Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Fukushima : alors que la catastrophe dure depuis 3 ans, le déni continue

Le 11 mars 2014, cela fera maintenant 3 ans que dure la catastrophe nucléaire de Fukushima. Malgré le déni des autorités, ses conséquences sanitaires et environnementales ne s’atténuent pas, bien au contraire. Nous transmettons notre entier soutien au peuple japonais, qui souffre des contaminations, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui luttent pour un Japon sans nucléaire.

Fuites incontrôlées à la centrale de Fukushima

Trois ans après, la situation à la centrale reste hors de contrôle. Les réacteurs éventrés doivent toujours être refroidis ; près de 400 000 tonnes d’eau s’accumulent dans des cuves construites à la va-vite, dont un grand nombre fuient. Les stations de traitement des eaux ne sont toujours pas opérationnelles et les fuites hautement radioactives ont déjà atteint la nappe phréatique et l’océan, contaminant gravement le milieu marin. Sur 67 poissons pêchés par Tepco dans le port devant la centrale en décembre 2013, 21 dépassaient 10 000 Becquerels/kg en césium 134 et césium 137 [1], soit 100 fois la limite fixée par le gouvernement japonais.

L’évacuation du combustible usé du réacteur n°4, débutée en novembre 2013, devrait durer jusqu’à fin 2014. Mais il reste encore près de 2000 tonnes de combustible usé hautement radioactif sur l’ensemble de la centrale. Où pourront-elles être stockées ? Par ailleurs, l’ensemble du site reste vulnérable à un nouveau séisme de grande ampleur.

Depuis 2011, plus de 30 000 travailleurs se sont succédés à la centrale, dont plus de 26 000 sous-traitants, au péril de leur santé. Au fur et à mesure que ceux-ci accumulent des doses de radioactivité, la pénurie de travailleurs qualifiés se fait de plus en plus criante. Certains intervenants, recrutés parmi les sans-abris par la mafia, travaillent dans des conditions particulièrement indignes.

La vie contaminée

Près de 150 000 personnes déplacées suite à la catastrophe vivent toujours dans des conditions précaires. En avril 2014, Tepco cessera de dédommager ceux qui ont perdu leur travail suite à l’accident. Ce même mois, pour la première fois, l’ordre d’évacuation sera levé et les habitants du district de Miyakoji (à 20 km de la centrale) devront rentrer chez eux, bien qu’en de nombreux endroits, la dose d’exposition autorisée pour le grand public de 1 millisievert/an soit largement dépassée. Souhaitant arrêter de payer des compensations financières pour les évacués et limiter les frais des travaux de décontamination, le gouvernement entend hâter le retour dans les zones contaminées malgré l’opposition des habitants qui, à juste titre, craignent pour leur santé.

Des centaines de milliers de personnes continuent par ailleurs de vivre dans des villes et villages où le niveau de radioactivité ambiant justifierait pourtant l’évacuation. Tas de terre radioactive abandonnés au bord des routes, maisons simplement passées au kärcher, mesures hâtives : dans la préfecture de Fukushima, les « décontaminations » sont un fiasco. Les habitants non évacués ont le choix entre se voiler la face ou contrôler le moindre aliment, le moindre objet.

Interdits de jouer dehors, condamnés à porter des dosimètres, les enfants sont les premières victimes. Les enfants de la préfecture de Fukushima doivent subir un examen médical à grande échelle. Parmi les 250 000 qui y ont déjà été soumis, 74 pourraient déjà être atteints par un cancer de la thyroïde ; et pour 33 d’entre eux, le cancer ne fait plus de doute. Pour le radiologue spécialiste du cancer Hiroto Matsue, il ne fait pas de doute que tous ces cancers sont directement causés par Fukushima. Il déclare ainsi : « Depuis quarante ans que j’exerce, je n’avais jamais vu de thyroïde avec tellement de kystes et de nodules que je ne pouvais les compter. Ce n’est pas normal. » (Science & Vie, mars 2014, p.88)

À la contamination s’ajoutent des drames humains : de nombreuses familles sont séparées, les mères ayant préféré déménager pour protéger leurs enfants tandis que leurs maris souhaitaient rester sur place.

