tenu à Athènes un meeting public convoqué à l’occasion des cinq ans d’existence du site Iskra. Plus de 2000 participant·e·s se sont réunis dans un stade de basket, sous une chaleur torride, en restant attentifs jusqu’à la fin. C’était le premier meeting de la Plateforme de gauche de SYRIZA qui réunit le Courant de gauche, le Red Network et des activistes indépendants. De nombreux députés étaient présents ainsi que des figures de la gauche de SYRIZA opposés au mémorandum imposé et accepté le 13 juillet et « validé » par le parlement grec pour ce qui a trait à ses premiers éléments. En effet, un tel accord ne prend une forme concrète qu’à l’occasion de l’adoption d’un grand nombre de lois, de règlements et de mécanismes de supervision aux mains de l’eurocratie.

(tiré d’À l’encontre)
Photo : De gauche à droite : John Milios, Manolis Glézos et Panagiotis Lafazanis, le 27 juillet 2015

Panagiotis Lafazanis a donné le ton. On peut résumer de la sorte son intervention. 1° L’accent est mis sur le fait que la présence importante à ce meeting était le signe que la lutte contre les mémorandums continuait et prolongeait la résistance contre un terrorisme médiatique déjà affirmée à l’occasion du référendum. 2° Le 5 juillet s’exprima un Non de classe et « patriotique » (question de la souveraineté). 3° Ce NON ne peut être effacé par le gouvernement Tsipras. 4° Sont dénoncées les opérations du Financial Times sur le prétendu coup d’Etat préparé qui incluait l’arrestation de Stournaras. 5° Il faut refuser l’unité nationale avec la Nouvelle Démocratie, le PASOK et To Potami (La Rivière) comme l’a fait le gouvernement. 6° Le non du 5 juillet, qui s’est prolongé au parlement, nous [entre autres Lafazanis] a conduits à choisir de sortir du gouvernement. 7° Il faut s’opposer aux méthodes d’invectives et d’attaques ad personam. 8° Ces attaques minent l’unité du parti, car notre NON au parlement traduisait en fait une défense du parti et de ses principes. 9° Le « il n’y a pas d’alternative » (TINA) du gouvernement Tsipras rappelle celui de Papandreou et de son ministre Papakonstantinou en 2010. Or nous avions alors dénoncé ce TINA. 10° La Plateforme de gauche a dénoncé le fait que le gouvernement, face au mur des institutions de l’UE, a renoncé à mettre en cause le statu quo ante : soit l’adhésion à l’Eurozone. 11° Une telle option implique une rupture, dans la perspective d’un programme transitoire, avec la subordination nationale, avec le néolibéralisme et les intérêts économiques dominants en Grèce. 12° Il est temps de présenter un programme d’ensemble pour une alternative dont quelques points peuvent être indiqués : a) nationalisation et socialisation des banques, b) contrôle public et gestion public des entreprises et infrastructures stratégiques, etc., c) contre les privatisations et le fonds créé à cet effet, en particulier contre la privatisation des ports du Pirée et de Thessalonique, et des aéroports régionaux, du secteur énergétique, d) une massive redistribution de la richesse sur la base d’une imposition des très hauts revenus, de l’argent au noir et déposé à l’extérieur, ainsi que des grandes propriété immobilières ; e) instaurer la transparence sur le contrôle des médias aux mains de l’oligarchie ; f) supprimer l’essentiel de la dette sans quoi pas de futur pour le pays.

Lafazanis souligne que les structures de l’UE, sous direction de l’Allemagne, sont un instrument de dictature, donc il faut un plan techniquement et politiquement solide pour une sortie de l’Eurozone, ce que les dominants présentent comme une entrée en enfer.

Dans la foulée de Lafazanis, Manolis Glézos, résistant historique et député européen qui vient de renoncer à son poste, selon l’engagement pris lors de son élection, est aussi intervenu. Parmi les autres orateurs se trouvait Antonis Ntavanellos, animateur du Red Network et membre de DEA, membre du Secrétariat exécutif de SYRIZA. Nous publions ci-dessous le texte de son intervention.

