Édition du 10 septembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Gaza : Le vaccin contre la polio est efficace, mais son administration requiert un cessez-le-feu

Alors que les Palestinien·nes de Gaza craignent une épidémie de polio, les professionnel·les de la santé avertissent que l’offensive militaire israélienne en cours entravera gravement les efforts déployés pour la contrer.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
27 août 2024

Par AMER Ruwaida Kamal

Des Palestiniens marchent à côté de bâtiments détruits et de mares d’eau stagnante à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 juillet 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Pendant 25 ans, la bande de Gaza a été préservée de la polio. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au début du mois, le ministère de la santé a signalé qu’un bébé de 10 mois avait contracté la maladie ; une semaine plus tard, il était paralysé. Cette annonce a été faite après la détection du poliovirus dans des échantillons d’eaux usées provenant de six localités des villes de Deir Al-Balah et de Khan Younis.

Avec les eaux usées brutes qui coulent dans les rues de Gaza, à proximité des tentes des personnes déplacées et des quelques sources d’eau douce restantes, une épidémie potentiellement catastrophique pourrait bientôt se préparer. Une campagne de vaccination de masse est essentielle, mais tant que l’offensive militaire israélienne se poursuit, une telle campagne semble impossible, même si des vaccins ont commencé à être acheminés. Dans toute la bande de Gaza, les Palestinien·nes craignent les conséquences de la propagation de la maladie, en particulier pour les enfants, qui représentent la moitié de la population de l’enclave.

« Lorsque mes enfants sortent jouer, nous courons après eux en leur criant de ne pas s’approcher des eaux usées », explique à +972 Reem Al-Masry, 35 ans, mère de trois enfants déplacés de Beit Hanoun à Deir al-Balah. « Mais ils et elles sont piqué·es en permanence par les moustiques et les mouches qui vivent sur les tas d’ordures et d’eaux usées et qui nous transmettent des maladies. Chaque jour, mes enfants se plaignent de douleurs à l’estomac, de fièvre, d’éruptions cutanées et d’autres problèmes de santé. »

Pour Saeed Samour, 40 ans, qui a été déplacé de la ville de Gaza à Khan Younis, « la présence d’eaux usées autour de nous – et à proximité des rares sources d’eau disponibles – est une chose effrayante ». Ces dernières semaines, Zaid, le fils de Samour âgé de 3 ans, a montré des signes d’infection cutanée, probablement due à la pollution de l’air causée par les restes de la guerre. « Ces enfants ont besoin d’un bain quotidien », explique-t-il. « Mais les produits de nettoyage sont très rares et très chers. Un pain de savon, qui ne coûtait qu’un dollar, se vend aujourd’hui 4 dollars. »

Aujourd’hui, Samour craint que Zaid ne tombe malade après avoir été exposé aux agents pathogènes présents dans les eaux usées. « Il n’y a pas un seul quartier de la ville où il n’y a pas de mares d’eaux usées, et personne ne peut se promener à cause de ces mares », explique-t-il. « Notre nourriture et notre eau doivent être stérilisées et cuites plusieurs fois pour pouvoir être bues et mangées, et le manque de gaz de cuisine est un obstacle majeur. »

Alors que les frappes aériennes, les incursions terrestres et les ordres d’évacuation d’Israël continuent de terroriser les Palestiniens dans toute la bande de Gaza, la soi-disant « zone humanitaire » le long de la côte est devenue l’une des zones les plus densément peuplées au monde. Adnan Abu Hasna, porte-parole de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), a déclaré à +972 que 1,8 million de Palestinien·nes sont entassé·es dans la zone qui s’étend du nord de Rafah au camp de réfugiés de Nuseirat, en passant par Deir al-Balah. « Il y a 60 000 personnes par kilomètre carré et le processus de déplacement se poursuit », ajoute-t-il.

Combinée à l’effondrement des infrastructures d’approvisionnement en eau et d’évacuation des eaux usées, cette grave surpopulation a inévitablement conduit à l’apparition et à la transmission de maladies. Et ce n’est pas seulement la polio qui inquiète les autorités sanitaires.

« Avant le 7 octobre, Gaza comptait 85 cas d’hépatite », explique Abu Hasna. « Aujourd’hui, nous parlons d’un millier de cas par semaine et le nombre augmente : il y a environ un mois, nous avons enregistré 40 000 cas. Compte tenu de ce taux de transmission rapide, Abu Hasna a averti que « la découverte du poliovirus est une évolution dangereuse qui aura des conséquences désastreuses ».

« Si nos enfants ne sont pas tués par des missiles, ils ou elles mourront de maladies ».

Quelques heures avant que le premier cas de polio ne soit signalé à Gaza, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé à un cessez-le-feu immédiat d’une semaine – une « pause polio » – afin de permettre le déploiement d’une campagne de vaccination. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré qu’elle était prête à distribuer 1,6 million de doses, les équipes médicales de l’UNRWA se préparant à les administrer à plus de 640 000 enfants palestiniens de moins de 10 ans.

Israël a rapidement commencé à vacciner ses propres soldats contre la maladie, mais a attendu plusieurs semaines avant d’autoriser l’entrée des vaccins pour les habitants de Gaza. Pourtant, alors que les équipes médicales cherchent à vacciner la population, aucun cessez-le-feu ne semble se dessiner.

