Édition du 19 novembre 2024

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Gaza : entre un deuxième chapitre de la Nakba et la résurgence de la fiction d’Oslo

Il y a des prévisions dont on espère qu’elles seront démenties par la réalité. Ce que nous avions prédit dans ces pages il y a une semaine (« Le déluge d’Al-Aqsa menace de balayer Gaza », Al-Quds al-Arabi, 10 octobre 2023) au quatrième jour de la nouvelle guerre de Gaza, est l’un de ces cas. Voici ce que nous avions prévu.

20 octobre 2023 | tiré de Viento sur

Depuis la création de l’État d’Israël, la droite sioniste rêve d’achever la Nakba de 1948 par une nouvelle expulsion massive des Palestiniens de toute la Palestine entre la mer et le fleuve, y compris la bande de Gaza. Il ne fait aucun doute qu’elle voit maintenant ce qui s’est passé samedi dernier comme une secousse qui leur permettra d’entraîner le reste de la société sioniste derrière elle pour mettre en œuvre leur rêve dans la bande de Gaza en premier lieu, en attendant l’occasion de le mettre en œuvre en Cisjordanie. La gravité de ce qui est arrivé à Israël samedi dernier pourrait réduire le rôle dissuasif de la prise d’otages du Hamas, contrairement à ce qui s’est passé lors des précédents cycles de confrontation entre le mouvement et l’État sioniste. Il est très probable que cette fois-ci, ce dernier ne se contentera de rien de moins qu’une destruction de la bande de Gaza au-delà de tout ce qui a été vu jusqu’à présent, afin de la réoccuper au coût humain israélien le plus bas possible et de provoquer le déplacement de la plupart de ses habitants vers le territoire égyptien, le tout sous prétexte d’éradiquer complètement le Hamas. Il est donc à craindre que les « inondations d’Al-Aqsa » finissent par balayer toute la bande de Gaza, tout comme le déluge naturel a balayé la ville libyenne de Derna il y a un mois, mais à une échelle beaucoup plus grande.

Malheureusement, le spectacle de la destruction de Gaza a déjà commencé à dépasser celui de ce que l’inondation naturelle a balayé à Derna. Ce qui est encore plus grave que la destruction de bâtiments, c’est que le nouveau massacre que l’armée d’occupation sioniste a commencé à perpétrer à Gaza a déjà dépassé en ampleur les précédents grands massacres qui ont été infligés au peuple de Palestine, alors que l’agression israélienne n’en est qu’à ses débuts et le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza a déjà dépassé celui des personnes déplacées pendant la Nakba de 1948. L’armée sioniste est en train de détruire la bande de Gaza dans une mesure qui dépasse tout ce que nous avons vu jusqu’à présent.

C’est parce qu’il s’agit d’une armée très soucieuse de réduire au minimum ses pertes humaines, ce qui a déjoué sa tentative d’invasion de Beyrouth en août 1982. Ariel Sharon a alors ordonné à ses troupes de prendre d’assaut la capitale libanaise assiégée et elles ont été contraintes d’arrêter l’opération après avoir réalisé qu’elles subiraient de lourdes pertes en raison de la difficulté de pénétrer dans les zones bâties, où il est facile pour les combattants de la résistance de se cacher et de surprendre l’ennemi. La leçon a été confirmée lorsque l’armée sioniste a lancé une attaque terrestre sur Gaza en 2009. Par conséquent, l’armée sioniste n’allait pas répéter l’expérience. Au lieu de cela, elle utilise son écrasante supériorité en matière de puissance destructrice pour raser les zones bâties en prélude à leur attaque.

Des destructions d’une telle ampleur n’ont pas été possibles à Beyrouth en 1982, ni à Gaza en 2009 en raison de l’absence de conditions politiques favorables (en 1982, Israël subissait une forte pression internationale et sa société était profondément divisée par l’invasion du Liban menée par le duo Menahem Begin et Ariel Sharon). Aujourd’hui, l’opération « Al-Aqsa Flood » – qui comprenait des actes de massacre commis contre des hommes et des femmes non armés en nombre dépassant tout ce qu’Israël avait jamais connu auparavant, des actes qui ont été exploités au maximum par les médias mondiaux pro-israéliens – a fourni à Israël une occasion en or de procéder à la réalisation d’un nouveau chapitre de la Nakba, tout comme les attentats d’Al-Qaïda de 2001 ont fourni à l’administration américaine de George W. Bush une occasion en or de mener à bien le projet d’occupation de l’Irak, longtemps chéri par ses membres (ils ont accepté de commencer par l’Afghanistan après que certains d’entre eux aient insisté sur le fait que commencer par l’Irak pourrait être difficile à vendre au public).