Depuis ce lundi 27 juillet, les événements se précipitent. Un Secrétariat exécutif s’est tenu le mardi 28 juillet. Il a été interrompu et a repris le mercredi 29. Nikos Voutsis, membre du Comité central et ministre de l’Intérieur et la reconstruction administrative, a indiqué que le débat ne devait pas porter sur des questions politiques – car « il n’y a rien de neuf concernant des divergences politiques » – mais sur les modalités d’organisation d’un congrès de SYRIZA en septembre ; soit après le 15 ou 20 août, date limite pour la conclusion définitive de l’accord avec la Troïka. Il a souligné qu’il était impossible d’accepter une opposition dans les rangs des députés de SYRIZA. Des membres du Comité central, et membres du Secrétariat exécutif, ayant exprimé une opposition par le passé, ont été mis sous une forte pression et semblent « se ranger à la raison gouvernementale ». A la sortie de ce Secrétariat exécutif, trois membres – Antonis Ntavanellos, Stathis Leoutsakos et Sofi Papadogiani – ont publié un communiqué en cinq points. Ils peuvent être résumés de la sorte :

1° Le gouvernement doit immédiatement cesser les négociations conduisant au troisième mémorandum et susciter une mobilisation populaire en indiquant une solution alternative au chantage des créanciers.

2° Un comité central doit être convoqué pour le week-end du 1er et 2 août durant lequel, en prenant en considération aussi bien le mandat populaire du 25 janvier que le résultat du référendum du 5 juillet, qui s’ajoutent aux décisions du congrès, l’accord doit être rejeté.

3° Une conférence de SYRIZA doit être convoquée immédiatement pour empêcher le parti d’être mis devant des faits accomplis.

4° Les décisions prises l’ont été non seulement en opposition aux engagements programmatiques de SYRIZA, mais sans décision collective des structures du parti. Ce qui s’oppose aux statuts eux-mêmes.

5° Un Congrès extraordinaire ne peut pas être convoqué simplement pour ratifier a posteriori l’acceptation du troisième mémorandum. De plus, la proposition faite par le Secrétariat exécutif d’organiser un référendum au sein des membres de SYRIZA portant sur l’accord adopté par le gouvernement et par SYRIZA apparaît plus qu’étrange, quelques semaines après le Non massif du 5 juillet. Après la bataille pour le Non, va-t-on demander aux membres de SYRIZA de voter Oui à l’accord ? SYRIZA est ses membres n’ont pas d’autre voie statutaire et démocratique que de revenir immédiatement aux fondements d’une orientation contre le troisième mémorandum.

Le jeudi 30 juillet, un Comité central est convoqué par la majorité du Secrétariat exécutif. La fin d’un cycle politique, bref, va certainement trouver une expression en termes politico-organisationnels dans la phase à venir. (Rédaction A l’Encontre)

*****
Intervention d’Antonis Ntavanellos, le 27 juillet

Camarades,

Merci à Iskra pour l’invitation et je voudrais lui souhaiter, avec l’ensemble des forces de la plate-forme de gauche, avec les plus larges composantes de la gauche radicale au sein de SYRIZA, mais aussi avec celles se situant en dehors de ses rangs, de trouver l’énergie et la fermeté pour faire face à un défi qui a des dimensions historiques.

Nous sommes confrontés à un accord où chaque militant du mouvement ouvrier, chaque combattant des mouvements plus large de résistance sociale, chaque militant de la gauche politique, ne pourrait que le caractériser comme un nouveau mémorandum [le troisième « MoU – Memorandum of Understanding » qui implique donc prétendu accord entre la Commission européenne, agissant au nom des Etats membres de l’Eurozone et la République hellénique].

Et même un mémorandum plus dur :

• équipé d’un turbo TAIPED [TAIPED : Hellenic Republic Asset Development Fund ; le fonds chargé « de valoriser et de vendre » les biens publics dans le cadre du programme [1] privatisations] ;

• d’un turbo mécanisme de surveillance [la nouvelle Troïka est un quartet : Commission européenne, FMI, BCE, Mécanisme européen de stabilité ; les 12 premiers « techniciens » qui auront accès à tous les ministères sont arrivés le mardi 28 juillet. Les lois soumises au vote de la Vouli devront être, antérieurement, « examinées » par les représentants du Quartet pour s’assurer qu’elles sont conformes à « l’accord ».]

• un turbo mécanisme turbo de coupure automatique des dépenses sociales pour compenser toute défaillance économique. [Dans la mesure où les objectifs budgétaires ne pourront être atteints suite aux mesures d’austérité anciennes et nouvelles, des mécanismes de coupes automatiques dans les dépenses.]