En réponse aux risques : la censure et le mensonge

Plutôt que de prendre les problèmes à bras-le-corps et de reconnaître la gravité des faits, le gouvernement persiste dans le déni et organise le mensonge à grande échelle. Afin que Tokyo puisse accueillir les Jeux Olympiques de 2020, le Premier Ministre Shinzo Abe n’a pas hésité à mentir, prétendant que la situation restait sous contrôle et les impacts de l’accident circonscrits au site de la centrale. En décembre 2013, une loi a même été adoptée interdisant la divulgation de certaines informations « sensibles » pour cause de « secret d’État », préfigurant de nouvelles dissimulations sur l’état réel des installations nucléaires et menaçant de fait les lanceurs d’alerte de lourdes peines de prison.

Le Japon est-il condamné à vivre à son tour le déni et la dissimulation d’informations qui ont sévi à Tchernobyl ? Suite à la catastrophe ukrainienne, un programme dénommé ETHOS avait été développé par des « ONG » financées par l’industrie nucléaire, pour tenter de démontrer qu’il était possible de vivre en zone contaminée et minimiser la gravité de l’accident. Or, à Fukushima, un même programme dénommé ETHOS a été mis en place. Un de ses membres, également investi dans le suivi de la catastrophe de Tchernobyl, a même attaqué une journaliste en justice. Par ailleurs, fin 2013, un protocole d’accord a été signé entre l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique et l’Université Médicale de Fukushima, demandant la confidentialité de toute information qui serait classifiée par l’une des parties [2]. Cet accord rappelle tristement celui signé en 1959 entre l’AIEA et l’Organisation Mondiale de la Santé, qui empêche l’OMS de travailler de façon indépendante sur les questions sanitaires liées à la radioactivité.

Le déni des autorités

Toutes les centrales sont actuellement à l’arrêt (la centrale d’Ohi, seule à avoir été relancée, est en maintenance). Mais l’industrie atomique, restée influente malgré la déchéance de Tepco, continue de plaider pour la relance de 17 réacteurs. Malgré les mises en garde de certains géologues, les risques sismiques et l’existence de failles actives sont minorés. Rien d’étonnant donc à ce que l’industrie nucléaire japonaise aie également signé en 2013 un accord avec un autre pays à haut risque sismique, la Turquie, pour la construction de réacteurs.

En avril 2013, alors que toutes les centrales étaient à l’arrêt, le Japon a accueilli une cargaison de combustible MOX envoyé par la France – le même que celui qui alimentait le réacteur n°3 de Fukushima. Le gouvernement pronucléaire de Shinzo Abe prépare activement le redémarrage des réacteurs : fin février 2014, le nucléaire a été présenté par le Ministre du Commerce et de l’Industrie comme « fondement de la stabilité de l’approvisionnement énergétique » du pays.

Ils se battent pour un Japon sans nucléaire

Malgré le retour au pouvoir massif des partisans du nucléaire, la population japonaise reste hostile au redémarrage des réacteurs et favorable à d’autres énergies. D’importantes manifestations auront lieu le 11 mars 2014. À l’occasion de ce troisième « anniversaire » de la catastrophe, nous réaffirmons notre soutien au peuple japonais et à tous ceux qui luttent pour que le Japon, enfin, soit débarrassé de l’industrie nucléaire.

Parmi les différentes initiatives en cours, citons notamment le procès initié contre les constructeurs de la centrale de Fukushima, auquel 1335 plaignants se sont associés [3].

Ci-dessous, plusieurs témoignages de militants japonais :

Ruiko Muto, qui habite et milite à Fukushima, est déléguée du groupe des plaignants contre TEPCO, membre de « Fukushima Action Project » et de « Femmes de Fukushima contre le nucléaire ».

Bientôt trois ans depuis la catastrophe de Fukushima.

La situation dans la centrale endommagée est toujours loin d’être maîtrisée : les dégradations s’aggravent et les dégâts s’étendent.

Que voit-on à Fukushima trois ans après ?