« Le vaccin oral contre la polio est efficace », a déclaré Sameer Sah, directeur britannique des programmes de Medical Aid for Palestinians (MAP), à +972. « Le défi consiste à distribuer le vaccin dans une région où les gens sont déplacés presque quotidiennement, où les moyens de transport sont difficiles à trouver, où les routes sont endommagées et où les services de santé sont attaqués.

« Une telle campagne serait très utile, mais l’extension de la zone rouge à Gaza [les zones dont Israël a ordonné l’évacuation] fait qu’il est difficile d’atteindre chaque enfant », poursuit Sah. « Un cessez-le-feu complet est nécessaire pour fournir des soins de santé adéquats, y compris la vaccination non seulement contre la polio, mais aussi contre d’autres maladies évitables. »

Ces derniers jours, les patient·es et les infirmier·es ont été contraint·es de fuir l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir Al-Balah alors que les forces israéliennes se rapprochaient. Le Dr Khalil Al-Daqran, directeur du département des soins infirmiers de l’hôpital, a déclaré à +972 avant l’évacuation que l’hôpital avait accueilli environ un million de personnes déplacées dans la région centrale de Gaza ; les couloirs et les étages étaient remplis de patient·es en raison du manque de chambres et de lits disponibles.

Face à ces conditions désastreuses, M. Al-Daqran se montre pessimiste quant aux perspectives de lutte contre la propagation de la polio, y compris dans les hôpitaux qui restent fonctionnels malgré les bombardements israéliens. « Nous n’avons même pas l’équipement nécessaire pour effectuer des tests de dépistage de l’épidémie », a-t-il déclaré.

Dans ces circonstances, et alors que d’autres maladies sévissent à Gaza, les parents sont terrifiés pour leurs enfants. « En tant que mères, ces maladies nous font peur », a déclaré Al-Masry, mère de trois enfants. « Si nos enfants ne sont pas tué·es par les missiles, ils et elles mourront de ces maladies étranges qui apparaissent à cause de la pollution et du manque d’assainissement. »

Israël utilise l’eau comme une arme

Fin juillet, une vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux, montrant des ingénieur·es de combat de l’armée israélienne en train de faire sauter un réservoir d’eau dans le quartier de Tel al-Sultan à Rafah. Le soldat ayant téléchargé la vidéo dédiait la démolition « en l’honneur du shabbat », suscitant une condamnation internationale, et l’armée affirme maintenant enquêter sur l’incident.

Pour Ayman Labad, chercheur à l’unité des droits économiques et sociaux du Centre palestinien pour les droits de l’homme, la destruction du réservoir n’est pas une surprise étant donné que les forces israéliennes ont détruit environ 67 % des installations d’eau et d’assainissement de la bande de Gaza au cours des dix derniers mois. La seule surprise, a-t-il ajouté, est qu’elles se soient filmées en train de le faire.

À la mi-juin, les installations détruites pendant la guerre comprenaient 194 puits de production d’eau, 40 réservoirs d’eau à grande échelle, 55 stations de pompage des eaux usées, 76 usines de dessalement municipales, quatre usines de traitement des eaux usées, neuf entrepôts de pièces détachées et deux laboratoires d’analyse de la qualité de l’eau. « La signification de tout cela est claire : Israël utilise l’eau comme une arme dans son génocide contre la population de la bande de Gaza », déclare Labad.

Avec la fermeture forcée de ces installations, les sources d’eau de Gaza ont été contaminées, ce qui a entraîné une propagation rapide des maladies. « Les habitant·es de la bande de Gaza vivent actuellement avec seulement un cinquième de la quantité d’eau disponible avant le 7 octobre », a déclaré M. Labad. « Environ 66 % des habitants de Gaza souffrent de maladies d’origine hydrique telles que le choléra, la diarrhée chronique, la gastro-entérite et l’hépatite. »

Les sources d’eau potable s’étant raréfiées, les habitant·es de Gaza sont contraint·es de faire la queue pendant des heures pour obtenir le peu d’eau disponible et de sacrifier l’hygiène de base, qui est un élément essentiel pour éviter les maladies. « Chaque personne a besoin de dizaines de litres d’eau, mais nous faisons maintenant la queue et attendons environ sept heures pour obtenir deux gallons », a déclaré Saeed Al-Jabri, un habitant de Rafah âgé de 38 ans, à +972. « Est-il acceptable pour une personne d’endurer de telles conditions ? »

Comme de nombreux Palestinien·nes déplacés, Al-Jabri a pris l’habitude de se baigner dans la mer. « L’eau de mer est salée et lorsqu’elle s’assèche, les sels se déposent sur la peau et peuvent provoquer des inflammations », raconte-t-il.

M. Al-Jabri a vu les vidéos des soldats israéliens ciblant les sources d’eau et ne peut retenir sa colère. « Il n’y a pas d’objectif militaire derrière tout cela », note-t-il. « Il s’agit simplement d’une vengeance, où les civils sont punis. »

Ruwaida Kamal Amer, le 27 août 2024

P.-S.

• Agence Média Palestine. 28 août 2024 :
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/08/28/le-vaccin-contre-la-polio-est-efficace-mais-son-administration-requiert-un-cessez-le-feu/

• Traduction : JB pour l’Agence Média Palestine.

Source :+972 Mag

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