Il s’agit d’un mémorandum qui continue une chasse avide aux impôts, une austérité brutale, une cruauté impitoyable envers les faibles et les pauvres. Un mémorandum qui, comme les précédents, ne peut être imposé que par la victoire anti-démocratique des forces établies grecques et de leurs alliés européens contre la majorité sociale des masses laborieuses et des couches populaires.
Antonis Ntavanellos

Antonis Ntavanellos

Mais, cette fois [par rapport à 2010 et 2012], il y a une grande différence : le mémorandum, donc la politique d’austérité sévère, provient d’une proposition [document du 11 juillet] propre au gouvernement de SYRIZA, de la direction politique de SYRIZA que nous aussi, comme une très large partie des secteurs liés au monde du travail, avons activement soutenu au cours de la période de lutte contre la droite, contre la social-démocratie sociale-libérale, contre la « grande coalition » de Samaras (Nouvelle démocratie) et Venizelos (PASOK).

Certes, la plate-forme de gauche, comme d’autres camarades à l’intérieur de SYRIZA, de sensibilités politiques différentes, nous avons développé des positions critiques et des contre-propositions, à la fois pendant la période avant les élections du 25 janvier, ainsi qu’au cours du semestre critique de la première période du gouvernement de SYRIZA. Notre opposition à l’accord du 20 février [renoncement de toute action unilatérale, « extension » de l’accord « d’assistance financière », supervision du FMI, de la BCE et la Commission] en a été, alors, un point culminant.

Notre passé nous crée donc des tâches et des obligations supplémentaires. Parce que tout débat sur l’avenir de Syriza, tout débat sur l’avenir d’une gauche radicale de masse en Grèce, au même titre que l’effort obligatoire pour éviter une catastrophe à l’italienne [référence aux rapports entre le gouvernement Prodi, dès 2006, et la direction de Fausto Bertinotti du Parti de la refondation communiste - PRC] ont comme condition de nous placer au premier rang dans la lutte pour empêcher l’Accord, dans la lutte pour le renversement de ce troisième mémorandum. Ce mémorandum, je n’en doute pas, devra s’affronter à la résistance des travailleurs et travailleuses, des retraité·e·s, des pauvres. En ce moment, notre place devrait être celle qui a toujours été la nôtre : se trouver aux côtés de notre peuple, en essayant de participer à un débouché victorieux de ses mobilisations qui implique la tentative de se constituer en un courant politique, capable de renverser l’austérité, afin de paver la voie pour une émancipation socialiste plus large. Parce que c’est cela que la gauche radicale a été jusqu’à présent et elle le sera pour toujours …

Camarades,

Il y a une autre question qui nous trouble. Comment en sommes-nous arrivés jusque-là ? La réponse sera un thème de lutte politique principalement au sein de SYRIZA, dans les semaines à venir, mais aussi, plus en général, dans la gauche radicale.

Pourtant, il est déjà clair que nous faisons face à une lourde défaite ; je pourrais même dire à l’effondrement d’une stratégie particulière. L’approche, la conception selon laquelle que nous pourrions tenir la promesse de contrer et inverser l’austérité par des négociations avec les dirigeants européens, en cherchant un consensus avec eux et en évitant une collision avec les limites de tolérance de la zone euro. Or, ces limites se sont finalement révélées absolument identiques à celles de la politique d’austérité néolibérale qui domine actuellement toute l’Europe.

Avec cette conclusion centrale nous avons aussi à penser à l’échec d’un électoralisme particulier, tel qu’il s’est exprimé à travers les ouvertures et les alliances de Syriza, lors des élections mêmes ou de la formation du gouvernement [sélection sur les listes d’ex-membre du PASOK, choix du Président de la République hellénique en la personne de Prokópis Pavlópoulos, de la Nouvelle démocratie, ex-ministre de l’Intérieur ; élection, en mars 2015, contre laquelle s’est prononcée, seule, la députée de DEA : Ioanna Gaïtani ; formation du gouvernement de coalition avec ANEL, Grecs indépendants].

Nous devons aussi penser à l’importance d’une forme particulière gouvernance, qui envisage le gouvernement de gauche, non plus comme un moyen pour la poursuite de la lutte pour le but proclamé, pour notre but fondateur, mais comme une fin en soi ; même quand il nous conduit, ou il nous conduira rapidement, à nous trouver en conflit avec les intérêts et les besoins du monde du travail.

Un monde du travail qui, tout au long de ce trajet, a été jusqu’à présent très généreux envers nous. Car lors des élections du 25 janvier 2015, nous avions proposé un renversement de politique qui pourrait prendre des dimensions historiques. Car, lors du référendum du 5 juillet, le massif et fier NON était un vote de classe, qui se plaçait aux côtés de SYRIZA dans le moment le plus difficile de l’extorsion de richesses par les créanciers, en montrant la voie de la rupture et en exprimant indirectement, mais clairement, la disponibilité des forces populaires à se mobiliser dans cette direction.