Conséquence de la politique incitant au retour des réfugiés, les écoles ont été réouvertes dans des municipalités comprenant des endroits de haute radioactivité éparpillés sur leur territoire.

Après une décontamination inefficace, des sacs de déchets radioactifs sont entassés et abandonnés dans des champs ou le long des routes et d’autres sont ensevelis dans les jardins des habitations.

Sur 254 000 enfants de la préfecture de Fukushima qui ont été examinés, on a déjà pu constater 74 cas de cancer de la thyroïde (33 cas avérés et 41 cas avec de forts soupçons) début février 2014. Ce qui est un taux anormalement haut.

Quant aux personnes qui continuent à vivre dans les logements provisoires sans le moindre plan d’avenir, de plus en plus d’entre elles sont victimes de dépressions nerveuses.

Il est légitime de se demander alors pourquoi le gouvernement japonais tient tellement à organiser les Jeux Olympiques à Tokyo au lieu de se mobiliser pour sauver les victimes de Fukushima ?
Pourquoi la généralisation des « séjours sanitaires » pour les enfants exposés aux effets de l’accident n’a même pas été envisagée ?

Pourquoi les autorités souhaitent-elles faire revenir les habitants dans des zones où le taux de radioactivité est beaucoup plus élevé que celui autorisé par la norme internationale ?

Confrontés à ce déni manifeste des droits humains ainsi qu’à la volonté du gouvernement Abe de redémarrer les centrales nucléaires, que pouvons-nous faire ?

D’abord, il ne faut pas détourner le regard de la réalité pour continuer à en parler.

Puis, nous devons garder confiance en nous-mêmes.

Et enfin, il faut consolider les liens de solidarité que nous avons déjà tissés. N’oubliez pas Fukushima qui entame sa quatrième année d’après catastrophe, causée par la politique de TEPCO, soutenue par le gouvernement japonais et le lobby nucléaire international.

Satoshi Kamata, journaliste et écrivain japonais, initiateur de la pétition « Adieu au nucléaire »

À la recherche de la solidarité internationale

Nous luttons pour la réalisation la plus rapide possible d’une société sans nucléaire. La solidarité avec tous les citoyens antinucléaires du monde est indispensable, car seul l’abandon du nucléaire civil et militaire peut garantir l’avenir de l’humanité entière.

Au troisième anniversaire de la catastrophe de Fukushima, les Japonais organisent les 8 et 9 mars de grands rassemblements et des manifestations à Fukushima, à Tokyo, ainsi que dans tout le pays. Puis le 15 mars, une marche de 14 km aura lieu à Tokyo, du port de Harumi au parc Hibiya : dans ce port est conservé le bateau « Lucky Dragon », le bateau de pêche qui avait été irradié, il y a exactement 60 ans, par l’essai américain de la bombe H dans la Pacifique. Au rassemblement de Hibiya participeront Kenzaburo Oé, le Prix nobel de littérature ainsi que des habitants de Fukushima.

Trois ans après, l’accident n’est pas maîtrisé. L’eau hautement radioactive s’écoule toujours vers l’océan et 140 000 personnes ne peuvent pas retourner chez elles. Malgré cette situation de crise qui perdure, le gouvernement Abe veut à tout prix redémarrer quelques-uns des 50 réacteurs qui sont tous en arrêt depuis septembre 2013.

Nous nous opposons à cette politique suicidaire dans un pays de séismes fréquents et nous combattons pour empêcher un autre accident. Vous qui luttez dans un pays de grande puissance nucléaire civil et militaire, votre rassemblement à nos côtés le même jour nous encourage. Consolidons nos liens de solidarité et élargissons le mouvement antinucléaire pour un monde libéré du nucléaire.

Notes

[1] Voir sur ESSF (article 31311), Au Japon, trois ans après : Fukushima Daiichi, quelques nouvelles d’une catastrophe toujours en cours : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article31311

[2] http://www.fukuleaks.org/web/?p=11993

[3] http://ermite.just-size.net/test/

* http://www.sortirdunucleaire.org/article32171

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