Les destructions massives infligées à Gaza ne se limitent pas cette fois-ci à des considérations militaires. Il sert un objectif supplémentaire, qui est le déplacement de la population de la bande de Gaza. Nous nous sommes habitués à l’excuse de l’armée sioniste selon laquelle elle a averti les civils et que le Hamas est responsable de leur mort parce qu’il est basé au milieu de zones bâties et peuplées (comme s’il était possible pour le Hamas d’avoir sa base en dehors de ces endroits sans être immédiatement détruit par les bombardements israéliens !) Cette fois-ci, cependant, l’appel à la fuite de la population n’est pas le même que lors des précédentes séries d’agression contre la bande de Gaza, mais s’inscrit de manière tout à fait transparente dans le projet de déplacement de la majorité de la population de Gaza, tout comme quatre-vingts pour cent des Palestiniens vivant sur les terres saisies par l’État sioniste en 1948 en ont été chassés.

Achever ce qui a été commencé en cette année fatidique est un rêve que l’extrême droite sioniste poursuit depuis la Nakba. Cette extrême droite, dont le Likoud est l’héritier légitime, a reproché à David Ben Gourion et à ses collègues du courant sioniste de l’époque d’avoir accepté un cessez-le-feu avant d’achever l’occupation de l’ensemble de la terre de Palestine entre la mer et le fleuve. Il convient de rappeler que c’est ce même mouvement politique qui a perpétré le massacre de Deir Yassin, la plus célèbre des atrocités qui ont accompagné la prise de contrôle sioniste de la Palestine et provoqué le déplacement de sa population.

L’extrême droite sioniste restait déterminée à réaliser son projet de « Grand Israël ». Ainsi, Sharon a fait face à une forte opposition au sein du Likoud en 2005, alors qu’il était à la fois chef du parti et Premier ministre israélien, et a décidé d’évacuer Gaza (« plan de désengagement unilatéral ») pour satisfaire le désir de l’armée de se débarrasser du fardeau du contrôle de la bande de Gaza de l’intérieur. La priorité de Sharon était, en effet, de consolider le contrôle israélien sur la majeure partie de la Cisjordanie et d’annexer formellement ces territoires à la première occasion politique, tout en maintenant Gaza et les zones A et B stipulées dans l’Accord d’Oslo II sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, afin de liquider la cause palestinienne sous prétexte d’accorder aux Palestiniens une entité à part entière (bien que sous une stricte supervision Israël).

Benjamin Netanyahu a mené la campagne contre Sharon au sein du Likoud et a même démissionné du cabinet pour protester contre le retrait de Gaza. Sharon a rapidement quitté le Likoud pour fonder un autre parti, et Netanyahu l’a remplacé à la tête du parti, qu’il continue de diriger à ce jour. Il a vu dans le « déluge d’Al-Aqsa » non seulement une occasion de détourner l’attention de l’opposition israélienne et de réaliser une unité sioniste revancharde contre le peuple de Gaza, mais aussi une occasion en or de réoccuper la bande de Gaza, cette fois en la vidant de la majeure partie de sa population, comme lors de la Nakba de 1948. Netanyahou, qui a montré une carte du « Grand Israël » à l’Assemblée générale de l’ONU il y a moins d’un mois, veut clairement déplacer la majeure partie de la population de Gaza dans le Sinaï, au-delà de la frontière égyptienne. À cette fin, il espère que les États-Unis pourront convaincre le régime égyptien de les accueillir.

D’autre part, Washington espère que l’armée sioniste se contentera d’éradiquer le Hamas (et le Jihad islamique) de la bande de Gaza, puis de céder son administration à l’Autorité de Ramallah, ravivant ainsi la fiction d’Oslo sans déplacement permanent qui augmenterait l’ampleur de la question des réfugiés palestiniens. En fin de compte, ce que Netanyahou vise enflammerait toute la région arabe et annulerait la « normalisation » obtenue entre Israël et certains des régimes arabes, tandis que Washington croit que ce qu’il préconise permettra au processus de « normalisation » d’aller de l’avant. Laquelle des deux options sera réalisée sera déterminée par la rapidité avec laquelle l’armée sioniste pourra avancer dans la prise de la bande de Gaza face à la pression internationale qui augmentera à mesure que ce qui arrive à la population de Gaza éclipsera le spectacle de « l’inondation d’Al-Aqsa ».

Traduit de la version anglaise qui se trouve dans https://gilbert-achcar.net/gaza-between-nakba-and-oslo.

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Gilbert Achcar

Originaire du Liban, professeur à l’Ecole des études orientales et
africaines (SOAS) de l’Université de Londres. (https://gilbert-achcar.net/
— @gilbertachcar)
Auteur de plusieurs ouvrages, dont *Le Choc des barbaries* (3e édition,
2017), *La Poudrière du Moyen-Orient *(avec Noam Chomsky, 2007),* Les
Arabes et la Shoah* (2010), *Le Peuple veut* (2013), *Symptômes morbides*
(2016) et *La Nouvelle Guerre froide* (2023).

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