Une direction qui ne peut certainement pas être servie par la signature d’un document entre trois partis de l’opposition et SYRIZA – l’inconcevable association SYRIZA, Nouvelle Démocratie, PASOK, To Potami – dont on a pris connaissance le lendemain du référendum par communiqué commun des dirigeants politiques. Ce qui est désormais confirmé lors des votes décisifs au parlement [majorité obtenue grâce aux votes des partis d’opposition ayant milité pour le Oui, ayant perdu et se transformant de facto en vainqueurs].

Cette partie du peuple et cet engagement pour la rupture qui ont été révélés au travers du référendum doivent et peuvent appuyer les forces qui insisteront sur un NON, jusqu’au bout ! [Des comités ayant pour nom « Contre l’accord jusqu’au bout » ont mené une partie significative de la campagne pour le référendum. Le 28 juillet, à Athènes entre autres, des réunions de ces comités se sont tenues.]

Camarades,

Lors de notre parcours dans SYRIZA jusqu’à aujourd’hui nous avons capitalisé plus d’un seul point. Nous avons appris à travailler ensemble, même si nous partons de différentes origines idéologiques et politiques en mettant en place une force [Plateforme de gauche réunissant le Courant de gauche, le Red Network et d’autres militants] qui dépasse le stade de la dénonciation et cherche à obtenir des victoires. Nous avons construit les bases d’un programme de transition, dans lequel ressortent les objectifs suivants : l’annulation de la dette, la nationalisation des banques, l’imposition élevée du capital et de la richesse accumulée. Il est maintenant clair que ce programme ne peut être instauré que lorsqu’il est combiné avec une volonté de conflit, aussi bien face aux forces dominantes grecques et leurs institutions que face à l’UE, à la zone euro, au programme propre à l’euro. Dans notre programme se distingue le mot d’ordre pour un gouvernement de gauche. Ce dernier doit rendre des comptes au monde du travail, déterminer sa politique en fonction des besoins du peuple et non pas se détacher et s’autonomiser de lui.

Dans SYRIZA existe un secteur qui a trouvé la force de dire NON à temps au troisième mémorandum. Il s’est exprimé dans les sections locales et régionales, dans structures de direction [Comité central et Secrétariat exécutif], au sein du Groupe parlementaire [par deux fois, 39 et 36 députés se sont prononcés de facto contre le mémorandum]. Ce NON est un message ayant une signification politique particulière. Il constitue la base d’une reconstruction des forces au sein de SYRIZA, mais aussi au sein de la gauche radicale large, non sectaire [un secteur d’Antarsya entre autres]. Notre NON dicte nos tâches. Des tâches envers SYRIZA, mais aussi, plus généralement, pour concrétiser la perspective d’un nouveau départ, qui, avec évidence, se présente devant nous comme une nécessité. (Traduction A. C., édition A l’Encontre)


[1] Parmi les biens inscrits dans ce fonds se trouvent : plus de 90 plages sur des dizaines d’îles et en Grèce continentale ; des dizaines de ports – dont la partie non encore privatisée du Pirée ainsi que le port de Thessalonique – et de marinas, dont celles d’Hydra ou d’Epidaure ; trente-sept aéroports régionaux, dont ceux de Thessalonique, Santorin ou encore Mykonos ; des dizaines de propriétés immobilières de l’Etat grec.Les compagnies des eaux de la ville d’Athènes (Eidap) et de Thessalonique (Eyath). Hellenic Petroleum, la compagnie de raffinage et de distribution du pétrole. DEPA, la compagnie nationale d’importation et de distribution de gaz naturel. La compagnie ferroviaire nationale Trainose. La structure mise en place est analogue à celle de la Treuhand qui géré l’assimilation de l’économie de l’ancienne RDA ; si ce n’est qu’un certain nombre d’investissements productif ont eu lieu. Les 35 milliards d’investissement, anciens, annoncés par Jean-Claude Juncker, restent du domaine du virtuel. Les sommes recueillies lors des privatisation n’atteindront jamais les hauteurs annoncées – 50 milliards d’euros – et serviront au service d’une dette que presque tout le monde considère comme insoutenable. Ce qui restera pour l’investissement public, ou même privé, représentera au mieux quelques miettes. (Rédaction A l’Encontre)
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